Réforme de l’entreprise et justice fiscale

Réforme de l’entreprise et justice fiscale

Réforme de l’entreprise : une réforme sociétale majeure et indispensable


Par Valérie Bugault − Juin 2020

La question de la justice fiscale est, en quelque sorte, l’arbre qui cache la forêt de la débâcle française, le révélateur de la trahison des dirigeants politiques et universitaires. Rappelons que cette question de la justice fiscale était déjà la préoccupation au cœur des évènements ayant aboutis aux révolutions française et américaine.

La justice fiscale suppose d’abord et avant tout que soit éclaircie la théorie juridique de l’entreprise, laquelle n’existe pas aujourd’hui. Une définition juridique saine de l’entreprise permettra d’éliminer l’anonymat structurel ou conjoncturel qui est fonctionnellement lié à la toute-puissance de la personnalité dite morale, en opposition à la personnalité juridique des individus. La question de l’entreprise est au cœur de la problématique liée à la justice fiscale. Évoquer ce sujet nous ramène au CNR et au général De Gaulle, lesquels ont malheureusement échoué à mettre en œuvre le concept rénové d’entreprise, alors appelé entreprise participative.

La nouvelle conception de l’entreprise que nous proposons, et qui s’appliquera notamment aux entreprises bancaires, aura pour conséquence mécanique de faire obstacle aux structures juridiques anonymes qui nous viennent du droit anglo-saxon et qui ont permis l’organisation des paradis fiscaux en réseaux tels que nous les connaissons actuellement. Signalons également que la réforme de l’entreprise permettra de rendre à la profession de journaliste les lettres de noblesse qu’elle a depuis longtemps perdu en raison de son asservissement aux apporteurs de capitaux.

Tous les abus que nous connaissons actuellement tels que les distributions abusives de dividendes, les parachutes dorés et autres gratifications indues de dirigeants complaisants, dont les intérêts font corps avec leurs donneurs d’ordres capitalistiques seront structurellement rendus impossibles. Ces abus sont dus à la subversion de « l’entreprise » tombée entre les mains des apporteurs de capitaux qui, à la faveur de différentes théories juridiques issues du droit anglo-saxon, se sont appropriés l’entreprise. Signalons au passage que ces mêmes dominants capitalistiques se sont, d’une façon similaire, appropriés les États en s’emparant du contrôle de leurs monnaies respectives.

En instaurant la réforme de l’entreprise, l’État s’érigera à nouveau en « législateur », il reprendra le contrôle des entités économiques dont la taille, positivement démesurée, développée sur le modèle de la cartellisation, leur octroie un poids économique qui supprime de facto toute réelle possibilité de concurrence. Rappelons en outre que, dans le contexte actuel, les États eux-mêmes sont devenus des coquilles vides de toute substance politique réelle, puisque par le biais du parlementarisme représentatif issu du modèle britannique ils font office de simples courroies de transmission des ordres donnés par les puissances capitalistiques privées (qui financent les partis politiques et le spectacle des innombrables élections, aussi inutiles qu’elles sont onéreuses).

Pour revenir à la question des entreprises, il faut constater qu’aujourd’hui, partout sur la planète, la très grande majorité des petites et moyennes entreprises sont sous la dépendance économique de fait, lorsqu’il ne s’agit pas d’une dépendance de droit, des multinationales protéiformes que les gouvernements successifs ont renoncé à réguler depuis de trop nombreuses années. Ce qui est vrai au niveau mondial l’est tout autant, sinon plus, au niveau français, État qui a par ailleurs connu une incroyable perte de substance économique ces quarante dernières années.

Cette réforme de l’entreprise rendra aux salariés et à toutes les entités devenues « dépendantes économiques » – y compris celles qui sont formellement indépendantes – la place statutaire qui les mettra sur un plan d’égalité avec les apporteurs de capitaux. Les apporteurs de travail, comme les apporteurs de capitaux, utiliseront le droit commun pour régler leurs différends. Le droit commun est, par essence, le « droit civil », ce dernier devant toutefois être revisité afin d’être expurgé de ses scories. Le droit du travail comme le droit commercial, qui sont des droits d’exception, perdront de facto leur utilité et leur raison d’être, et seront donc voués à disparaître. Les difficultés, quelles qu’elles soient, qui surgiront dans les rapports au sein de l’entreprise nouvellement conçue seront désormais régies par le droit commun, en particulier le droit de la responsabilité civile.

Réformer la notion juridique d’entreprise sera ainsi le premier pas, fondamental, vers une reconnexion de la France avec son droit traditionnel, couramment appelé « droit continental », entièrement compris comme le droit civil à usage commun. La disparition de la distinction artificielle entre droit commercial et droit civil sera anéantie au profit de la renaissance du droit civil, seul droit véritable dont la vocation est la recherche de la vérité, de la justice et du commun intérêt. Cela nécessitera de revenir sur les récentes modifications du droit civil français qui ont eu pour objectif d’aligner ce droit sur les préceptes du droit commercial, mettant ainsi l’intérêt commun au service de l’intérêt particulier des dominants économiques.

Cette réforme entraînera nécessairement le retour à une véritable « codification » du droit, en opposition au concept de compilation de codes qui nous a été, peu à peu, imposé par la domination juridique anglo-saxonne ; la tendance à la normalisation du droit selon et au profit du droit anglo-saxon (structurellement au service des dominants économiques) sera ainsi contrecarrée.

Avec une saine réforme de l’entreprise, les solutions juridiques d’anonymisation des capitaux tels que les trusts anonymes et les empilements de structures, qui génèrent spontanément de l’anonymat, seront remplacées par une forme unique et contrôlée de personnalité professionnelle. Dans ce contexte, les conventions fiscales d’échanges d’informations perdront leur pertinence dans le même temps que l’État récupèrera le contrôle des richesses créées par ses ressortissants sur son territoire ou, accessoirement et de façon résiduelle, hors de ses frontières.
L’entreprise une fois juridiquement réformée, il sera beaucoup plus simple pour le pouvoir politique de contrôler les évasions de capitaux qui deviendront beaucoup plus apparentes. D’une part puisque les banques, aujourd’hui en situation de domination, ne pourront plus organiser et déguiser les transferts internationaux de capitaux via des entités opaques. D’autre part, parce qu’en cas d’évasion fiscale, les bénéficiaires réels de ces transferts apparaîtront immédiatement aux yeux de tous. L’opacité capitalistique, qui deviendra l’exception, sera considérée comme dérogeant au droit et donc pénalisée à la mesure des dommages induits.

D’une façon générale, il faut bien comprendre que la justice fiscale est très intimement liée à la qualité de l’ordre juridique dans lequel l’organisation économique et fiscale s’inscrit. Sa clé de voûte est-elle la recherche de la vérité et de la justice, comme c’était le cas du droit continental formulé autour du droit civil, aussi appelé droit commun ? Ou est-ce la recherche obstinée de moyens nouveaux et toujours plus sophistiqués pour dominer et asservir les populations, un objectif historiquement rempli par le droit anglo-saxon ?

Chercher à rétablir la justice fiscale nécessite donc de réinvestir la fonction historique de la France dans son rôle de modèle normatif, qui seul permet le développement d’une civilisation. Il s’agit d’une rupture majeure avec toutes les prétendues « modernisations » du droit, qui sont en réalité des régressions multiséculaires, dont nous avons été collectivement victimes, de façon accélérée – bien que la perversion du droit remonte à bien plus longtemps – depuis le début des années 2000 ; une mode lancée dès la fin des années 90 dans le contexte de la ratification du Traité de Maastricht, lequel a participé à l’accélération de la conformation du droit français traditionnel au droit anglo-saxon.

Valérie Bugault est Docteur en droit, ancienne avocate fiscaliste, analyste de géopolitique juridique et économique.

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