Avec l’assassinat de Ganard Joseph, la démocratie haïtienne est en veilleuse

 Avec l’assassinat de Ganard Joseph, la démocratie haïtienne est en veilleuse

« Mon seul combat, c’est le pays. Je ne cherche pas à voir Grand-chose pour moi » (Ganard Joseph)

Je fis connaissance de Ganard Joseph via une amie commune, Tina Lorquet. Je n’avais jamais eu le privilège de rencontrer l’homme en personne. Cependant, nos multiples échanges via téléphone et autres moyens m’avaient permis de vérifier son caractère exceptionnel. Deux sujets reviennent toujours dans nos mille et une conversations : sa fille et son pays. Deux thèmes fondamentaux qui me sont aussi très chers, ce qui avait permis une connexion automatique entre nous. Famille et Patrie.

Ganard Joseph fut ce qu’on pourrait considérer de plus noble qu’un pays pouvait produire. Son désintéressement, son humanisme et ses engagements socio-politiques sont les principaux jalons de sa courte vie. Né le 6 juin 1988, fauché brutalement par une mort soudaine, il n’avait pas eu la chance de voir matérialiser son rêve de progrès social pour tous. 

Ganard Joseph vivait pour sa communauté, « Cité Soleil », le plus grand bidonville du pays, où la vie semble s’arrêter depuis le 16 mai 2020, quand les criminels du pouvoir l’avaient lâchement abattu.

Le vendredi 22 Mai, plusieurs milliers descendaient dans les rues de « Cité Soleil » pour rendre hommage a Ganard Joseph et pour exiger que justice soit rendue en sa faveur.  Des hommes lourdement armés firent apparition et commencent à tirer dans toutes les directions, ce qui a dispersa les manifestants dans une grande confusion. C’était exactement ce qu’il combattait, la prise en otage des habitants de la zone.

Toutefois, l’assassinat de Ganard suscita beaucoup de réactions de la classe politique et de la société civile.

Antonio Cheramy, allias Don Kato, un ancien sénateur de la république, publia une note dans laquelle il déclara et je cite :

« Ganard Joseph avait beaucoup d’aspiration, c’est ainsi qu’il avait pu tenir le flambeau de la mobilisation populaire dignement contre l’injustice et l’exclusion dans sa commune, Cité Soleil, là où il avait pris naissance. Il avait démontré sa conviction a travers sa réaction contre les multiples tentatives d’acheter sa conscience par des offres alléchantes de plusieurs milliers de dollars. Il se tenait debout et ferme pour exiger de meilleures conditions de vie pour tous, sans exclusion de race, de classe ou d’éducation. » 

Pierre-Louis Marie Avriette, une amie de combat, ce qui l’avait toujours frappé en Ganard, c’était « sa modestie, sa jovialité, son amour pour les autres, en particulier les plus vulnérables de la société haïtienne, son perpétuel optimisme et son pays. »

André Michel, porte-parole du secteur démocratique et populaire réagissait avec colère et pointa du doigt l’actuel ministre de l’intérieur comme « un traitre qui connait très bien les militants de l’opposition démocratique et populaire pour les voir côtoyés. Avant même d’entrer en fonction, Mr. Audain Fils Bernadel, une responsabilité pour laquelle il n’est pas du tout qualifié, le pouvoir PHTK savait l’utiliser pour identifier et faire abattre des militants d’avant-garde. »

Des organisations défendant les droits humains et civiques, des personnalités du monde politique et de l’intelligentsia… toutes dans un concert de dénonciation, avaient mis en le pouvoir en garde contre cette campagne de répression sanglante contre l’opposition. A rappeler, qu’au mois de septembre de l’année dernière, Josemano Victorieux, dit Badou, membre du parti politique « Pitit Dessalines » (les fils de Dessalines, le fondateur de la patrie haïtienne) a été abattu de plusieurs balles, un farouche opposant du régime en place. Au mois de Novembre 2019, Arnel Bélizaire, un ancien député, Semelus Pierre Killick et 5 autres furent arrêtés et jetés en prison, tous des opposants qui vivent a cité soleil ou zones environnantes.

 « Cité Soleil », une banlieue extrêmement appauvrie, représente stratégiquement la clef du pouvoir politique en Haïti. Nul ne peut espérer d’être élu président en Haïti sans les votes des citoyens de cette favela tropicale. Aujourd’hui on estime à plus de 500.000 le nombre d’habitants qui partagent les 21.81 kilomètres carrés. Á rappeler que l’actuel président d’Haïti fut « élu » officiellement avec 590.927 voix, ce qui donne une idée du poids électoral de ce bidonville considéré par plus d’un comme une forgeuse de gouvernement.

Dans un pays où la faiblesse des institutions politiques et étatiques est remarquable, l’option privilégiée reste la monétarisation et la gangstérisassion de la vie politique. Le militant socio-politique, Ganard Joseph, s’opposait vigoureusement à cet état de fait. Il optait pour la démocratie.  Il se trouvait enclaver entre un pouvoir totalitaire qui maintient indéfiniment ses griffes sur le pouvoir et un groupe de politiciens totalement motivés et aguerris à s’en emparer aussi. 

Il y a plus d’une douzaine de gangs armés à « Cité Soleil » disputant chaque mètre carré de ce territoire. 80% d’entre eux sont contrôlés par le pouvoir en place.  Voilà l’environnement dans lequel évoluait Gannard Joseph. Des camarades essayaient de le convaincre de quitter la cité, d’aller vivre ailleurs là où les jeunes vivent plus longtemps ; mais, il en avait toujours refusé. Car, sa présence maintenait le fragile équilibre entre les fractions armées_ un atout nécessaire pour empêcher toute la zone de sombrer dans une violence inouïe. Il le savait pertinemment, et il ’était aussi conscient du risque encouru. Il ne voulait pas lâcher les pauvres citoyens vulnérables  livrés à eux-mêmes aux jeunes lourdement armés qui dictent aujourd’hui encore leurs lois.  

Maintenant, Ganard Joseph n’est plus. Le pire est à craindre.

D’après ce qu’on dit, la date des élections générales approche.  Il est donc urgent de sauter tout potentiel obstacle au contrôle de l’électorat de la Cité. Ganard Joseph fut un emmerdeur ; il fallait l’abattre. C’est ainsi que beaucoup de militants pour la démocratie qui refusent de courber devant la peur qui s’installe, de la corruption qui gangrène, et la militarisation des ghettos sont assassinés.  Des massacres orchestrés par le gouvernement pour établir ou rétablir sa mainmise sont enregistrés périodiquement. Le 13 novembre 2018, un massacre  eut lieu à Lasaline, un quartier défavorisé de Port-au-Prince D’après un rapport du « Réseau National de Défense des Droits Humains-RNDDH », « 38 personnes furent tuées, 4 femmes violées et plusieurs portées disparues.» Le nom du délégué présidentiel départemental de l’ouest, Joseph Pierre Richard Duplan, fut cité comme le principal instigateur de l’acte.

Selon un autre rapport du RNDDH, du 5 au 13 juillet 2019, un autre massacre fut perpertré, coutant la vie à 20 personnes, 2 portées disparues et 6 blessées. Encore une fois, le nom du délégué du président Jovenel Moise, Joseph Pierre Richard Duplan fut cité en plus du directeur du ministère de l’intérieur, M. Fednel Monchery, deux inconditionnels défenseurs du pouvoir en place.

De plus, on enregistra une escalade de la violence à une vitesse disproportionnée durant les mois qui avaient précédé l’assassinat de Ganard Joseph. Des militants du camp populaire et démocratique n’avaient pas trop beaucoup de choix : gagner la terre d’exil, mourir ou se battre contre la dictature. 

Depuis le 15 janvier 2020, l’une des branches de l’état, le parlement haïtien, cessa d’exister. Le gouvernement avait délibérément choisi de ne pas organiser les élections qui devraient renouveler cette institution vitale. La justice est totalement vassalisée et intégralement incorporée à l’exécutif. Donc, le président dirige par décret, ce qui est en flagrant contraste avec la constitution haïtienne et qui constitue un accroc majeur au fonctionnement normal d’un état de droit. Tous les pouvoirs étatiques se trouvent concentrés entre les mains du « président » de la république. Il fait et défait comme bon lui semble, sous les applaudissements et l’approbation de Washington.  

 La démocratie est en veilleuse en Haïti. La république est en émoi. Les libertés publiques cessent d’exister. Les militants, qui résistent, meurent dans le silence de la communauté internationale. Ainsi est défini l’avenir de plus de 12 millions d’hommes et de femmes à l’aube du 21e siècle. Ganard Joseph, la dernière victime en date du combat pour l’établissement d’un état de droit en Haïti. 

Joël Leon


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