Et donc, un « journaliste » : Pierre Gilbert. Travaillant pour un média « de gauche » : « Le Vent Se Lève » (LVSL). Le genre de média (de gauche, donc) qui te demande importunément de lui donner des sous dès l’instant où tu arrives sur son site (sans même te laisser l’opportunité, en premier lieu, de lire ce qu’il produit) ; le genre de média qui s’oppose à « l’adversaire néolibéral », à « l’hégémonie néolibérale », mais pas (pas dans le long texte qui le présente, du moins) au capitalisme, cependant qu’il se réclame de « la pensée marxiste ». Rien d’étonnant, la gauche, en somme.
Cette gauche selon laquelle une bonne société techno-industrielle, bio, plus ou moins locale, et démocratique (en tout cas plus démocratique que nos démocraties actuelles — que ladite gauche ne rechigne pas à considérer comme des démocraties —, en tout cas, « de gauche »), pourrait exister, à condition que la gauche (du moins, cette gauche) prenne le pouvoir, et remplace la droite.
Un « journaliste », et « de gauche », donc, c’est-à-dire un journaliste selon lequel il nous faudrait « une puissance publique digne de ce nom, un État fort capable de maîtriser ses frontières et de se libérer des carcans », pour une « France verte et universaliste ». Ô Gloire. Ô nationalisme « de gauche », incomparablement supérieur à celui de droite.
Un « journaliste », et « de gauche », et nationaliste donc, pour lequel « les énergies renouvelables sont non seulement fonctionnelles, mais essentielles » (pour parvenir à une société techno-industrielle biodurable et démocratique, ou, du moins, « de gauche », à une « France verte et universaliste »). Un journaliste qui, pour cette raison, a plutôt mal digéré le documentaire de Jeff Gibbs, Planet of the Humans, auquel Michael Moore a associé son nom, et qui se demande alors : « comment Michael Moore peut-il tomber si bas ? »
On le comprend, puisque, dans sa perspective, critiquer les renouvelables est foncièrement absurde, insensé. Il faut bien produire de l’énergie pour alimenter la mégamachine que la gauche dispute à la droite, et ses industries et ses technologies (« vertes »). Certes, certaines technologies « renouvelables » ou installations de technologies renouvelables sont mal fichues. Mais alors le problème, selon notre journaliste de gauche : « cela s’appelle le capitalisme ». Tiens donc. Le capitalisme ? Pas juste le néolibéralisme ? Le capitalisme ? Pourtant, dans une interview accordée au magazine écolo radical Kaizen (créé par le radical Cyril Dion), ledit journaliste se range derrière la perspective d’un « État […] capable de brider le capitalisme ». Là. On retrouve le propos de la présentation du média LVSL. Le problème, c’est le néolibéralisme — notre journaliste a sans doute eu un moment de faiblesse — pas le capitalisme, et surtout pas l’État.
Ce qui explique pourquoi notre journaliste de gauche promeut lui aussi un Green New Deal. Pourquoi, dans ladite interview publiée dans Kaizen, il promeut le livre Drawdown : Le plan le plus complet jamais proposé pour inverser le réchauffement climatique (Actes Sud, 2017), de Paul Hawken, lequel est notamment connu pour sa promotion d’un « capitalisme naturel » (c’est le titre d’un de ses livres, « un des cinq meilleurs livres du monde » selon Bill Clinton). Ce qui explique aussi pourquoi notre journaliste de gauche cosigne un texte avec Gaël Giraud, un économiste qu’il admire beaucoup, et qui promeut, quant à lui, un « capitalisme viable », couplé à un système industriel vert. Gaël Giraud — ancien chef économiste de l’AFD (l’Agence Française de Développement, organisme d’État chargé de perpétuer la mission civilisatrice, c’est-à-dire la mission coloniale d’expansion de l’industrialisme et de son socle, le capitalisme, c’est dire le révolutionnaire anti-système auquel on a affaire) — se trouve être le président d’honneur de l’Institut Rousseau, un « think tank de gauche » (et même « à gauche de la gauche » ! dixit Le Monde) dont Pierre Gilbert est « responsable des affaires générales au sein du conseil d’administration ». Dans le texte qu’ils cosignent (avec un troisième larron du même « think tank », Nicolas Dufrêne), nos penseurs de gauche font la promotion d’une « réindustrialisation verte » créatrice d’emploi, reposant notamment sur « l’amélioration des technologies d’énergie renouvelable, de la chimie non thermique, de l’industrie bio-inspirée, de l’ingénierie organique et biomimétique », laquelle requiert « un effort considérable de R&D pour devenir la substance de la prochaine révolution industrielle ».
Bref, un journaliste de gauche comme il y en a beaucoup, qui fait honneur à l’institution scolaire qui l’a formé (Sciences Po) en vantant l’escroquerie absurde d’une société industrielle intégralement ripolinée en vert, avec aliénations et coercitions vertes et « de gauche », domination verte et « de gauche », esclavage salarial « vert » et « de gauche », exploitation des « ressources » naturelles « verte » et « de gauche », etc.
Et pourtant, le credo du média (LVSL) pour lequel il travaille stipule : « Tout reconstruire, tout réinventer ». Faut-il se foutre du monde. En réalité, plutôt : « Garder l’essentiel, le peindre en vert ». La société industrielle qu’ils appellent de leurs vœux ressemble comme deux gouttes d’eau à la présente société industrielle, dont ils entendent conserver le principal (l’État, l’industrialisme, le capitalisme, le « développement », le Progrès technique). Tout ce que proposent ces idiots utiles du technomonde capitaliste, c’est de changer le dosage des ingrédients infects de la présente recette pour cuisiner à peu près la même tambouille infâme, mortifère.
C’est pourquoi PMO (Pièces et Main d’Œuvre) rétorquait récemment à la CGT (qui relève à peu près de la même gauche que LVSL) :
« À cet égard, nous vous le disons nettement : toute chance d’un avenir quelconque, et a fortiori “démocratique, écologique, féministe et social”, exige non seulement le renversement du capitalisme “financiarisé” ou productif (“l’économie réelle”), ainsi que vous le souhaitez, mais surtout le démantèlement de la “Machinerie générale” (Marx) à l’échelle mondiale et locale.
Nous ne voulons pas, nous, Pièces et main d’œuvre, remplacer le capitalisme par la technocratie ; ni les actionnaires privés par l’État et/ou par les directeurs, cadres, ingénieurs et scientifiques ; ni la droite par la gauche.
Nous refusons donc votre revendication visant à soustraire “les secteurs essentiels à la vie de la population (…), l’eau, le gaz, l’électricité (…) des mains des capitalistes pour en faire de grands monopoles publics.” L’industrialisme — libéral ou communiste —, la grande organisation, la planification d’ensemble et centralisée, non merci. »
Ailleurs :
« Nous refusons […], avec la même révolte, la Machine bleue, blanche ou rouge. Nous ne voulons pas socialiser Amazon ni STMicroelectronics, nous voulons les fermer. »
Puisque :
« Notre survie réside au contraire dans le démantèlement de la société industrielle et l’abolition de l’appareil d’État, dans la décroissance, la réappropriation des savoir-faire artisanaux et paysans, à taille humaine et à l’échelle locale. »
Nicolas Casaux
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