La mondialisation heureuse a connu son apothéose autour de 2010. On achetait des bébelles au Dollarama, on prenait l’avion comme le taxi, les touristes indiens faisaient du traîneau à chiens dans Charlevoix, nos vêtements venaient de Thaïlande, les élites buvaient leur latté Starbucks à Dubaï entre deux colloques en anglais. C’était il y a 10 ans, un siècle, une éternité.
Dieu qu’on nous a cassé les oreilles avec cette idée de la mondialisation inéluctable semant le bonheur sur les marchés et les continents. Nous en avions pour des années de ce concept fracassant, et tant pis pour les territoires dévastés et les populations laissées pour compte. L’histoire avançait, et elle fait toujours des malheureux.
Certes, ces dernières années, l’histoire avait quelques cailloux dans ses chaussures. Un peu partout, on a vu pointer des signes que des exclus en avaient ras le bol d’être en périphérie du party : le mouvement des gilets jaunes en France, celui du Brexit au Royaume-Uni ; les voix des environnementalistes et des décroissantistes, accusant la mondialisation de nous mener directement vers un mur.
Mais le symptôme le plus fort fut l’élection de Donald Trump. Le milliardaire insolent a été porté par une vague de citoyens déclassés, dont les jobs fuyaient en Chine et au Mexique. Son patriotisme vengeur a résonné fort chez toute une partie de la population américaine. Son mur emblématique, qu’il construit pour « protéger » son pays des hordes venues du Sud, n’est pas unique. À l’heure du libre-échange, jamais le monde n’a-t-il compté autant de murs. On en dénombre aujourd’hui 70, notamment en Israël, au Maroc, en Hongrie.
Tous ces phénomènes ont en commun un certain nationalisme, généralement perçu comme un empêcheur de mondialiser en rond, comme un repli sur soi. Au Québec, il y a longtemps que la gauche progressiste chante cet air-là : le nationalisme québécois serait raciste et passéiste. Mais, depuis quelques années, l’idée de l’État-nation qui prend ses affaires en main marquait un retour.
Quand survient une catastrophe de cette ampleur, les gens ont le réflexe de se tourner vers la seule autorité en qui ils ont réellement confiance : l’État-nation.
Puis est survenu le coronavirus. D’abord au cœur de la Chine, symbole incontestable de cette mondialisation. Le virus s’est ensuite propagé en Corée du Sud, en Iran, en Italie. Il n’a pas de passeport, ne connaît pas les frontières ; un vrai bum mondialisé. Très vite, il est apparu que le seul moyen de freiner la progression du mal était l’isolement. Des régions, des pays entiers ont ainsi été mis en quarantaine. L’unique solution au mal, le virus, est « le » mal : le repli national sur soi.
Quelle ironie ! Cet objet de mondialisation extrême heurte de plein fouet la mondialisation économique, fait plonger les bourses, arrête net le moteur de toutes les usines du globe, cloue les avions au sol. Les frontières se bouclent, les voyageurs sont suspects, les flux sont interrompus. La mondialisation est mise à off.
Nul ne peut prédire combien de temps durera la crise ni quelles en seront toutes les conséquences. Mais, sur le front de la mondialisation, quel sera l’état des troupes une fois la pandémie endiguée ?
Certainement, l’obsession sécuritaire sera renforcée. La pandémie donne beau jeu à ceux qui perçoivent les flux de populations migratoires comme une menace. Verra-t-on monter les appuis aux partis politiques qui prônent la fermeture des frontières ? On peut le craindre. On peut aussi imaginer que les identités nationales, qui tendaient à se dissoudre dans des ententes suprarégionales, ressurgiront. Des choses laides et excessives sont à prévoir.
Un aspect plus sain pourrait toutefois se dessiner. Quand survient une catastrophe de cette ampleur, les gens ont le réflexe de se tourner vers la seule autorité en qui ils ont réellement confiance : l’État-nation. Les chefs d’État responsables prennent des mesures difficiles, mais nécessaires. Comme François Legault, impeccable au Québec, ils rassurent les citoyens et agissent pour le bien de tous.
À long terme, les États-nations pourraient se parer de toutes les vertus. Un nationalisme économique qui s’accompagnerait d’une interrogation sur la mondialisation sera sûrement envisagé, pour les bonnes raisons. Non pas comme un repli chauvin et nostalgique (« Make America great again »), mais par respect des populations, de l’environnement, par souci de traçabilité des productions.
Un État moderne peut être fiable, responsable, respectueux et innovateur. Un nationalisme sain peut-il être propulsé par la pandémie ? Probablement. Chose certaine, autant les événements de septembre 2001 ont transformé durablement la marche du monde, autant ceux de l’hiver 2020 vont agir en profondeur.
Si tout ça aboutit à une remise en question, même partielle, de la manière dont le progrès et l’économie s’envisagent, tout n’aura pas été perdu.
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Source: Lire l'article complet de Vigile.Québec