La logique du marché pétrolier est imparable. Le mois dernier, nous écrivions :
Le coronavirus a créé un trou d’air d’une trentaine de millions de barils par jour, et ce n’est pas la réduction de 10 millions décidée ce week-end qui y changera quelque chose. Malgré les quotas, le prix du pétrole restera très bas et ruinera quand même une partie du schiste états-unien, secteur surendetté.
Nous touchons là un point très important : la « victoire » médiatique américaine n’en est en réalité pas une. Si Washington ne peut légalement contrôler ses producteurs privés, c’est le marché qui le fera. Plusieurs observateurs (ici, ici ou ici) tablent sur une réduction forcée de la production US de l’ordre de 2 millions de barils par jour, chiffre qui n’est pas très éloigné de la Russie ou de l’Arabie saoudite.
Nous serions donc en présence d’un accord général entre les gros bras pétroliers de la planète qui, sous des formes diverses (qui l’Etat, qui le marché), réduiraient tous leur production.
Puis, quelques jours plus tard :
L’accord OPEC+ censé soutenir les cours de l’or noir n’a évidemment eu aucun effet (rappelons qu’il faudrait une réduction supplémentaire de 20 millions de barils par jour pour voir la courbe s’inverser) et la dégringolade continue. Les premières faillites se font jour dans le schiste US, les appels au secours se multiplient et, comme prévu, l’on parle de plus en plus de coupes claires dans la production, de gré ou de force. Le très respecté cabinet d’analyse norvégien Rystad Energy prévoit une chute d’environ 2 millions b/j, soit exactement le chiffre que nous rapportions avant-hier.
Bingo ! Le nombre de puits en activité s’écroule plus vite que prévu aux Etats-Unis. La production devrait tomber de 1,7 millions de barils par jour dès la fin juin et les Russes pensent que la baisse, chez leur grand adversaire, atteindra 2 à 3 millions de barils à la fin de l’année. Soit peu ou prou le même effondrement que l’ours et le chameau. De quoi décapiter la belle dynamique US engagée il y a une dizaine d’années…
Au risque de me répéter, une petite remarque en passant sur ce graphique (arrêté au 29 février, avant le cataclysme). Les tenants de l’amusante théorie selon laquelle Washington ferait des guerres pour « voler le pétrole » devraient logiquement conclure de cette courbe que, la production ayant plus que doublé depuis 2010, l’impérialisme US a diminué en proportion. Ukraine, Syrie, Venezuela, Iran, multi-sanctions contre la Russie, guerre commerciale contre la Chine, THAAD en Corée du sud etc. sont là pour nous montrer le contraire, réduisant en cendres cette légende urbaine.
Mais revenons à notre dégringolade. Fait propre à faire se retourner dans sa tombe le turpide J.R. de Dallas, jamais le nombre de puits pétroliers et gaziers n’a été aussi faible aux Etats-Unis depuis que leur comptage a été instauré en… 1940 ! L’écroulement énergétique a entraîné celui des activités annexes et les régions concernées mettront des années à s’en remettre.
Est-ce pour punir l’Arabie saoudite que Washington a décidé de retirer quatre batteries Patriot du royaume wahhabite ? Officiellement, leur déploiement était temporaire face à l’inénarrable « menace iranienne » ; celle-ci ayant décru, l’armée américaine rapatrie son matériel. En réalité, laisser les batteries en place ne lui coûtaient rien et le geste paraît avant tout symbolique.
Cette décision, qui serait considérée comme renforçant la souveraineté nationale dans tout autre pays, est en effet vue comme une punition par les couardes pétromonarchies. Nous en parlions il y a une dizaine de jours :
Selon les sources, le Donald aurait menacé MBS de retirer ses troupes d’Arabie saoudite si celle-ci ne coupait pas les vannes et ne trouvait pas un accord au sein de l’OPEP. Et la dépêche de continuer : « Le leader de facto du royaume était si surpris qu’il a ordonné à ses assistants de quitter la pièce afin de continuer la conversation en privé ». Paniqué, le Seoud a fini par se rendre aux arguments américains. Maître, ne nous laisse pas seuls face à l’Iran…
S’il est impossible de vérifier la véracité du déroulé de la discussion, la chose est très vraisemblable. La poltronnerie des pétromonarchies du Golfe, dont les armées Potemkine sont bourrées de gadgets achetés à prix d’or, est proverbiale. Incapables de se battre, comme on le voit au Yémen, elles reposent principalement sur l’argent et le mercenariat. La Saoudie, dont le budget militaire est cinq fois plus élevé que le budget iranien, a préféré baisser pavillon et se lover confortablement dans les bras de tonton Sam.
Un oncle Sam qui, vraisemblablement, a quand même voulu marquer le coup a minima vis-à-vis de sa pétromonarchie préférée. Ces chamailleries doivent en tout cas beaucoup amuser du côté de Téhéran…
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