Sergueï Lavrov : « Le monde multi-polaire n’est plus un simple slogan publicitaire mais une réalité de long terme sur laquelle nous devons tous travailler ensemble »

Sergueï Lavrov : « Le monde multi-polaire n’est plus un simple slogan publicitaire mais une réalité de long terme sur laquelle nous devons tous travailler ensemble »

par Marc Barnovi.

Résumé :

Lors d’une émission télévisée en Russie diffusée le 25 avril 2020 ; le Ministre des Affaires Étrangères de la Fédération de Russie, Sergueï Lavrov, explique dans les meilleurs termes que le monde multi-polaire est et agit, n’en déplaise aux forces euro-atlantistes maladivement ancrées sur leur exceptionnalisme fabulateur.

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Marina Kim lors d’une émission du « Grand Jeu »

« Le Grand Jeu » est une émission télévisée russe de la « Première Chaîne » retransmise sur YouTube. Dernièrement, le 25 avril 2020, le Ministre des Affaires Étrangères russe, Sergueï Lavrov, était l’invité. L’émission était organisée à distance. Ci-après les liens pour l’émission et la retransmission sur YouTube.

« Les réponses de Sergueï Lavrov au cours de l’émission « Grand Jeu » sur la 1ère chaîne télévisée russe, Moscou, 25 avril 2020 ».

Je veux préciser que cette émission « Le Grand Jeu » se déroule, le plus souvent, sous la forme d’interviews ou de débats, et produit analyses et commentaires sur des faits d’actualité en lien avec la politique internationale, la Russie et ses relations, notamment, avec les « partenaires occidentaux ».

L’émission est menée par deux experts, Viatcheslav Nikonov et Dimitri Simes. Ce dernier vit et travaille à partir de Washington et se rend régulièrement à Moscou mais, cette fois, s’exprime à partir de Washington dans le cadre de la crise du coronavirus. Je dois également remarquer que la beauté et l’intelligence de la médiatrice, Marina Kim, ne remettent en question le fort intérêt de cette émission, bien au contraire.

L’émission dure 1H10 mais j’ai décidé de ne traduire que la partie YouTube [21.31-57.02].

En effet, en répondant à trois questions, Sergueï Lavrov aborde et analyse les sujets principaux pouvant envenimer ou améliorer les relations de la Russie avec les pays de ce que l’on appelle le « camp atlantiste ».

Comme l’indique à la fin de notre extrait Sergueï Lavrov, « J’espère que dans le cadre de cette pandémie de russophobie qui prend de nouveau de l’ampleur, Dimitri nous le rappelait en début d’émission, nos propositions vont être étudiées par des professionnels et non des politiciens ».

Viatcheslav NIKONOV : VN
Dimitri SIMES : DS
Marina KIM : MK
Sergueï LAVROV : SL

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DS [21.31-22.58] :

Ce que vous avez décrit aujourd’hui, votre analyse de la situation internationale, c’est vraisemblablement ce que vous ressentez et pensez depuis longtemps. Le fait que l’on apprécie peu dans le monde le rôle de l’Etat souverain est un thème que vous et Vladimir Poutine avez abordé à de multiples reprises.

Je pense que le manque de bonne volonté et de possibilités de coopération internationale, notamment lors de situations critiques (comme celle avec la pandémie du coronavirus) n’a pas été pour vous une surprise.

Je n’ai jamais entendu, venant de vous, de louanges pour l’idée d’un ordre mondial libéral qui s’appuie sur le credo que les démocraties forment le système idéal, qu’elles sont plus humaines et, de là, ont des droits particuliers dans l’arène internationale.

Vous en avez parlé plusieurs fois et nous avons pu constater tout cela ces dernières semaines.

Mais vous avez connu des surprises. Que s’est-il donc passé ? Qu’avez-vous vu et qui vous a frappé?Qu’est-ce qui vous a étonné et, peut-être, dans une certaine mesure, qui vous montre encore une fois que la situation n’est pas simplement mauvaise mais encore pire que vous ne le pensiez ? Il est possible que vous ayez vu de nouvelles possibilités ? Racontez-nous, svp.

SL [22.59-32.38] :

Merci beaucoup Dimitri. Vous avez absolument raison.

Dans le fond, nous voyons actuellement, et je fais ici attention à ne pas pécher de pédanterie, nous voyons tout de même que les idéaux, les concepts que nous promouvions avant l’infection du coronavirus sont de plus en plus rappelés à l’ordre. Non pas que nous critiquions le principe même de démocratie. Vous l’avez parfaitement dit, nous soulignions que le système classique de démocratie libérale, l’idéologie libérale et, encore plus, les approches néo-libérales qui supposent l’absolutisation de tout ce qui est lié au désir ou au domaine de l’individu, s’est de lui-même épuisé.

L’interdépendance, l’inter-connectivité dans le monde moderne a détruit les frontières qui peuvent protéger de certaines menaces, notamment du terrorisme, du trafic de drogues, du crime organisé et maintenant, des maladies contagieuses, infectieuses ou non, depuis longtemps sujet de préoccupation de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et de nous tous.

Oui, nous avons remarqué qu’il était nécessaire d’unir nos efforts pour lutter contre des dangers communs et que, pour cela, nous devions valoriser et solliciter le rôle des États souverains.

Tenter d’asservir les États souverains en les chapeautant avec des structures bureaucratiques supranationales est un fait avéré.

Je l’ai rappelé auparavant, déjà bien avant la pandémie, ces structures ont connu de graves tensions, par exemple, à l’intérieur de l’Union Européenne, et sont l’objet de toute une série de discussions comme celle entamée sous l’initiative du Président Macron qui demande comment l’Union Européenne peut continuer à exister, ce qu’elle est aujourd’hui et comment elle va se développer. Vous connaissez l’idée des cercles concentriques…

Je suis d’accord avec ce que vous avez dit. Sans me méprendre, avec toutes les différences qu’il peut y avoir entre les pays dits démocratiques, même nos collègues américains en leur temps ont tenter de catégoriser les pays dans le monde selon le lien qu’ils avaient avec la démocratie : les démocraties libérales, les démocraties moins libérales, les démocraties autoritaires et les régimes autoritaires non-démocratiques. Le classement ressemblait à cela.

Cependant, « démocratie » est un terme à la signification très large qui recouvre de nombreux systèmes étatiques, notamment ceux que certains politologues veulent ou préfèrent appeler autoritaires ou montrant des signes d’autoritarisme.

Mais, vous savez, il y a quelque temps, Madeleine Albright[1] avec qui j’ai été conduit à travailler, notamment à New York lorsqu’elle a été nommée Secrétaire d’État, a proposé une initiative qui, jusqu’aujourd’hui et sous une certaine forme, continue d’exister : l’Alliance des États Démocratiques (la Communauté des démocraties[2]).

Les États-Unis étaient seuls à définir leurs propres critères et ont rassemblé dans cette alliance ceux de leur liste qui étaient prompts à en devenir membre. En fait, il s’agissait d’une tentative de saper l’autorité des organisations multilatérales, des organisations internationales gouvernementales, en premier lieu du système fédérateur de l’ONU.

L’ONU est une structure unique, à la légitimité unique, avec ses membres affiliés venant, dans les faits, du monde entier. Je considère que sa charte reste toujours parfaitement actuelle. À ce propos, il n’est pas inutile de rappeler le jour où ont débuté les négociations portant sur cette charte de l’organisation qui a ensuite été paraphée à San-Francisco[3]. En octobre, on fêtera les 75 ans du véritable début de fonctionnement de l’ONU.

Nous observons aujourd’hui une autre tendance également intéressante concernant les structures multilatérales. L’année dernière, la France et la Grande-Bretagne ont proposé de créer une « alliance pour le multilatéralisme », structure proclamée par les deux pays dans laquelle ils ont invité certains à participer dans le but de garantir un ordre mondial fondé sur le droit.

Cette terminologie nous est connue depuis longtemps. On a essayé de savoir en quoi cela pouvait être différent du droit international que tout le monde jusqu’à présent défendait. Nous n’avons reçu aucune réponse intelligible mais en voyant ceux qui sont conviés à promouvoir le multilatéralisme dans le souci de préserver l’ordre fondé sur le droit, on peut en déduire quelques conclusions.

Ainsi, lorsque la France et la Grande-Bretagne ont promu cette initiative, ils ont indiqué que c’était les institutions européennes qui allaient jouer le rôle-clef dans la gestion du multilatéralisme et que l’Union Européenne, elle, serait la pierre angulaire du système multilatéral, à savoir, la pierre angulaire de ce multilatéralisme.

Sur le fondement de cette philosophie se forment déjà des unions sectorielles spécifiques, des alliances sectorielles. On a élaboré « l’appel de Paris pour la confiance et la sécurité dans le cyberespace »[4]. Cela a été fait sur l’appui de nos efforts acharnés à promouvoir le thème de la sécurité du cyberespace selon un format universel et non dans le champ restreint de certains partenaires, si je peux m’exprimer ainsi.

À l’ONU, tous les États-membres de l’organisation mènent déjà actuellement un travail pour formaliser les règles de comportement responsable dans le cyberespace. La France, l’Allemagne ou n’importe qui d’autre ont toutes les bases de travail et ont tous les droits de participer à ce travail collectif. Cependant, on crée encore un mécanisme distinct pour les problèmes de confiance et de sécurité dans le cyberespace.

En parallèle de la structure onusienne s’est également mis à résonner un appel à l’action pour renforcer le respect du droit humanitaire[5]. Un peu plus de 40 pays y participent. Mais le droit humanitaire international ne se fonde-t-il pas sur les conventions internationales pour lesquelles sont signataires tous les États-membres de l’ONU ? Pourquoi donc créer une structure parallèle ?

Troisième exemple. Le partenariat international sur l’information et la démocratie[6]. C’est une initiative de Reporters Sans Frontières. Sur l’initiative de la France, il rassemble 30 États et ceux qui ne veulent pas travailler au soutien de la liberté de l’information… Je rappelle que déjà au début des années 1990, lors de la dernière année d’existence de l’Union Soviétique, on a commencé au sein de l’OSCE[7] à adopter une série de documents qui requéraient de chaque État membre de l’OSCE de garantir le plein accès à toute information, interne autant qu’internationale, à la fois à ses journalistes ainsi qu’à toute sa population.

Aujourd’hui, quand on ne laisse tout simplement pas entrer Russia Today et Sputnik à l’Élysée ou que la Grande-Bretagne s’ingénie à les pénaliser, qu’on les harcèle dans d’autres pays, ou encore en Estonie où Sputnik a tout simplement été fermée sous la menace de poursuites pénales, évidemment que nous voulons tous que l’accès à l’information et la liberté d’information soient garantis mais pour certaines raisons, nos collègues occidentaux préfèrent rester lovés dans leur cercle étroit et ne veulent pas que nous discutions au format universel des principes qui les intéressent.

Vous aurez remarqué que je parle longuement de cela car le problème est en effet sérieux. On distingue aujourd’hui un ordre mondial fondé sur le droit venant des instruments juridiques internationaux universels et la tentative de créer une quasi-structure hors l’ONU pour que nos partenaires occidentaux, censés chercher des compromis et le consensus dans le cadre de négociations internationales, dès qu’ils sont fâchés avec un sujet, puissent décider eux-mêmes. C’est évidemment une usurpation du concept du droit international.

VN [32.40-34.55] :

Vous serez d’accord si je dis qu’auparavant, ils résolvaient tous les problèmes au sein de leurs propres structures euro-atlantiques traditionnelles, à l’OTAN et dans l’Union Européenne. Ils commencent aujourd’hui à se départir de ce format et il me semble que cela, évidemment, témoigne d’une crise incontestable de ce qu’ils nomment l’Ordre Mondial libéral, celui-ci étant unipolaire.

Il est clair que cet ordre n’a jamais été mondial car orienté pour un camp ou un pays et, de plus, ce n’était pas un ordre car c’était, dans les faits, le monde du chaos globalisé.

Mais maintenant, je réclame votre attention, les chiffres montrent que les pays les plus touchés par le coronavirus et par son impact, que ce soit la propagation de l’infection ou la quantité de victimes, ce sont les États-Unis d’Amérique, c’est l’Espagne, l’Italie, la France, la Grande-Bretagne, la Turquie, c’est-à-dire des pays de l’OTAN. Beaucoup ont déjà dit que cela reflétait certainement… une tendance et que c’était également le reflet d’une crise, notamment de cet ordre.

De l’autre côté, il y a la Chine et les pays d’Asie de l’Est qui luttent avec succès contre le coronavirus et on a commencé à dire que le centre de gravité des forces s’était déplacé de l’Euro-Amérique à l’Asie de l’Est, la confrontation américano-chinoise aidant.

Les tendances globales sont évidentes et cette pandémie a été comme un tremblement de terre qui a balayé des structures déjà chancelantes, notamment celles associées à l’ordre mondial libéral.

Voilà la tendance globale, elle peut effectivement mener à un changement sérieux de la configuration des forces dans le monde contemporain, sans compter les conséquences économiques de la pandémie qui sont les pires en Occident.

SL [34.56-44.06] :

Je suis totalement d’accord avec cela. Je ne veux pas, évidemment, exalter le fait que les tuteurs de la démocratie connaissent des difficultés. Au contraire, nous sommes solidaires avec tous ceux qui connaissent les plus grosses répercussions du coronavirus. Nous aidons comme nous le pouvons, notamment sur la base de la réciprocité, mais dans l’ensemble, si on analyse les possibilités qu’ont les États de contrer cette menace, les statistiques sont effectivement assez pertinentes.

Je note également que parmi les pays aux « fondements démocratiques » dont on ne peut exclure nos amis occidentaux, les régimes, les États qui fonctionnent le plus efficacement ne sont pas, pour ainsi dire, des pionniers idéaux du libéralisme.

Je pense ici à certains pays asiatiques, à la Corée du Sud, au Japon, à Singapour, à des pays qui connaissent une verticalité du pouvoir relativement forte, quand bien même personne n’oserait ne pas les considérer démocratiques.

Mais concernant l’ordre libéral, jusqu’où est-il réellement l’idéal infaillible proclamé pour l’homme, pour les droits de l’homme. Bien avant les événements qui se déroulent actuellement, nous pouvions nous convaincre que les États, les pays libéraux qui professent l’ordre mondial libéral, peuvent se conduire, lorsqu’il s’agit de défendre leurs propres intérêts cruciaux, de manière absolument non libérale.

Rappelez-vous comme ces libéraux ont bombardé l’ex-Yougoslavie, comment ils ont bombardé l’Irak sous un prétexte absolument mensonger, ce pour quoi s’est excusé Tony Blair lorsqu’il a reconnu qu’il n’y avait aucune arme de destruction massive en Irak. Et évidemment ce qui s’est passé avec la Libye, ce qu’essaient de faire actuellement les États-Unis avec le Venezuela, ce ne sont absolument pas des méthodes libérales qui découleraient de la recherche du bien-être de l’homme.

Il est également regrettable que certains pays néo-libéraux essaient aujourd’hui, dans le cadre de cette pandémie, dans une situation où il faut en premier lieu sauver des vies humaines, de prendre des mesures dites sanitaires en faisant entrer des paramètres géopolitiques dans les prises de décision. Je veux parler ici de l’aide de la Russie accordée à l’Italie à partir de la demande directe du Premier Ministre italien. Nous savons tous très bien que certains médias en Italie ne peuvent s’en remettre et tentent de présenter cette aide comme une invasion militaire d’un territoire de l’alliance atlantique.

À ce propos, il y a encore un autre exemple intéressant. Nous savons de différentes sources que les camarades de haute fonction euro-atlantistes libéraux ne permettent tout simplement pas à toute une série de pays européens, qui appartiennent notamment à l’Union Européenne et à l’OTAN, de nous demander, comme l’a déjà fait l’Italie, de l’aide pour laquelle nous avons comparativement effectivement des atouts.

Il y a eu un cas que je ne pensais pas possible mais j’ai vu moi-même les documents venant le confirmer, ce dont je vais maintenant parler.

Un grand club de football européen, un grand du football européen et mondial, a contacté certains des amis se trouvant en Fédération de Russie, un fonds philanthropique, je ne le nommerai pas. C’est un fonds philanthropique privé qui a notamment, pendant la pandémie, organisé l’achat et la distribution de matériels et de médicaments indispensables dans la lutte contre le coronavirus.

Ce club de football, connu dans le monde entier, je le répète, a simplement écrit une lettre à ce fonds en demandant de connaître les possibilités qu’il y avait à ce qu’on puisse leur attribuer des éléments et matériels divers élémentaires. Il me semble même que c’était contre de l’argent mais ce n’est pas là l’essentiel. Le club de football a reçu de notre fonds moscovite une réponse positive. Puis, soudainement, de manière inattendue, il a envoyé encore une lettre dans laquelle il s’excusait, que pour une série de raisons incompréhensibles, la transaction n’était plus possible. « Nous ne sommes pas autorisés à y procéder ».

Voilà, lorsque le libéralisme prend cette tournure dans les affaires, il se discrédite lui-même en faisant mieux que toute critique.

Je le répète encore une fois, lorsque nous sortirons de cette situation, les pays en tireront des conclusions, les électeurs feront le bilan et il faut penser à cela dès maintenant. Nous devons nous retrouver dans une situation où la multi-polarité cesse d’être simplement un slogan. La multi-polarité fonctionne, s’incarne dans des affaires concrètes devant nos yeux. Il est important de lui donner un contenu adéquat.

Il est d’ores et déjà impossible de nier que les grandes puissances, les centres importants du développement mondial, les centres d’influence mondiale, sont plus nombreux que une, deux ou trois entités. Il faut prendre cela en compte et se préparer à ce qu’il faudra de toutes les façons travailler sur le fondement des principes promus dans les statuts de l’Organisation des Nations Unies qui démontrent parfaitement leur actualité, encore aujourd’hui.

À proprement parler, la proposition du Président Poutine vise cela, ce qu’il a indiqué en janvier de cette année. Elle consiste à préparer un sommet réunissant les membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU afin que les dirigeants de ce club des 5 aient conscience et réalisent leurs responsabilités spécifiques inscrites dans les statuts de l’ONU afin de soutenir la paix et la sécurité dans le monde. Il est évident que lors d’un tel sommet, le dialogue devra porter, et nous nous entretenons avec nos collègues pour nous accorder sur cela, sur l’approche la plus large possible à avoir pour assurer la stabilité stratégique, la sécurité globale dans toutes ses dimensions sans exception.

Mais pourquoi y-t-il le Conseil de Sécurité des Nations Unies ?

J’espère que ce sommet se tiendra cette année et sera bénéfique pour toute la communauté mondiale. (…)

Aujourd’hui, en plus de l’initiative qui a été proposée indépendamment concernant le coronavirus, on discute de la possibilité d’un contact online, au format d’une vidéo-conférence, afin que les leaders du groupe des 5 puissent présenter les approches qu’ils ont du coronavirus en plus de ce qui a déjà été dit au G20 et à l’Assemblée Générale de l’ONU. Ça a été la proposition du Président français. Nous et les autres membres des 5 du Conseil de Sécurité sommes tous d’accord avec lui.

Actuellement, nous essayons de fixer une date et de préparer le communiqué officiel que nous aimerions publier à l’issue des discussions mais cela est absolument distinct de la proposition du Président Poutine qui ne concerne pas, je le répète, un problème concret précis mais la nécessité de mener un dialogue, comme on dit, « les yeux dans les yeux », pour savoir comment structurer ensuite nos relations dans le monde actuel, dans l’intérêt de tous les États sans aucune exception, sur le fondement du droit international et du rôle dévolu par les statuts de l’ONU aux membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU qui requièrent que ces membres fassent preuve d’initiative, qu’ils soient responsables.

C’est en cela que consiste l’essentiel de la proposition du Président Poutine.

DS [44.08-47.46] : 

Monsieur le Ministre, vous avez rappelé la nécessité de rechercher le consensus international. Dans une certaine mesure, le consensus dans le cadre de l’Organisation des Nations Unies se construit à partir de l’idée que ce consensus est en principe possible. Mais est-il possible ?

Récemment, je me suis rendu à une réunion à Washington. A propos de cette réunion, je ne peux pas vous dire qui la menait. C’était une personnalité de votre acabit.

La réunion était suffisamment sérieuse. Il m’a été possible de poser une question à cette personne, lorsqu’elle a laissé entendre que la Chine et la Russie se comportaient dans cette situation de manière inappropriée et constituaient un problème pour les États-Unis.

Je lui ai demandé de dire concrètement ce que faisait Pékin, ce que faisait Moscou qui ne convenait pas à Washington.

À propos de la Chine, il a donné, de mon point de vue, une réponse sensée. Je ne pense pas que cette réponse vous satisfasse mais on a pu comprendre sa pensée.

Mais concernant la Russie, il a dit peu de choses, principalement qu’il était possible que la Russie interfère de nouveau dans les élections américaines.

J’ai ensuite parlé avec quelques personnes qui avaient assisté à la réunion et leur ai demandé leur point de vue. « Quelles sont les réelles prétentions des États-Unis vis-à-vis de la Russie ? ».

De façon générale, il me semble que l’on m’a répondu avec honnêteté.

Ce n’est pas lié à l’Ukraine, ni aux désaccords sur la Syrie, ni sur les contentieux sur le pétrole, ce n’est pas non plus lié au Venezuela.

Je ne veux pas dire que tous ces problèmes ne sont pas graves, ne sont pas réels. Il me semble tout de même qu’ils indisposent.

Le problème fondamental est autre, et vous en avez parlé plus d’une fois, Monsieur le Ministre, dans un contexte quelque peu différent. On nous dit que la Russie, ces dernières années, après que Vladimir Poutine soit devenu Président, avait décidé de jouer de manière indépendante sur la scène internationale et que la définition russe d’un rôle indépendant signifiait que la Russie ne suivrait pas le sillon que trace le politique extérieure menée par les États-Unis et l’Union Européenne et que la Russie s’occuperait activement de rechercher un certain nouvel ordre international. Vous avez effectivement parlé de cela aujourd’hui.

Lorsque vous voyez la situation avant la 1ère Guerre mondiale, Monsieur le Ministre, il y avait aussi beaucoup de contradictions mais les différends, en général, étaient traités en temps de paix par ceux qui la décidaient, cela concerne en premier lieu les différends entre l’Allemagne et la Grande-Bretagne.

Ne pensez-vous pas que nous sommes aujourd’hui dans la même situation, avec les mêmes antagonismes qui apparaissent différemment dans différents endroits ?

C’est précisément la décision de la Russie d’être un grand acteur qui ne permet pas à d’autres de formuler de manière unilatérale les règles du jeu qui paraît être la racine de tout ce à quoi nous sommes confrontés. Je ne veux pas dire que cela va mener à une nouvelle guerre mondiale, la situation est totalement différente, mais ne vous semble-t-il pas qu’il nous faille oublier pendant un moment notre conception du monde et la revendication de nos intérêts souverains et tenter de réguler des contradictions que nous ne pouvons espérer effacer ?

SL [47.47-57.02] :

Merci beaucoup.

Parlons du fait que la Russie ne veut pas permettre à d’autres de bâtir les règles du jeu mondial en solo ou à deux. C’est exact.

Je prends ces reproches pour une grande estime de notre politique extérieure. Si, comme vous l’avez dit, les Français, les Anglais et les Américains ne sont pas contents que nous voulions que les règles du jeu reposent sur le consensus, il faut savoir que c’est pourtant justement ce que nous voulons. Oui, comme vous le reconnaissez, ce n’est pas quelque chose de très facile à atteindre. Il ne faut en aucun cas retirer cette problématique de l’ordre du jour, sinon, ceux qui aujourd’hui établissent et formulent les règles du jeu pour les autres et considèrent ne pas devoir écouter ces mêmes autres se renforceront dans cette position, mais cela n’arrivera pas parce que ce n’est déjà tout simplement plus possible.

Tous ceux qui peuvent défendre leurs droits à participer à la définition de l’ordre du jour mondial s’opposent à eux.

J’ai également entendu ce que vous avez dit à propos de ce qui énervait principalement nos partenaires occidentaux, que ce n’était pas des crises réelles, ni un conflit concret ou une situation concrète sur les marchés internationaux. Il s’agit de notre intention de mener une politique indépendante, intention que nos collègues occidentaux ont découverte lorsque Vladimir Poutine est devenu Président de la Fédération de Russie. Poutine lui-même l’a dit à plusieurs reprises, rappelant comment l’Union Soviétique après sa disparition, ou plutôt comment la disparition de l’Union Soviétique avait été perçue comme la fin de l’histoire[8].

Il avait alors été décidé que la « Nouvelle Russie » comme tout l’espace géopolitique l’entourant, les nouveaux pays indépendants, étaient aux mains des libéraux occidentaux dont nous venons un peu de parler. Le souhait de la Russie d’être une partie du monde égale en droits, je souligne bien cette expression, à l’Occident n’a pas été pris en compte.

À ce moment, beaucoup de politologues occidentaux parlaient de ce sujet, et notamment vous, Dimitri. Nous apprécions beaucoup votre analyse mais quand toutes les tentatives de dialogue et de s’accorder au mieux ont été prises pour de la faiblesse, c’est alors qu’est apparue au sein de notre opinion publique, au sein de notre peuple, la demande pour une personne comme Vladimir Poutine. Vladimir Poutine a parfaitement répondu à cette demande et continue de le faire.

Vous avez rappelé que les décideurs occidentaux étaient agacés par le fait que la Russie ne souhaitait pas suivre les sillons tracés par les États-Unis ou les sillons de l’Union Européenne. En m’exprimant sous forme de métaphores, à l’aide d’images, je dirai qu’aujourd’hui, dans l’océan, il y a beaucoup plus de voies maritimes, beaucoup plus de puissants navires qui les empruntent, laissant à leur poupe se développer de larges traînées que différents pays aspirent à suivre.

Je veux particulièrement souligner que nous ne considérons pas comme idéal un modèle qui serait représenté par des voies maritimes nombreuses labourant les océans dans n’importe quelles directions, se recoupant, se heurtant entre elles. Ceux qui suivent la trace laissée par un liner seront en danger permanent de collision avec d’autres navires.

Nous, nous voulons harmoniser les différents intérêts. Oui, ces intérêts semblent aujourd’hui s’imposer avec agressivité, c’est le moins qu’on puisse dire. Il est très difficile de les amener à un dénominateur commun et ce sera un très long processus. Ce n’est pas pour rien que toutes les fois, nous soulignons que la formation d’un monde multipolaire est un projet concret de long terme. Il s’agit de toute une époque dans l’histoire des civilisations et il sera difficile pour nous de voir la fin cette construction.

Dans les faits, la mise en place de ce processus n’a pas encore été initiée. Si, non seulement, nous ne pensons pas à cela, et plus encore, si nous n’insistons pas là-dessus, si nous ne faisons pas des propositions sur la manière d’organiser ce monde, de nous apprêter à ce que nous devons élaborer de nouvelles règles qui reposent sur l’égalité entre États souverains, sur le respect des uns et des autres sans s’immiscer dans les affaires intérieures des États, alors, le texte inscrit dans la Charte des Nations Unies ne sera que peine perdue[9].

J’aimerais me tromper mais si nos partenaires ont gravé leurs marques et souscrit aux principes de cette Charte mais continuent depuis au moins 500 ans à faire dominer les normes occidentales, leurs règles organisant de manière pratique la vie sociale, cela indique alors que cette souscription n’était pas sincère, que la Charte n’est qu’un paravent. Je veux espérer que ce ne soit pas le cas, que les pères-fondateurs de l’ONU croyaient en ce qu’ils écrivaient et à ce qu’ils signaient.

Finalement, ma réponse sera de toute évidence celle-ci. En qui concerne toutes les accusations portées à notre encontre, vous connaissez ces accusations et je ne vais pas maintenant toutes les énumérer : les arguments à propos de l’Ukraine, à propos de la Syrie, à propos du pétrole… Nous avons déjà parlé de tout cela plusieurs fois.

Si une chose concrète préoccupe particulièrement nos collègues, qu’ils nous le disent et je suis prêt à répondre à toutes leurs questions. Je dirai seulement qu’en ce qui concerne l’ingérence dans les élections américaines, nos partenaires américains ne sont pas crédibles parce que dès le début, pendant la campagne pré-électorale de 2016, l’administration Obama avait commencé à nous accuser et nous leur avons alors proposé d’utiliser les trois canaux de contact qui existent entre Moscou et Washington, trois canaux officiels non publics de communication, pour éclaircir certaines situations pouvant mener à des accidents involontaires.

Nous avons adressé nos propositions à la partie américaine à travers ces canaux et avons exprimé nos inquiétudes, nous avons indiqué que nous étions prêts à répondre à toutes leurs préoccupations.

Aucune réaction n’a suivi. Quand en 2017 et par la suite on a continué et on continue aujourd’hui de nous accuser de s’être immiscés dans les élections de 2016, nous avons alors proposé de publier de manière honnête une communication rappelant nos échanges à travers les canaux de communication non-publics montrant notre désir de répondre à ces préoccupations, de manière professionnelle et sérieuse. On nous a répondu que les États-Unis ne voulaient pas publier cet échange de communications.

L’autre jour, j’ai parlé une fois de plus avec Mike Pompeo dans le cadre du développement des contacts téléphoniques intenses entre les Présidents Poutine et Trump pour discuter du coronavirus et de la situation sur le marché du pétrole. Ils ont indiqué qu’il était important de rétablir notre dialogue et de modifier sérieusement son caractère pour tous les problèmes concernant la stabilité stratégique.

J’ai rappelé entre autre à Mike Pompeo que nous attendions des propositions concrètes de la part de nos collègues américains sur les délais à donner au rétablissement du dialogue, également qu’il y avait sur la table des négociations encore une de nos propositions portant sur le rétablissement d’un groupe de travail bilatéral à propos de la cybersécurité. Nous serons dans ce cadre parfaitement prêts, sous condition de réciprocité, à prendre en compte toutes questions et à y répondre.

J’ai indiqué ouvertement que nous avions prévu une nouvelle vague d’accusations, comme quoi nous allions interférer dans l’actuelle campagne pré-électorale américaine, c’est pourquoi un mécanisme de communication agréé par nos Présidents permettrait d’examiner les préoccupations des deux parties.

Voilà, ces propositions sont sur la table. J’espère que dans le cadre de cette pandémie de russophobie qui prend de nouveau de l’ampleur, Dimitri nous le rappelait en début d’émission, nos propositions seront étudiées par des professionnels et non par des politiciens.

***

Sergueï Lavrov, Ministre des Affaires Étrangères de la Fédération de Russie depuis 2004[10], peut se distinguer par une longue et riche expérience en tant que diplomate de haut rang. Il travaille sans relâche à l’instauration d’un monde multi-polaire dans lequel chaque État souverain serait l’égal des autres États sur le fondement des préceptes contenus dans la Charte des Nations-Unies.

En face de lui, quand bien même l’Union Soviétique communiste a disparu, existent et se forment toujours et encore des clans, principalement euro-atlantistes, ancrés sur leur puissance, ou plutôt malades de leur complexe de puissance : les États-Unis, l’Union Européenne mercantile anglo-saxonne …. Ces acteurs agissent comme d’habitude en meutes, autant que faire se peut, et sortent les crocs lorsque leur position exceptionnelle est remise en question.

Le ton de Lavrov dans notre interview montre la difficulté de la tâche à instaurer un véritable dialogue avec ces meutes, une certaine fatigue après tant d’années déjà de propositions et de contacts. Mais Sergueï Lavrov garde espoir car ces meutes sont aujourd’hui obligées de sortir de leur caverne. Un slogan propre à notre société du spectacle peut faire rêver mais la réalité est ce qu’elle est. Les soi-disant tout puissants et omnipotents occidentaux restent invités à la table des négociations universelles que seule aujourd’hui propose l’ONU.

Et la France dans tout ça ? Au moins depuis le mandat désastreux de Laurent Fabius en 2012 en tant que Ministre des Affaires Étrangères sous la présidence de François Hollande, la France semble ne pas renouer avec une vision claire de son statut et de ses priorités en terme de politique internationale. Le sommet de l’incohérence, voire de la bêtise, en terme de politique internationale atteint aujourd’hui le sommet avec Monsieur Jean-Yves Le Drian, ignare de la diplomatie et conseiller de notre Président inspecteur des finances.

Jean-Louis Le Drian, sans lunettes, accompagnant Emmanuel Macron, flanqués d’autres comparses

Adopter de nouvelles montures de lunettes bleues pourrait laisser croire à une volonté de Jean-Yves d’améliorer sa science et sa conscience pour une politique internationale française plus adéquate. Mais ne rêvons pas trop longtemps, les changements n’apparaissent qu’avec la conscience, peu importe les lunettes qui la filtreraient.

À ce propos, je m’étonne encore, en tant que « bon occidental », que les Russes ne relèvent pas le nom de ce Ministre : Le Drian. En tous les cas, je ne l’ai jamais remarqué. En effet, en russe, /drian/ peut se traduire par « pôv’ mec ». Il y a de quoi faire quelques blagues un petit peu lourdes. Mais non, les Russes préfèrent apparemment juger la personne aux politiques qu’il mène plutôt qu’au nom de famille et des lunettes qu’il porte.

En tous les cas, Sergueïl Lavrov a raison au sujet d’un ordre international qui n’est d’ores et déjà plus exceptionnellement euro-américain. (…) cela n’arrivera pas parce que ce n’est déjà tout simplement plus possible.

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[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Madeleine_Albright

[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Communauté_des_démocraties

[3] https://www.un.org/fr/charter-united-nations/

[4] https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/diplomatie-numerique/les-domaines-d-action-de-la-diplomatie-numerique-francaise//garantir-la-securite-internationale-du-cyberespace-a-travers-le-renforcement-de/article/cybersecurite-appel-de-paris-du-12-novembre-2018-pour-la-confiance-et-la

[5] https://fr.wikipedia.org/wiki/Droit_international_humanitaire

[6] https://rsf.org/fr/actualites/trente-etats-signent-le-partenariat-international-sur-linformation-et-la-democratie-initie-par-rsf

[7] https://fr.wikipedia.org/wiki/Organisation_pour_la_sécurité_et_la_coopération_en_Europe

[8] « La fin de l’histoire » : allusion à un concept ou une idée apparaissant à la fin du XIXème siècle en Europe qui a été remis au goût du jour après la chute du Mur de Berlin et de l’URSS par Francis Fufuyama en 1992. Le monde se serait retrouvé « globalisé » sous la gouverne du libéralisme occidental (Francis FUKUYAMA, La Fin de l’Histoire et le Dernier Homme, Flammarion, 1992).

[9] cf. (3)

[10] https://fr.wikipedia.org/wiki/Sergue%C3%AF_Lavrov

envoyé par Bertrand Hedouin

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À propos de l'auteur Réseau International

Site de réflexion et de ré-information.Aujourd’hui nous assistons, à travers le monde, à une émancipation des masses vis à vis de l’information produite par les médias dits “mainstream”, et surtout vis à vis de la communication officielle, l’une et l’autre se confondant le plus souvent. Bien sûr, c’est Internet qui a permis cette émancipation. Mais pas seulement. S’il n’y avait pas eu un certain 11 Septembre, s’il n’y avait pas eu toutes ces guerres qui ont découlé de cet évènement, les choses auraient pu être bien différentes. Quelques jours après le 11 Septembre 2001, Marc-Edouard Nabe avait écrit un livre intitulé : “Une lueur d’espoir”. J’avais aimé ce titre. Il s’agissait bien d’une lueur, comme l’aube d’un jour nouveau. La lumière, progressivement, inexorablement se répandait sur la terre. Peu à peu, l’humanité sort des ténèbres. Nous n’en sommes encore qu’au début, mais cette dynamique semble irréversible. Le monde ne remerciera jamais assez Monsieur Thierry Meyssan pour avoir été à l’origine de la prise de conscience mondiale de la manipulation de l’information sur cet évènement que fut le 11 Septembre. Bien sûr, si ce n’était lui, quelqu’un d’autre l’aurait fait tôt ou tard. Mais l’Histoire est ainsi faite : la rencontre d’un homme et d’un évènement.Cette aube qui point, c’est la naissance de la vérité, en lutte contre le mensonge. Lumière contre ténèbres. J’ai espoir que la vérité triomphera car il n’existe d’ombre que par absence de lumière. L’échange d’informations à travers les blogs et forums permettra d’y parvenir. C’est la raison d’être de ce blog. Je souhaitais apporter ma modeste contribution à cette grande aventure, à travers mes réflexions, mon vécu et les divers échanges personnels que j’ai eu ici ou là. Il se veut sans prétentions, et n’a comme orientation que la recherche de la vérité, si elle existe.Chercher la vérité c’est, bien sûr, lutter contre le mensonge où qu’il se niche, mais c’est surtout une recherche éperdue de Justice.

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