Le dogme dangereux du désinvestissement de l’État

Le dogme dangereux du désinvestissement de l’État

«…Vous savez, la société n’existe pas. Il y a des hommes et des femmes individuels et il y a des familles… les gens doivent d’abord s’occuper d’eux-mêmes». — Margaret Thatcher, 1987

Ce point de vue, transformé en dogme, a eu un impact sur notre monde, la crise actuelle du Covid-19 mettant encore plus en évidence les paroles de Margaret Thatcher, l’un des apôtres de la privatisation et du rétrécissement de l’État. Elle a également prêché par l’exemple et d’innombrables personnes l’ont suivie.

L’État a rétréci dans la plupart des pays occidentaux et, quelques années après qu’elle ait prononcé ces mots, ce dogme a trouvé de convertis enthousiastes dans les anciens pays socialistes. De part et d’autre du mur de Berlin démoli, on a assisté à des transferts massifs de richesses du secteur public vers le secteur privé. Les réductions d’impôts et les privatisations ont entraîné un affaiblissement considérable de l’État et de ses services. Quelques sociétés privées disposent d’un budget plus important que de nombreux États.

Lorsque des feux de forêt ont fait rage autour de Moscou durant l’été 2010, causant des milliers de morts par asphyxie, certains se sont souvenus qu’un service forestier fédéral spécialisé avait été dissous sous la présidence de Boris Eltsine. Il employait 70 000 gardes forestiers qui identifiaient et éteignaient les incendies. Aux États-Unis, l’équipe de sécurité sanitaire mondiale et de biodéfense du personnel du Conseil national de sécurité a été dissoute sous le président Donald Trump.

Mais le problème est plus grave que les personnalités impliquées. Auparavant, l’État protégeait le citoyen contre les abus du secteur privé. C’est ainsi qu’est née la législation antitrust il y a plus d’un siècle. Le droit du travail, l’assurance chômage et la protection des consommateurs ont suivi. Ces droits sociaux, plus forts en Europe, plus faibles aux États-Unis, faisaient partie de la défense du capitalisme dans le contexte de la guerre froide. Lorsque l’Union soviétique a commencé à se flétrir, de puissants intérêts privés ont compris qu’ils n’avaient plus besoin d’un «capitalisme à visage humain». Alors, ils se sont lancés dans un démantèlement des droits sociaux dans les pays capitalistes.

L’un de ces droits est la santé. Un coup d’œil rapide au nombre de lits par habitant (data.oecd.org) révèle quatre têtes de file : Le Japon, la Corée du Sud, la Russie et l’Allemagne. L’Italie est 25e, l’Espagne 27e, les États-Unis 31e. Cela est en corrélation inquiétante avec la dynamique de la pandémie actuelle. Les quatre pays en tête ont non seulement plus de lits, mais ils ont rapidement reconnu le danger qui se profilait et ont réagi en conséquence.

Contrairement au dogme de Thatcher, les gens ne peuvent pas se débrouiller seuls quand le Covid-19 frappe. Ils se tournent vers l’État pour se protéger contre la pandémie. Certains États se sont montrés à la hauteur de la tâche, d’autres ont clairement échoué. Peu importe que l’État soit démocratique ou autoritaire, ce qui compte, c’est sa capacité à protéger ses citoyens en cas d’urgence.

Certains États plutôt riches se sont avérés ne pas être préparés aux situations d’urgence. L’insuffisance des réserves stratégiques de fournitures médicales résulte en grande partie du fait que l’État, à l’instar du secteur privé, en est venu à dépendre de longues lignes d’approvisionnement pour la plupart des produits essentiels. L’État est devenu la pâle réplique d’une entreprise privée.

Une fois la pandémie passée, des conclusions vitales doivent être tirées et mises en œuvre. De nombreux citoyens ont pris douloureusement conscience que la mythique main invisible du marché n’est qu’une extrémité inutile, voire dangereuse, car les sacro-saintes lois de l’offre et de la demande leur ont fait défaut. Il en a été de même pour la mondialisation axée sur le profit.

Au cours des dernières décennies, les citoyens ont été transformés en «clients». Ce terme omniprésent emprunté au monde des affaires a fusionné les citoyens, les passagers, les étudiants, les patients et bien d’autres encore en une masse amorphe de «clients». Nous savons tous que les mots ont un réel pouvoir. Mais les mots peuvent aussi enlever le pouvoir. En retrouvant son statut de citoyen, et donc son pouvoir, après avoir été réduit à celui de «client», le citoyen saura assumer sa responsabilité politique et libérer l’appareil étatique du contrôle du secteur privé. Ainsi il mettra fin à l’abdication par l’État de sa fonction première de protecteur du citoyen.

Yakov M. Rabkin

Yakov M. Rabkin, professeur émérite à l’Université de Montréal.

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