Par Moon of Alabama − Le 11 avril 2020
La réponse à la question que nous avons posée récemment dans l’article OPEP ++ ou mort de l’industrie du pétrole de schistes ? est désormais connue. L’industrie du pétrole de schiste va mourir. Elle reviendra peut-être dans le futur, mais ce sera dans plusieurs années.
La pandémie de coronavirus a réduit la demande de pétrole de 100 millions de barils par jour à environ 75 Mbpj. Les prix du pétrole sont passés de $60 le baril à $20.
Jeudi, l’OPEP +, le cartel des producteurs de pétrole d’origine, plus la Russie, a officiellement accepté de réduire la production de 10 millions de barils par jour. Les réductions réelles promises auraient été plus faibles. Mais l’accord dépendait de l’engagement de tous les membres de l’OPEP.
Le Mexique n’a pas accepté sa quote part de réduction. Le pays s’étant financièrement couvert [engagé] pour presque toutes ses exportations de pétrole :
Le Mexique, 12e producteur mondial de pétrole, a couvert une grande partie de sa production de 2020 - c'est-à-dire est convenu à l'avance d'un prix fixe, soit environ 49 dollars le baril. Cela élimine pratiquement toute incitation pour le Mexique à accepter des réductions de production cette année.
À $1,3 milliard, la couverture était chère pour le Mexique. Mais elle garantit que son budget pour cette année est entièrement couvert. Le Mexique a également réorienté une partie de ses exportations vers ses propres raffineries pour produire de l’essence qu’il aurait autrement importée.
L’OPEP + s’attendait également à ce que d’autres producteurs, les États-Unis, le Canada et le Brésil, acceptent de réduire leur production de 5 Mb/j. Avec, en plus, les 10 Mb/j de l’OPEP +, cela aurait contribué à empêcher le prix du pétrole de continuer à baisser. Hier, une réunion des pays du G20 a eu lieu pour discuter de la question. Aucun d’entre eux ne s’est engagé dans des coupes fermes ou des quotas. Le Canada a démenti les affirmations de la Russie selon lesquelles il réduirait de 1 Mbpj. Les États-Unis ont refusé de diminuer au-delà de ce qui avait déjà baissé naturellement à cause de la baisse de la demande sur le marché. Il n’y aura pas d’OPEP ++.
Hier, Trump a de nouveau parlé avec Poutine. Ce dernier lui a dit qu’il n’y aura pas d’accord sans engagement du Mexique et des autres producteurs américains. Trump a ensuite promis qu’il trouverait un arrangement avec le Mexique :
Vendredi après-midi, Trump a suggéré que la baisse américaine automatique [liée à la baisse de la demande] était également suffisante pour couvrir le fardeau du Mexique - apparemment sans aucune sorte de décret présidentiel, ou de quota, décidé par Washington.
Il est douteux que l’OPEP + accepte l’affirmation de Trump comme étant équivalente à une réduction officielle de la production mexicaine. Il n’y aura donc aucun accord. Les pays de l’OPEP prétendront s’en tenir à leurs quotas officiels pour éviter les pressions américaines, tout le monde trichera et essaiera de vendre autant que possible.
La Russie, l’Arabie saoudite et d’autres pays du Golfe pourraient encore réduire leur production. Mais la raison de cela ne sera pas l’accord de l’OPEP + de jeudi, mais un manque de demande et de place pour stocker le surplus de pétrole.
Cela signifie que le prix du pétrole passera en dessous de $20 le baril jusqu’à ce que la demande revienne de son niveau actuel de 75 Mb/j à plus de 90 Mb/j. Cela ne pourra se produire que lorsque la pandémie de coronavirus aura reflué, lorsque les quarantaines sont terminées et que le trafic aérien reprendra à un rythme suffisant. Ce moment viendra probablement dans deux ans. Mais les effets de la dépression mondiale provoquée par la pandémie mettront encore plus de temps à disparaître. Lorsque la demande reviendra enfin aux niveaux précédents, la hausse des prix du pétrole sera encore beaucoup retardée car tout les stocks sont maintenant pleins et devront être vendus avant que la production de brut ne puisse reprendre.
Le pétrole de schiste américain était légèrement rentable au-dessus de $45 le baril. Ce prix est hors de portée pour les trois à cinq prochaines années. C’est beaucoup trop long pour les capacité de financement des compagnies pétrolières de schiste. Les banques américaines, qui ont prêté des milliards à ces entreprises, se préparent déjà à saisir leurs actifs. Les banques perdront la majeure partie des 100 milliards de dollars et plus qu’elles ont investis dans les entreprises de schiste.
La production onéreuse de sables bitumineux du Canada n’est pas non plus viable aux prix actuels.
L’industrie du pétrole de schiste en Amérique du Nord a bien profité des accords précédents de l’OPEP +, qui limitaient la production dans les pays qui peuvent produire à des coûts bien inférieurs. Les prix maintenus artificiellement par le cartel se sont effondrés et il n’y a aucun moyen qu’ils reviennent de si tôt.
Il s’agit d’une catastrophe pour le marché du travail dans le secteur pétrolier américain. D’autant plus que les pertes d’emplois viendront s’ajouter à celles des autres services et industries.
C’est également catastrophique pour les pays du golfe Persique qui dépendent des ventes de pétrole pour financer leurs budgets. L’Irak sera très durement touché et le manque d’argent risque de mettre le pays en faillite. Les « royals » saoudiens ne pourront plus financer l’État providence qui avait sérieusement limité tout défi à leur pouvoir.
Les producteurs d’énergie alternative peuvent également devenir les victimes de la baisse des prix du pétrole car ils ne sont plus compétitifs. Avec des prix de l’essence bas, les voitures électriques perdront l’avantage d’une électricité bon marché.
Trump avait plaidé pour un désengagement des États-Unis du Moyen-Orient lorsque son pays était devenu indépendant de sources d’énergie étrangère. Avec l’industrie du pétrole de schiste qui agonise, les États-Unis devront à nouveau importer du pétrole du Moyen-Orient. Bien que le désengagement de Trump n’ait jamais été entièrement réalisé, la nouvelle situation pourrait le conduire à changer de stratégie.
Moon of Alabama
Traduit par jj, relu par Wayan pour le Saker Francophone
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