Par Moon of Alabama − Le 9 avril 2020
Aujourd’hui, il y a une réunion par vidéo des États de l’OPEP et de la Russie. Demain, les ministres de l’énergie de tous les États du G20 se réuniront également. Leurs discussions porteront sur la chute du prix mondial du pétrole due à un manque de demande suite à la nouvelle pandémie de coronavirus et à une production record de pétrole venant d’Arabie saoudite et de Russie. Les médias «occidentaux» sont optimistes quant à la conclusion d’un accord :
L'Organisation des pays exportateurs de pétrole et d'autres producteurs, dont la Russie, un groupe connu sous le nom d'OPEP +, devraient discuter de réductions record équivalant à 10% à 15% de l'offre mondiale, bien que la demande ait chuté de plus de 30%.
Il est peu probable que l’OPEP s’accorde sur une réduction, à moins que les États-Unis et d’autres grands producteurs ne rejoignent l’accord. Il est peu probable que les États-Unis le fassent pour l’instant.
Jusqu’à la fin, ce mois-ci, du dernier accord OPEP + et le début de l’effondrement de la demande due à la pandémie, les trois principaux producteurs étaient les États-Unis avec 12,7 millions de barils par jour, la Russie avec 10,9 millions de barils par jour et l’Arabie saoudite avec 9,8 millions de barils par jour.
Depuis 2016, l’OPEP et la Russie ont réduit leur production pour maintenir le prix du pétrole aux environs de $60/b. Cela a effectivement subventionné l’industrie américaine du schiste. La production américaine a continué de croître tandis que la production de la Russie et de l’Arabie saoudite était artificiellement limitée. Cela a permis aux États-Unis de gagner plus de parts de marché mondial à des prix compétitifs.
Lorsque la pandémie est arrivée, l’Arabie saoudite a exhorté la Russie d’accepter de nouvelles réductions de production. Mais cela aurait maintenu le prix du pétrole suffisamment élevé pour que l’industrie américaine du schiste se développe à des coûts supplémentaires pour la production saoudienne et russe. La Russie n’était pas disposée à permettre cela.
Maintenant que les prix sont tombés à $20 le baril, le pétrole de schiste américain n’est plus rentable et les sociétés de schiste sont sur le point de faire faillite. C’est clairement un résultat que la Russie souhaiterait :
Dès que le schiste américain quittera le marché, les prix rebondiront et pourraient atteindre 60 dollars le baril, a récemment déclaré Igor Sechin de Rosneft. Comme le destin l'aurait voulu dans ce que beaucoup auraient considéré jusqu'à récemment comme un scénario impossible, moins de schistes américains pourraient arriver exactement à cela. Les prix d'équilibre pour les bassins de schiste américains varient entre $39 et $48 le baril, selon les données compilées par Reuters. Pendant ce temps, le pétrole West Texas Intermediate (WTI) se négocie à moins de $25 le baril et ce depuis plus d'une semaine maintenant.
Mais la Russie a également proposé une alternative :
Un nouvel accord de l'OPEP + pour équilibrer les marchés pétroliers pourrait se réaliser si d'autres pays se joignaient à ce programme, a déclaré Kirill Dmitriev, chef du fonds souverain russe, ajoutant que les pays devraient également coopérer pour amortir les retombées économiques du coronavirus. ... "Des actions conjointes des pays sont nécessaires pour restaurer l'économie (mondiale) ... Ces (actions conjointes) sont également possibles dans le cadre de l'accord OPEP +", a déclaré à Reuters Dmitriev, directeur du Fonds d'investissement direct russe (RDIF), lors d'un entretien téléphonique avec Reuters.
C’était une invitation aux États-Unis à rejoindre un accord OPEP ++ et à s’engager sur des limites de production.
Nous avons déjà évoqué les raisons pour lesquelles les États-Unis étaient peu susceptibles de le faire. Rejoindre un cartel ne correspond pas à leur état d’esprit néolibéral :
"Nous avons bénéficié de l'absence d'un marché libre depuis si longtemps que l'administration US est déchirée sur la façon, pour nous, de rester un producteur majeur, tout en gardant ostensiblement un marché libre, et je ne pense pas qu'il existe un moyen de résoudre cette quadrature du cercle", a déclaré Randolph Bell, directeur du Global Energy Center au Atlantic Council.
Trump a fait une petite contre-offre lorsqu’il a déclaré que la production de pétrole américaine avait déjà été réduite de 1,2 million de barils et que c’était une contribution américaine suffisante de limitation de sa production :
"Personne ne m'a rien demandé, donc s'ils demandent, je prendrai une décision", a déclaré Trump sur la question de savoir si les États-Unis participeraient à des réductions. Les producteurs américains "réduisent déjà et ils réduisent très sérieusement. Je pense que cela se produit automatiquement."
Mais pour la Russie, cela est loin du compte :
La Russie ne considère pas une réduction de l'offre entraînée par une baisse de la demande ou une baisse des prix comme une réduction réelle de la production dans les paramètres de l'accord OPEP + proposé, a déclaré mercredi le Kremlin. C'était la première déclaration de Moscou, à propos de cet aspect crucial des pourparlers, qui indiquait que le président Vladimir Poutine attend peut-être une contribution plus importante des États-Unis que ce que son homologue Donald Trump est prêt à donner. "Vous comparez la baisse de la demande globale à des réductions visant à stabiliser le marché mondial", a déclaré le porte-parole du Kremlin, Dmitry Peskov, lors d'une conférence téléphonique quotidienne, lorsqu'on lui a demandé si la Russie accepterait des réductions de la production américaine uniquement motivées par les forces du marché. "Ce sont des choses complètement différentes." Washington a jusqu'à présent proposé ce que les autorités qualifient de coupes «automatiques dictées par le marché», qui devraient se produire alors que des sociétés comme Exxon Mobil Corp. et des explorateurs de schistes indépendants réduisent leur production en réponse aux prix bas.
Si les États-Unis insistent sur le fait que les coupes «automatiques axées sur le marché» suffisent, leur industrie du pétrole de schiste devra mourir.
Un nouvel accord OPEC ++ nécessitera de fortes réductions de production et des limites que le gouvernement des États-Unis devra garantir pendant plusieurs années. Quelques gestes de bonne volonté supplémentaires envers la Russie seront probablement également nécessaires.
Mais l’administration Trump est hostile aux accords internationaux contraignants. Ses fonctionnaires jouent plutôt leur jeu habituel de brandir des menaces creuses :
Les sénateurs républicains américains qui ont présenté un projet de loi qui supprimerait les systèmes de défense et les troupes américaines en Arabie saoudite à moins qu'elle ne réduise sa production de pétrole, adresseront un appel aux responsables du royaume samedi, a indiqué mardi une source proche du planning.
Écrire des lettres désagréables qui exigent que l’Arabie saoudite porte le fardeau de la baisse sans précédent de la demande est inutile dans cette situation. La demande mondiale normale est de 100 millions de baril par jour (b/j). Elle est maintenant tombée à près de 70 millions et ne devrait pas reprendre au cours des dix-huit prochains mois. Même si l’Arabie saoudite mettait fin à toute sa production, les marchés resteraient sur-approvisionnés. Cela déstabiliserait également le pays qui dépend de la vente de son pétrole pour 70% de son budget.
Si les États-Unis insistent pour que les Saoudiens réduisent leur production pour sauver ses producteurs de pétrole de schiste, les Saoudiens pourraient rompre l’ancien accord [sur les pétrodollars] qui fait du dollar américain la principale devise du monde. S’ils découplent leur monnaie du dollar américain et demandent des paiements en euros, en yens ou en yuans, le dollar américain est cuit.
Les menaces ne seront d’aucune utilité. Elles ne font que rendre l’Arabie saoudite plus déterminée à suivre son propre chemin.
Certaines personnes de l’industrie pétrolière américaine ont intégré la nouvelle réalité :
Certains foreurs pétroliers texans de la vieille garde exhortent les régulateurs de l'État à restreindre la production de pétrole brut pour mettre un terme à un effondrement des prix plus grave que jamais. Le plus grand État producteur de pétrole des États-Unis n'a pas restreint la production de pétrole brut en près de 50 ans, mais un nombre croissant d'explorateurs et d'industries connexes préconisent une telle décision. La Commission des chemins de fer du Texas, qui supervise l’industrie de l’État depuis plus d’un siècle, devrait discuter du soi-disant rationnement le 14 avril. ... Kirk Edwards, un vétéran de l'industrie et PDG de Latigo Petroleum LLC, estime que d'ici un mois, l'offre excédentaire sera si massive que les foreurs du bassin permien ne pourront plus envoyer de brut aux raffineries de la région de Houston et en Louisiane. "Jusqu'à il y a deux semaines, j'étais à 100% contre l'utilisation du prorata au Texas pour remédier à ce genre de problèmes", a déclaré Edwards dans une lettre à l'agence. La commission et l'administration Trump doivent "prendre les devants et sauver le Texas et l'industrie énergétique américaine dès maintenant, avant qu'il ne soit trop tard".
Mais les grands acteurs de l’industrie ne veulent pas de réduction pour tout le monde :
Les appels pour des plafonds d'approvisionnement mettent en évidence un schisme croissant entre les petits explorateurs indépendants et les géants internationaux comme Exxon Mobil Corp. qui s'opposent à l'intervention du gouvernement. Dans l'Oklahoma voisin, les groupes de l'industrie pétrolière sont en désaccord quant à savoir si les régulateurs de l'État devraient intervenir.
Le calcul pour les grandes et riches entreprises est différent. Elles espèrent que les petits producteurs feront faillite pour pouvoir acheter leurs gisements de pétrole, déjà développés, à des prix misérables. Elles les garderaient fermés, mais les rouvriraient lorsque les prix reviendraient à un niveau plus élevé.
Exxon est susceptible d’avoir plus d’influence politique que les petits producteurs qui craignent maintenant pour leurs entreprises.
Les pourparlers actuels de l’OPEP + se poursuivent et ils semblent préparer une offre qui sera ensuite proposée lors de la réunion du G20 de demain. Les États-Unis, le Canada, le Brésil, la Norvège et d’autres pays devraient alors s’engager à effectuer des réductions proportionnelles.
Mais quelle est la chance que cela se produise ?
Moon of Alabama
Traduit par jj, relu par Wayan pour le Saker Francophone
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