Les états fédérés paient la rançon de leur incurie face à la pandémie

Les états fédérés paient la rançon de leur incurie face à la pandémie

Par Wayne Madsen − Le 28 mars 2020 − Source Strategic Culture

Wayne MadsenLa pandémie de coronavirus a un impact mortel sur la population mondiale. Cependant, la pandémie a également fait une autre victime, collatérale. Diverses formes de fédérations, où un exécutif central devrait fournir un parapluie de sécurité et de santé égal à toutes les parties constitutives de l’entité fédérale, ont vu les centres se dérober à leurs responsabilités et n’ont pas agi pour la nation dans son ensemble ou ont favorisé certains membres pour des motifs politiques.

The hospital ship USNS Mercy arrives at the Port of Los Angeles to assist area medical facilities during the outbreak of the coronavirus disease (COVID-19) in San Pedro, California, U.S., March 27, 2020. REUTERS/Mike Blake - RC2GSF928VSD
Le navire-hôpital USNS Mercy arrive au port de Los Angeles pour aider les installations médicales de la région pendant l’éclosion de la maladie à coronavirus (COVID-19) à San Pedro, Californie, États-Unis, le 27 mars 2020. REUTERS / Mike Blake – RC2GSF928VSD

Deux des défaillances les plus flagrantes de structures fédérales pendant la pandémie sont deux pays dirigés par des présidents mégalomanes d’extrême droite adeptes du complot, à savoir les États-Unis et le Brésil.

Il n’est pas surprenant qu’en plein milieu de la pandémie, le président américain Donald Trump et le président brésilien Jair Bolsonaro fassent la fête dans le club pour milliardaires de Trump, Mar-a-Lago, à Palm Beach, en Floride. Ce que ni eux, ni le personnel n’ont réalisé, c’est que Mar-a-Lago était sur le point de devenir une zone chaude de coronavirus. Plusieurs membres de la délégation de Bolsonaro, dont son attaché de presse, ont été diagnostiqués positifs au COVID-19. Le virus mortel a également infecté l’un des invités de Trump, le maire républicain de Miami, en Floride, Francis Suarez, qui a également été testé positif. L’ambassadrice des États-Unis en Afrique du Sud, résidente de Palm Beach et directrice de la marque de luxe Lana Marks, pourrait avoir infecté le personnel de l’ambassade des États-Unis à Pretoria et un navire de la marine américaine en visite en Afrique du Sud après avoir eu des contacts étroits avec un individu positif au coronavirus à Mar-a -Lago, chez Trump.

Bolsonaro et Trump ont passé la plupart de leur temps ensemble à Mar-a-Lago à mettre en doute la véracité des reportages scientifiques et d’actualité sur la contagiosité du virus et sa propagation mondiale rapide. C’est cette attitude irréfléchie qui a amené les États de leurs républiques fédérales respectives à décider que le leadership au sommet de leurs nations était si incompétent qu’ils devaient prendre des mesures résolues de leur propre chef. Les États adhèrent à une fédération parce qu’ils décident que le gouvernement central peut pourvoir à des besoins communs tels que la sécurité nationale, les affaires étrangères, la politique monétaire, les finances et d’autres fonctions, libérant ainsi les États qui peuvent se préoccuper de questions plus immédiates telles que l’éducation, la santé publique, la sécurité sociale et le bien-être, le gouvernement local et d’autres domaines.

Le rejet par Trump de ses obligations  fédérales pour la reconstruction- à la suite de deux tempêtes dévastatrices en 2017, à Porto Rico et dans les îles Vierges américaines, deux territoires américains – aurait dû être un signal d’alarme pour les autres États fédérés que le comportement de copinage libéral de Trump aurait des conséquences négatives pour leurs états. L’ineptie de Trump est devenue une réalité cauchemardesque alors que le coronavirus venu d’Asie a initialement balayé les États de Washington, de Californie et de New York. Trump s’est gaussé des gouverneurs démocrates des trois États par des sarcasmes infantiles alors qu’ils étaient seuls pour lutter contre le virus, sans aucun signe clair de soutien de la Maison Blanche républicaine et du Sénat américain.

Le système fédéral des États-Unis a commencé à s’effilocher lorsque la Californie a fait face à la menace du virus en adoptant ses propres politiques qui ont vu des mises en quarantaine, d’abord dans la région de la baie de San Francisco, puis dans tout l’État. Le gouverneur de Washington avait auparavant verrouillé son État et, bientôt, l’État de New York lui a emboîté le pas.

Sans direction claire de la Maison Blanche de Trump, la création d’une nouvelle entité politique régionale coordonnant sa quarantaine et d’autres politiques de santé a commencé à prendre forme dans le nord-est des États-Unis. Les gouverneurs de New York, du New Jersey, du Connecticut, de la Pennsylvanie et du Delaware, tous démocrates, ont créé leur propre alliance ad hoc pour établir une politique commune sur les quarantaines, les voyages, les fermetures d’entreprises, ainsi que des ressources partagées dans la lutte contre le coronavirus. Il est vrai qu’en temps de guerre et d’autres événements catastrophiques, de nouveaux États-nations sont nés par nécessité. Ainsi, le gouverneur de New York, Andrew Cuomo, est devenu le chef de facto de cette nouvelle alliance politique d’États, que l’on peut appeler «Midatlantica» pour faire bref. Cuomo, réalisant que la Maison Blanche était incapable d’agir de manière responsable, a déclaré : «Nous parcourons littéralement le globe à la recherche de fournitures médicales», une action de politique étrangère généralement menée par les gouvernements centraux. Auparavant, la Californie, l’Oregon et l’état de Washington avaient coordonné leurs réponses aux politiques de Trump, y compris les décisions environnementales, que les trois gouverneurs démocrates jugeaient nuisibles à leurs États.

Le 22 mars, Trump s’en est pris aux gouverneurs pleurnichards dans un tweet : «JB Pritzker, gouverneur de l’Illinois, et un très petit groupe de certains autres gouverneurs, ainsi que Fake News CNN et Comcast MSDNC [sic] – qui est Comcast MS-NBC ? – ne devrait pas blâmer le gouvernement fédéral pour leurs propres lacunes. » Les dés étaient jetés, la république fédérale des États-Unis était sous assistance respiratoire, grâce à l’incompétence brouillonne de l’administration Trump. Alors que les Américains commençaient à mourir en grand nombre, Trump, comme l’empereur romain Néron avec sa lyre pendant que Rome brûlait … tweetait.

Alors que le coronavirus continuait sa progression aux États-Unis, Hawaï a annoncé des restrictions sur les voyages vers l’ancien royaume polynésien indépendant des non-résidents de la chaîne insulaire. Les visiteurs arrivant ont été mis en quarantaine dans leurs hôtels pendant 14 jours, ce qui a de fait stoppé le flux du trafic touristique. En Floride, le gouverneur Ron DeSantis – un sycophante pro-Trump – a décidé de retarder la prise de mesures concrètes pour lutter contre la propagation du virus. Cela a conduit les Florida Keys, connues socio-économiquement sous le nom de «Conch Republic», à fermer leurs îles aux non-résidents, sauf pour certaines exceptions limitées. Alors que les hôpitaux de Floride commençaient à ressentir le stress des patients COVID-19 dans leurs salles d’urgence et unités de soins intensifs, DeSantis a décidé que c’était le bon moment pour présenter au président républicain de la Chambre de Floride, Jose Oliva, une batte de baseball avec l’inscription vraiment insensible dans le contexte, « Tueur du complexe industriel de la santé ».

Le 11 mars, DeSantis a demandé au gouvernement fédéral de fournir à la Floride un équipement de protection individuelle pour les travailleurs médicaux de l’État. Trump a fourni tout le matériel demandé. D’autres États, y compris ceux de la région émergente de Midatlantica, de l’Illinois et de la côte ouest, n’ont reçu qu’une infime partie des fournitures et équipements demandés, une autre dague au cœur du système fédéral américain. Le « Miami Herald » a rapporté que les commentaires télévisés de DeSantis sur la pandémie étaient « un monologue incohérent et décousu qui durait depuis trop longtemps ». Il en va de même pour les points de presse de Trump.

En plus des États, les nations tribales officiellement souveraines des États-Unis étaient également officiellement ignorées par Trump, qui a une histoire d’animosité raciale envers les premiers Américains. En figeant les activités commerciales et d’autres sur leurs territoires, des entités tribales comme la Nation Navajo en Arizona, la Nation Inuit Tanana en Alaska et la Nation Sigl Oglala Sioux dans le Dakota du Sud disaient aux étrangers de rester loin de leurs terres. Sans soutien fédéral, les nations tribales ont mis l’accent sur les stratégies d’auto-assistance élaborées par Midatlantica, les États de la côte du Pacifique et d’autres.

S’inspirant de son ami Trump, le Brésilien Bolsonaro s’est lancé dans une attaque contre les gouverneurs des États brésiliens pour avoir pris des mesures proactives à la suite de l’inaction de l’administration de Bolsonaro. Ce dernier, qui a qualifié le coronavirus de «fantaisie», a tourné en dérision le gouverneur de l’État de Sao Paulo, João Doria, pour avoir effectivement confiné son État et l’avoir isolé du reste du Brésil. Doria a riposté à Bolsonaro en disant : «Nous faisons ce qu’il ne fait pas. Et quand il le fait, il le fait mal.» Le commentaire fait écho à de nombreux propos des gouverneurs américains sur Trump. Bolsonaro a décidé de s’engager dans une bataille fédérale avec le gouverneur de Rio de Janeiro Wilson Witzel suite à la décision du gouverneur de fermer l’aéroport international de Rio au trafic étranger. Bolsonaro a insisté sur le fait que Witzel n’avait pas un tel pouvoir. Le gouverneur du district fédéral de Brasilia, Ibaneis Rocha, a demandé de l’aide médicale à la Chine après que Bolsonaro et son fils, Eduardo Bolsonaro, aient imité Trump en accusant la Chine d’avoir créé le coronavirus. Ce ne sera pas un grand choc si la «République fédérative du Brésil» ne survit pas au coronavirus sous sa forme actuelle.

Les réponses «laissez-faire» à la pandémie, de la part de Trump, DeSantis et Bolsonaro ont été relayées par leurs sosies idéologiques en Grande-Bretagne et en Australie, les premiers ministres Boris Johnson et Scott Morrison, respectivement. L’incompétence de Johnson a été amplifiée en adoptant la notion ridicule de «l’immunité collective» qui va à l’encontre de la pratique médicale mondialement acceptée de la quarantaine pour éviter d’infecter les populations. L’immunité collective suppose que les communautés peuvent se protéger d’une maladie si elles prennent soin d’elles-mêmes. Lorsque le conseiller particulier de Johnson, Dominic Cummings, a convaincu Johnson de s’appuyer sur le concept d’immunité collective, le coronavirus a commencé à se propager de façon incontrôlée à travers le Royaume-Uni.

Certaines parties du Royaume-Uni, comme aux États-Unis, ont réalisé que la politique de libéralisme conservateur de Johnson était une menace pour eux et leurs électeurs. Les autorités locales ont demandé aux voyageurs d’éviter de visiter leurs lieux. Il s’agit notamment du Conseil des îles Scilly, du Conseil de Cornwall, du Conseil d’Anglesey, du Conseil de l’île de Wight, du Comhairlenan Eilean Siar (Conseil des îles de l’Ouest), du Highland Council of Scotland et d’autres autorités locales ont demandé aux visiteurs et aux non résidents permanents qui souhaitaient s’installer dans leurs propriétés de vacances de rester à l’écart. Cependant, sans ordre de Johnson, ces sites reculés avec des services médicaux minimaux sont restés vulnérables. Partout au Royaume-Uni, les gens ont vu les résultats de l’immunité collective de Johnson en action, alors que les communautés locales étaient obligées de s’isoler de l’extérieur, sans aucune garantie de soutien du gouvernement national.

En Australie, le non-sens du fondamentalisme chrétien – «la fin des temps» –  de Morrison, a conduit les États à prendre leurs propres mesures. Le gouvernement fédéral de Canberra était tout aussi incompétent que lors des récents incendies dévastateurs. La Tasmanie, l’État insulaire, s’est fermée au reste de l’Australie, tout comme l’île Lord Howe et l’île Norfolk, ainsi que les îles du détroit de Torres et le cap York. L’Australie-Occidentale, le Queensland, l’Australie-Méridionale et le Territoire du Nord ont pris des mesures sans précédent en fermant leurs frontières à d’autres États australiens. Une partie de cette décision avait pour but de protéger les aborigènes extrêmement sensibles au virus. Le fédéralisme australien a pris un coup majeur avec la pandémie, qui façonnera l’avenir de la politique australienne.

D’autres nations ayant des systèmes fédéraux plus fonctionnels ont vu les États constituants prendre les choses en main. En Allemagne, la Bavière et la Sarre ont effectivement fermé leurs frontières, tout comme les membres indépendants du Benelux, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg. En Tanzanie, se faisant appeler le «gouvernement révolutionnaire de Zanzibar», le membre insulaire de la République-Unie de Tanzanie, a interdit toutes les visites de non-résidents du Tanganyika. La Chambre d’assemblée de Tobago a placé des restrictions sur les voyages à Tobago depuis son île sœur de Trinidad. Nevis a imposé des restrictions sur les voyages vers l’île, y compris depuis son île sœur, Saint-Kitts.

Le coronavirus a révélé la nature inégale des systèmes fédéraux dans le monde. Une fois que les fédérations auront déterminé que les cadres fédéraux n’ont pas servi tous les membres de la fédération pendant la pandémie, il y aura un prix politique à payer, un prix qui pourrait voir certaines fédérations se dissoudre.

Les États-Unis ont été fondés par des hommes d’État qui pensaient que la forme de gouvernement fédéral qu’ils avaient conçue à Philadelphie soutiendrait une nation viable. Les présidents James Madison, Abraham Lincoln et Franklin D. Roosevelt ont soutenu la nation pendant la guerre. Donald Trump a pratiquement détruit le système fédéral par sa négligence criminelle, en abdiquant ses responsabilités et son leadership pendant la menace la plus existentielle pour les États-Unis depuis la Seconde Guerre mondiale. Son nom et son administration vivront dans l’infamie.

Wayne Madsen

Traduit par jj, relu par Hervé pour le Saker Francophone

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