Partie 1 : la Chine neutralise la campagne américaine sur la question des Ouïgours musulmans
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Partie 2 – La Chine se positionne du bon côté de l’histoire
par M.K. Bhadrakumar.
Dans une interview exclusive accordée à Al-Arabiya la semaine dernière, Wang Yi, conseiller d’État et ministre des Affaires étrangères de la Chine, a exposé l’approche de Pékin vis-à-vis de la région de l’Asie occidentale, en particulier en ce qui concerne les tensions dans le golfe Persique.
Wang a déploré « qu’en raison de conflits et de troubles prolongés dans l’histoire récente, la région a sombré dans une dépression sécuritaire… Pour que la région émerge du chaos et jouisse de la stabilité, elle doit se libérer de l’ombre de la rivalité géopolitique des grandes puissances et explorer de manière indépendante des voies de développement adaptées à ses réalités régionales. Elle doit rester imperméable aux pressions et aux interférences extérieures et suivre une approche inclusive et réconciliatrice pour construire une architecture de sécurité qui tienne compte des préoccupations légitimes de toutes les parties ».
Wang a réitéré une troisième voie. La Chine a épousé dernièrement une « initiative en cinq points » qui repose sur l’adhésion au respect mutuel (non-ingérence dans les affaires intérieures), l’équité et la justice (lire la question palestinienne), la non-prolifération (zone exempte d’armes nucléaires au Moyen-Orient), la sécurité collective (proposition d’organiser en Chine une conférence de dialogue multilatérale pour la sécurité régionale dans le Golfe) et la coopération au développement (Initiative Ceinture et Route, accords de libre-échange). Il ne sera pas facile pour les États-Unis d’égaler ce paquet chinois de « multilatéralisme authentique ». La Chine encourage les États de la région à adopter une politique d’équité et de justice, et de « résistance » à l’intimidation des États-Unis (que nous associons normalement à l’Iran) pour créer une autonomie stratégique.
La Chine espère ancrer ses relations bilatérales sur ce nouveau mode de pensée qui offre des possibilités illimitées d’ajouter un contenu solide et très bénéfique pour les deux parties. Ainsi, lors de la halte de Wang à Abu Dhabi (sa destination après Téhéran), une annonce a été faite selon laquelle les Émirats Arabes Unis commenceront à produire le vaccin chinois Sinopharm le mois prochain. Il s’agit du premier État du Golfe à mettre en place une installation de production de vaccins contre le coronavirus, avec une capacité initiale de 200 millions de doses par an, renforçant ainsi ses efforts pour devenir une plaque tournante de l’approvisionnement en Asie occidentale et en Afrique.
D’autre part, juste avant l’arrivée de Wang Yi à Riyad, le PDG d’Aramco Amin Nasser a annoncé : « Assurer la sécurité continue des besoins énergétiques de la Chine reste notre plus grande priorité – pas seulement pour les cinq prochaines années, mais pour les 50 prochaines et au-delà ». Le prince héritier saoudien Mohammed ben Salman a déclaré à Wang au même moment que Riyad souhaitait « approfondir continuellement » la coopération bilatérale » dans les domaines du pétrole brut, de la pétrochimie, de l’énergie nucléaire et d’autres domaines énergétiques, « tout en l’étendant à de nouveaux domaines » tels que la 5G, les télécommunications et les technologies numériques.
À propos, la 155ème session du Conseil de la Ligue des États arabes au niveau des ministres des Affaires étrangères a adopté le 3 mars une résolution liée à la Chine, qui réitère l’importance de renforcer les liens sino-arabes, et annonce que l’Arabie Saoudite accueillera cette année le premier sommet arabo-chinois. Wang a qualifié cette initiative de marqueur impressionnant et espère faire de ce sommet « un événement mémorable dans l’histoire des relations sino-arabes ».
Jamais auparavant les États-Unis n’ont été confrontés, de la part de l’Union soviétique ou de leurs concurrents occidentaux, à ce genre de défi que la Chine pose aujourd’hui en offrant aux États régionaux une toute nouvelle voie de développement et de gouvernance qui donne la primauté à leur identité nationale en tant qu’États souverains, désireux de diversifier leurs économies et de ne pas continuer à servir de stations-service pour Big Oil. L’offre de la Chine est séduisante : elle ne prend pas parti dans les dissensions et les schismes intra-régionaux et souhaite au contraire que les acteurs régionaux suivent une approche inclusive et réconciliatrice pour construire leur propre architecture de sécurité qui tienne compte des préoccupations légitimes de toutes les parties.
Et pourtant, la Chine calcule que le résultat sera que la région finira par sortir de l’ombre de la domination occidentale pour poursuivre indépendamment ses politiques et résister à la pression et à l’ingérence des États-Unis. En bref, la Chine cherche à établir des règles du jeu équitables à court terme.
Ainsi, tout en demandant que l’Iran reprenne ses engagements sur la question nucléaire, Wang a suggéré que la communauté internationale soutienne également les efforts des pays de la région pour faire du Moyen-Orient une zone exempte d’armes nucléaires, et que, pour une approche consensuelle, toutes les parties discutent et formulent un itinéraire et un calendrier pour la mise en œuvre du JCPOA. On peut imaginer que cela place la Chine dans un rôle central de médiateur entre l’Iran et ses voisins arabes.
En effet, le facteur « X » concerne la coopération sécuritaire et militaire dans le cadre du pacte Chine-Iran. Quelle que soit l’ambivalence stratégique des deux parties sur la question, si les tensions entre les États-Unis et l’Iran s’aggravent, Téhéran commencera à voir un avantage mutuel à autoriser la Chine (et la Russie) à accéder occasionnellement à ses bases pour faire contrepoids à la présence américaine dans le golfe Persique. Il ne fait aucun doute que l’Iran cherchera à obtenir de la Chine (et de la Russie) le transfert de technologies militaires avancées, une fois que l’embargo des Nations unies sur ce type de transactions prendra fin sous peu dans le cadre du JCPOA.
Les gros volumes d’exportations de pétrole et de gaz vers la Chine renforceront le pouvoir d’achat de l’Iran. (La Chine aurait déjà augmenté ses importations de pétrole iranien ; les importations devraient atteindre des niveaux de 856 000 bpj en mars, soit un bond de 129% par rapport à février). En d’autres termes, la Chine générera des revenus qui permettront à l’Iran de réaliser pleinement son potentiel en tant que puissance régionale qui ne peut être intimidée. Dans le même temps, l’Arabie Saoudite considère elle aussi la Chine (et la Russie) comme son partenaire pour développer une industrie de défense indigène qui réduise sa dépendance à l’égard des achats coûteux d’armements auprès des pays occidentaux.
L’Iran a le sentiment que le durcissement de l’attitude des États-Unis à l’égard de la Chine, comme l’ont montré les récents pourparlers d’Anchorage, a incité Pékin à se défaire de ses réticences antérieures et à s’ouvrir ouvertement à la politique régionale. Wang Yi a souligné dans ses remarques à Téhéran que la Chine est prête à s’opposer à l’hégémonie et à l’intimidation, à sauvegarder la justice et l’équité internationales ainsi qu’à faire respecter les normes internationales avec les peuples d’Iran et d’autres pays. « Nos relations avec l’Iran ne seront pas affectées par la situation actuelle, mais seront permanentes et stratégiques », a déclaré Wang. Sa chute, bien sûr, était : « L’Iran décide de manière indépendante de ses relations avec les autres pays et n’est pas comme certains pays qui changent de position en un coup de fil ».
Ailleurs, Wang a souligné que la Chine est cohérente dans son opposition aux sanctions unilatérales déraisonnables imposées à l’Iran par d’autres pays, car elles violent le droit international, en particulier celles basées sur des mensonges et de fausses informations, qui sont immorales et impopulaires et constituent un affront à la conscience humaine. Il a ajouté que la Chine est prête à travailler avec l’Iran et d’autres pays pour s’opposer conjointement aux actes d’intimidation des puissances, pour faire respecter l’équité et la justice internationales et pour défendre les normes fondamentales des relations internationales.
Il va sans dire que l’Iran se félicite de ce changement marqué de la position diplomatique de la Chine et y voit de nets avantages. Le secrétaire du Conseil suprême de Sécurité nationale de l’Iran, Ali Shamkhani, une personnalité très influente dans les hautes sphères du pays, a décrit le pacte avec la Chine comme « faisant partie de la politique de résistance active ».
Wang a souligné qu’il est temps de réfléchir sérieusement aux mauvaises conséquences infligées à la région par les interférences extérieures, et de travailler ensemble pour explorer des moyens efficaces de maintenir la sécurité et la stabilité régionales à long terme. Bien sûr, la Chine est bien consciente que les divisions régionales (qui sont en grande partie la création des puissances occidentales) ne disparaîtront pas du jour au lendemain. Néanmoins, le message constant de Wang tout au long de sa tournée régionale était que les pays de la région devaient conserver leur sentiment d’appartenance, perpétuer l’esprit d’indépendance, se débarrasser des interférences de la concurrence géopolitique, rechercher des voies de développement adaptées aux conditions nationales et établir un cadre de sécurité conforme à leurs intérêts.
La Chine joue le jeu à long terme. La tournée régionale de Wang en Asie occidentale témoigne de la conviction et de la confiance de la Chine dans le fait qu’elle se trouve du bon côté de l’histoire.
source : https://www.indianpunchline.com
traduit par Réseau International
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