L’attaque de la ville de Palma dans la province de Cabo Delgado au nord du Mozambique par une mystérieuse organisation armée de type insurrectionnel baptisée “État Islamique” (non, ce n’est pas une blague mais ça y ressemble) a mis à l’arrêt un immense projet gazier piloté par le géant français Total.
Cette attaque revendiquée par “l’État islamique en Afrique centrale (ou australe)” qui se présente comme une branche ou filiale de l’État Islamique en Irak et au Levant, la maison mère créée dans la province irakienne d’Al-Anbar souligne la reconversion du mercenariat insurrectionnel et son utilisation dans le cadre de la rivalité économique en Afrique.
Le groupe a diffusé les photographies et les vidéos de son attaque sur le Web. La plupart des membres de cette organisation sont jeunes et assez bien “branchés” en ce qui concerne la mode vestimentaire mondialisée (Nike, Reebok, Adidas, Lotto, Oakley, etc.). Ils disposent également de treillis de combat.
Leurs chefs opérationnels sont payés via des applications mobiles en cryptomonnaies et selon une information vérifiée en fractions de Bitcoin (un Bitcoin = 50 694,10 € ou 59 707 $ au taux du jour).
L’assaut contre la ville de Palma, une localité de 75 000 habitants intervient le jour même de l’annonce par Total de la reprise de ses activités sur le site gazier d’Afungi et démontre que ce groupe dispose d’éléments chargés de l’intelligence économique.
Les ingénieurs et les techniciens expatriés sur le projet du site gazier d’Afungi, situé à une dizaine de kilomètres de la ville de Palma, ont été évacués aprés avoir été regroupés à l’hôtel Amarula par la société de sécurité privée sud-africaine Dyck Advisory Group ou DAG, non sans difficultés.
Indubitablement cette attaque a du être préparée et planifiée depuis des mois dans une région riche en ressources faisant l’objet de conflits de basse intensité (RD Congo) et de rivalités exacerbées entre multinationales pour l’accès aux ressources minières et énergétiques de cette région hautement stratégique.
Les éléments de Dyck Advisory Group ont utilisé six hélicoptères légers de fabrication française dont trois Gazelle et une Alouette III pour tenter de stopper l’assaut et évacuer le personnel expatrié. Les hélicoptères ont tous essuyé des tirs nourris et certains ont été touchés par des projectiles d’armes légères. La société Dyck Advisory Group (DAG) accuse publiquement le Groupe Total d’avoir pratiqué une politique d’économie de bouts de chandelles puisque Lionel Dyck, le patron de DAG affirme que Total a refusé le ravitaillement en carburant de la petite flotille d’hélicoptères utilisés par les Sud-africains. Pour rappel, l’hélicoptère léger Gazelle consomme en moyenne près de 180 litres de carburant par heure.
Les hélicoptères Gazelle, Écureuil et Alouette ne sont pas les seuls à se retirer puisque même un hélicoptère lourd Mil Mi-17 armé jusqu’aux dents du groupe privé Paramount Group n’a rien pu faire. Le même groupe a engagé le char volant Mil-Mi-24 (Hind) piloté par des ukrainiens pour dégager la zone mais tous les aéronefs ont été pris pour cible par les assaillants. Au moins plusieurs sud-africains et des britanniques auraient été tués au combat.
Les forces armées mozambicaines ont battu en retraite à plusieurs reprises, ce qui a permis aux assaillants de revendiquer la prise de la ville. Ces derniers se sont retirés avec armes et bagages le 29 mars 2021 avec une réputation qui pourrait galvaniser les autres branches activant au Congo et au Nigeria. Les pertes militaires sont élevées même si un bilan officiel les a établis à 21 tués. La ville est totalement dévastée et cela donne une bonne indication sur le degré de violence.
Le Mozambique qui fait face à ce groupe depuis 2017 a requis l’assistance militaire technique du Portugal. Ce dernier a dépêché une soixantaine de commandos (chiffre officiel en deçà du nombre réel) sont la réputation n’est plus à établir puisque de toutes les armées occidentales jamais intervenues en Afrique, les Casques bleus portugais en République Centrafricaine ont démontré une combativité assez remarquable de très loin supérieure à l’apathie des militaires français et baltes au Sahel. Cependant cet apport technique ne changera pas grand chose sur le terrain.
En filigrane à ces évolution se dessine les contours d’un nouveau marché. Il est quasiment impossible qu’un groupe se revendiquant de l’État Islamique apparaisse comme par enchantement dans une région où l’Islam est non seulement minoritaire mais a toujours revêtu un caractère traditionnel et fort paisible sans qu’une puissance disposant de moyens de projection n’y soit derrière. L’Etat Islamique n’est qu’un outil à louer au plus offrant et ne diffère guère dans le fond des sociétés de sécurité privées qui pullulent dans les zones de conflit où se trouvent d’importantes infrastructures énergétiques et minières exploitées par des multinationales de plus en plus avides et ne reculant devant aucun subterfuge pour acquérir des parts de marché. D’un autre côté, la présence de tels groupes justifient le recours à des sociétés de sécurité privées et à des interventions militaires coûteuses. C’est un cercle vicieux aggravé par l’absence de perspectives d’avenir pour les jeunes dans la plupart des pays du monde. Pour quelques Bitcoins de plus, des acteurs non-étatiques ou même des États peuvent mobiliser une armée ex-nihilo et la payer via smartphones. C’est cela aussi le progrès. L’Afrique est le continent ayant l’avenir le plus prometteur en matière de société de consommation et de croissance en plus de ressources minières et énergétiques à bas prix. Cela est suffisant pour justifier la lutte à mort dans laquelle sont engagés les États-Unis, la Chine, la Russie, la France et le Royaume Uni sur ce continent fabuleux.
Et dans ce jeu-là, tous les coups sont permis.
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