J’écoute France Inter, l’émission Antidote, et vous parlez, Tristan MENDES-FRANCE, de mon père, Maxime VIVAS, écrivain et cyberjournaliste. Dans votre chronique du vendredi 26 mars, vous commettez, en moins de 3 minutes 10, deux mensonges, une imprécision et une indélicatesse. Ce qui, vu le temps imparti, relève de la performance.
L’indélicatesse d’abord, c’est celle de traiter par deux fois mon père de manière cavalière (« un individu », « cet individu », pourquoi pas énergumène ?), façon de ne pas reconnaitre son statut d’auteur (20 livres), d’ex-référent littéraire d’Attac et de journaliste alternatif (chroniques dans la presse radio, web et papier : Journal Metro, l’Humanité, Les Z’Indignés). Le procédé est rhétorique, il s’agit de dénigrer la personne pour remettre en cause son propos.
Si vous vous étiez arrêté-là, il n’y aurait peut-être pas loisir à poursuivre.
Vous ajoutez à l’indélicatesse, une imprécision. Mon père n’est pas « LE responsable du site LE GRAND SOIR », (30 000 articles, 2300 contributeurs dans le monde) mais un de ses administrateurs. L’amplification est une autre figure de rhétorique. Dois-je vraiment vous reprocher d’appliquer la grille de lecture des médias dominants, celle de prendre pour modèle la concentration de l’information ? « LE » responsable, comme si la gouvernance unique était l’évidence. Dois-je y voir le signe d’un habitus de champs, caractéristique des médias meanstream ? C’est que dans la presse alternative la direction se partage parfois.
Si vous vous étiez arrêté-là, je n’aurais pas eu loisir de vous écrire cette lettre.
Hélas, vous ajoutez deux mensonges : le site ne relaie pas « de nombreuses théories complotistes » et n’a pas contesté « les attentats du 11 septembre ». LE GRAND SOIR donne à lire des analyses politiques et géopolitiques issues de réflexions d’écrivains, de chercheurs, d’universitaires (mais pas de remise en cause du 11 septembre…). Vous n’auriez pas mélangé vos fiches ? L’émission, le direct, une forte clim, un stress, que sais-je ? Dans le cas contraire, comment, sans être indélicat à mon tour, puis-je vous suggérer de vérifier vos informations, (charte de Munich) ? Comment puis-je vous éviter de succomber à la facile tentation des fake news glanées sur le net ?
Je m’étonne que votre billet, qui se veut une analyse critique des sources d’un auteur, trébuche sur le tapis des sources non vérifiées. Ça vous rend plus humain, moins crédible aussi…
Pourtant, à lire ce qui s’écrit sur vous, vous paraissez outillé sur le sujet des méthodes. Je vous sais titulaire d’un DEA de Sciences Politiques. Je vous sais enseignant à l’École des Hautes Etudes en Sciences de l’Information et de la Communication. Je vous sais à l’initiative du projet Stop Hate Money dont l’objet est de « responsabiliser les acteurs et les intermédiaires financiers qui facilitent (parfois sans le savoir) la propagation des discours de haine en ligne ». Je vous sais parrain de l’association Anticor. Ces choses écrites à votre propos sont-elles exactes ? Si oui, c’est à mettre à votre crédit. Voyez, je n’essentialise pas les travers que vous déployez à l’endroit de mon père. Comprendre, c’est prendre avec soi et la haine pas plus que le travestissement de la vérité ne peuvent servir de boussole aux débats. En seriez-vous dépourvu ?
A vous écouter sur la radio publique, je vous entends réfléchir sur le « toxique des informations » non-vérifiées, sur les façons « grossières de procéder », sur les « effets de meute » qui en découlent. Je ne veux pas croire que vos chroniques soient téléguidées par le corporatisme, l’opportunisme ou par la volonté affichée d’Emmanuel Macron de lutter contre les sites complotistes. J’imagine que vous savez faire la différence entre le complotisme et l’énoncé d’hypothèses géopolitiques, la différence entre la recherche d’une information et la diffusion de fake news. J’imagine aussi que vous saisissez que passer sur FRANCE-INTER ne vous imperméabilise pas des procédés que vous dénoncez.
Permettez-moi enfin de vous taquiner un peu avant d’entamer du plus grave. Comment se porte Laurence Bloch, directrice de FRANCE INTER qui affirmait en 2019 à propos de l’émission “ Un bruit qui court ” qu’elle ressemblait « à un tract de la CGT. Quand je l’entends, j’éteins. » Le Monde diplomatique est-il dans le faux lorsqu’il relève qu’en dix ans, « le temps d’antenne dévolu aux luttes sociales a été divisé par dix ». Fake-news ? Je vous imagine suffisamment armé pour demeurer étanche à ces pressions. Après tout, quel intérêt auriez-vous à porter votre dévolu, à heure de grande écoute, sur un site alternatif ? Qu’aurait votre carrière à y gagner ? J’ai conscience que ma taquinerie caresse là l’impertinence, mais je persiste encore un peu pour les besoins d’une démonstration. Comment va Catherine Nayl, ex-TF1 de 1984-2017, ex-directrice en chef du journal de Jean-Pierre Pernaut, directrice actuelle des programmes de FRANCE-INTER, nommée au grade de Chevalier de la Légion d’Honneur sous la Présidence Macron ? Vous ne trouvez pas qu’elle possède toutes les qualités et les expériences requises pour diriger l’information sur une chaîne publique ? Vous croyez qu’un journaliste doit se tenir en photo au plus près de la Présidence ?
Voilà que je m’adonne à mon tour aux travers que je vous reproche… J’arrête ! Voyez comme je paraitrais « mauvais joueur » en insinuant que vous ne seriez pas crédible par le simple fait du côtoiement avec une directrice CGTphobe, une ex-TF1, une ex-collaboratrice de Jean-Pierre Pernault, une « ex-censeure » d’émission radio, etc.
La « contagion symbolique », comme procédé rhétorique, est redoutable et souvent indigne. Et pourtant, une ambiance, des figures, des chefs et des stratégies, des moyens et des méthodes participent de la construction « du fait journalistique ». Me contredirez-vous sur ce point ?
Mais je suis sûr que vous êtes en réflexion constante sur l’impact des modes l’élections des dirigeants de radios, des stratégies de direction ou d’évictions d’émissions phares (telles “ Là-bas si j’y suis ”) sur la pratique des journalistes et l’impartialité journalistique… Avez-vous osé une chronique là-dessus ? Car l’éthique, celle de la conviction, celle de la responsabilité, selon le mot de Max Weber, dans le savant et le politique, guident la praxis journalistique. Nous savons ce qu’il faut faire parfois de concessions pour être légitimé par ses pairs. Il est vrai que le temps, pour contrôler, vérifier, déployer, une information manque à ceux qui font métier d’informer. Le défaut de moyens matériels surdétermine le volume de temps à consacrer à une chronique. Vous semblez si occupé. Pierre Bourdieu a quelques lignes là-dessus dans Sur la télévision ; L’Emprise du journalisme. La rapidité est un travers d’époque. Fast-food, fast-thinkers. Je ne doute pas que vous soyez sachant de ces choses-là.
Certes, si vous aviez pris le temps, vous auriez écrit d’autres choses sur le travail de mon père. Peut-être même que vous vous seriez autorisé à lui parler. « Parler avec » avant de « parler de », de « parler sur » ou de « parler contre », il paraît que ce sont des méthodes encore usitées par quelques journalistes. Et je suis sûr que vous enseignez ces choses-là à vos élèves lors de vos cours et conférences. Devant les hommes, en vrai, nos jugements sont toujours moins endurcis.
Avant de conclure, il me faut vous faire cette confidence. Dans mon for intérieur, Tristan MENDES-FRANCE, je vous imagine déjà rectifiant votre indélicatesse (à la radio), votre imprécision et vos deux mensonges. Car « La vérité est toujours révolutionnaire ». Vous connaissez l’auteur de cette phrase, s’il vous reste quelque chose du trotskisme qui soutenait vos engagements de jeunesse…
Tout cela est-il si grave ? Que l’on se trompe à propos d’un site, d’un homme, pour deux mensonges, une imprécision et une indélicatesse, qu’importe ! Après tout, si ce qu’il affirme est jugée inconvenable, c’est que l’homme doit l’être aussi… Et puis, nous pouvons toujours rationnaliser en imaginant que cela passera inaperçu dans le flot des informations journalières, dilué dans le grand brouhaha quotidien que nous livre le monde journalistique.
Mais ce n’est pas tout, le pire de vos formulations est à venir. A l’indélicatesse, à l’imprécision, aux deux mensonges vous ajoutez à la pire des insultes, une bien plus infecte : celle de l’accointance de mon père et de ses écrits avec les nazis, la SS.
En lisant votre page Twiter, je lis que mon père est « responsable du site complotiste rouge-brun ». Comment osez-vous relier cette fake news ? La formulation « rouge brun », alliance du nazisme et du bolchévisme, est une insulte odieuse en ce qu’elle touche à notre engagement antifascite, anti-FN, anti-RN (des livres, des articles publiés contre les bêtes immondes d’hier et d’aujourd’hui tels La cathédrale au fond du jardin ; Marine Le Pen amène le pire). C’est une insulte abjecte à ce qui constitue notre histoire familiale d’exilés espagnols, nous qui portons dans la chair l’engagement contre les fascistes. Insulte à mon grand-père paternel qui fournissait en douce de la dynamite aux Résistants. Le côtoiement que vous tentez d’opérer « Vivas-SS » le tout entrecoupé de « rouge », comme pour diluer l’infamie, (ou en ajouter, selon l’état de votre anticommunisme) est une insulte encore à ce qui constitue l’origine même de notre nom. Jamais une ligne brune, rouge brune, n’ont été écrite par mon père, ni même sur son site. Sortez de l’opinion et entrez dans les faits. Les archives du site LE GRAND SOIR sont en accès libre ! Vous répétez ce que vous avez lu à la va-vite sur les sites, vos rapprochements et vos méthodes sont à vomir. Dans le combat que vous menez où tous les coups sont permis, jusqu’où irez-vous ? Pensez vous que cela serve votre propos ?
A quoi bon rectifier ? Vivas-rouge-brun, tout est dit ! L’Information et ses informateurs, moins que la vérité, savent composer avec choses-là !
Comment faire pour que les pourfendeurs des fakes-news ne soient pas eux- mêmes les diffuseurs des informations et des procédés qu’ils dénoncent ? Quelle place aujourd’hui a la « parole contraire », celle qui ne relève pas du complot et du fake ?
Edwy Plenel décrit le journaliste comme un « artisan du petit fait vrai ». Il est vrai que les « vérités de faits », celles dont s’occupent les journalistes, selon l’expression d’Hannah Harendt, sont des « vérités modestes » à la différence des « vérités de raison ». Mais dans le cas précis, le souci du « fait brut » doit être notre raison, en l’occurrence la description réelle d’un auteur et non ses accointances fantasmées, supposées, glanées sur le tas d’ordures que produisent certains sites web . Rien ne vous autorise à brutaliser les hommes et les faits.
Même si le tâtonnement est parfois la règle.
Même par indélicatesse, imprécision, mensonges.
Même si votre haine est telle que vous devez user de l’argument de la SS pour dénigrer un militant antifasciste.
Même si l’auteur sur la sellette a pour terrain de réflexion la Chine et les Ouïghours.
Même si les procédés de récolte d’informations orthodoxes conduisent à formuler des hypothèses hétérodoxes qui déplaisent à la doxa dominante des classes éponymes.
Voilà ce que j’avais à vous dire, Monsieur, souffrez que ce texte ne soit pas un service commandé (je pare une éventuelle critique, je m’attends à tout), pour autant que vous me lisiez, que vous lisiez ceux que vous combattez, et que vous vouliez vraiment faire votre travail d’informer ou même que vous décidiez, l’éthique en bandoulière, de ne plus chercher à l’horizon d’un point Godwin, de quoi donner à nous forger un point de vue. A une heure de grande écoute. Sur le service public. A propos d’hommes dont vous ne semblez réellement connaitre ni les travaux, ni les idées qui les traversent, ni même l’histoire.
Frédéric VIVAS
28 mars 2021.
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir