150 ans depuis la Commune de Paris

Il y a 150 ans, le 18 mars 1871, les quartiers ouvriers de Paris se sont soulevés pour empêcher l’armée de voler les canons de la Garde nationale de Paris. L’insurrection et la formation une semaine plus tard de la Commune de Paris ont une importance historique mondiale. C’est la première fois dans l’histoire que la classe ouvrière a pris le pouvoir.

Les soldats ont mis crosse en l’air et ont fraternisé avec les ouvriers, refusant l’ordre de tirer sur la foule, le gouvernement d’Adolphe Thiers a fui dans la panique à Versailles. Les Parisiens étant armés et le gouvernement ayant déserté la ville, le pouvoir est passé aux mains des travailleurs.

Le 26 mars, les élections à la Commune ont eu lieu. La Commune a adopté des politiques visant à réduire les monstrueuses inégalités sociales créées par le régime capitaliste français et à rallier les travailleurs de France et d’Europe à ses côtés.

La brutalité de la réaction de Thiers fut proportionnelle à la menace ressentie par la bourgeoisie à sa domination de classe. Après deux mois de préparatifs, Thiers a envoyé une armée écraser la Commune et noyer Paris dans le sang. Au cours de l’infâme Semaine sanglante du 21-28 mai 1871, les Versaillais ont pris Paris d’assaut, utilisant l’artillerie lourde et massacrant pêle-mêle hommes, femmes et enfants soupçonnés d’avoir combattu pour la Commune ou sympathisé avec elle.

Environ 20.000 Parisiens ont été exécutés et 40.000 traînés à Versailles pour être emprisonnés ou condamnés aux travaux forcés et déportés en Guyane ou en Nouvelle-Calédonie.

Au prix d’un énorme tribut en sang, la Commune a donné à la classe ouvrière internationale une expérience inestimable de la lutte pour le pouvoir. Avec les inégalités sociales grotesques, le militarisme d’État policier et la spéculation débridée du capitalisme contemporain, ces leçons sont plus pertinentes aujourd’hui que jamais.

Plus que tout autre, c’est Karl Marx qui a tiré ces leçons. Ses appels au prolétariat mondial, rédigés pour l’Association internationale des travailleurs alors que la Commune siégeait à Paris, défendaient la Commune pour être « monté à l’assaut du ciel ». Publiés dans toute l’Europe et rassemblés dans La guerre civile en France, ils ont valu à Marx le soutien durable des travailleurs en France et dans le monde.

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La lutte des classes en France et la conception matérialiste de l’histoire

L’analyse de la Commune par Marx et son grand collaborateur, Friedrich Engels, était le produit de 30 ans d’anticipation théorique, avec l’élaboration de la conception matérialiste de l’histoire. Marx souligna en 1844 le rôle prépondérant de la révolution prolétarienne dans l’émancipation de l’humanité : «La tête de cette émancipation est la philosophie, son cœur le prolétariat…». Le Manifeste du parti communiste de 1847, écrit par Marx et Engels, commence par la célèbre déclaration :

« L’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire des luttes de classes. Homme libre et esclave, patricien et plébéien, baron et serf, maître de jurande et compagnon, en un mot, oppresseurs et opprimés, en opposition constante… Cependant, le caractère distinctif de notre époque, de l’époque de la bourgeoisie, est d’avoir simplifié les antagonismes de classes. La société se scinde de plus en plus en deux vastes camps ennemis, en deux grandes classes diamétralement opposées : la bourgeoisie et le prolétariat ».

Le Manifeste est paru la veille de la première grande éruption sociale de l’Europe du XIXe siècle : la révolution de 1848, qui s’est répandue en Allemagne, en Autriche, en France et au-delà. Une insurrection à Paris a renversé le dernier de la lignée des rois de la restauration, Louis Philippe d’Orléans, suite à la défaite de la France dans les guerres napoléoniennes après la Révolution française. Pour la première fois depuis le 18e siècle et la Révolution française de 1789, la République était à nouveau déclarée en France.

Pourquoi la révolution de 1848 a pris un tout autre cours que celle de 1789 ?

Les Jacobins qui ont pris le pouvoir durant la Grande révolution – pour ensuite exproprier la propriété féodale, abolir la monarchie et fonder la I ère République – s’appuyaient sur les artisans indépendants, les sans-culottes. La bourgeoisie libérale qui a pris le pouvoir sous la IIe République en 1848 a mené quant à elle un conflit mortel contre le nouveau prolétariat industriel.

Lorsqu’en juin 1848, la IIe République a fermé les Ateliers Nationaux bâtis pour employer les chômeurs, les ouvriers parisiens se sont révoltés contre le danger de pauvreté et de famine. Le général Eugène Cavaignac a dirigé l’armée dans une répression sanglante. Il a exécuté plus de 3.000 ouvriers et en a arrêté 25.000, dont 11.000 sont allés en prison ou en déportation.

Ceci a tellement discrédité la IIe République qu’en 1851, le neveu de Napoléon, Louis Bonaparte, a pu lancer un coup d’État, fonder le Second Empire et gouverner sous le nom de Napoléon III.

Marx, dans une lettre à Louis Kugelmann, écrit :

« Dans le dernier chapitre de mon 18 Brumaire [de Louis Bonaparte]je remarque comme tu le verras si tu le relis que la prochaine tentative de la révolution en France devra consister non plus à faire passer la machine bureaucratique et militaire en d’autres mains, comme ce fut le cas jusqu’ici, mais à la détruire. C’est la condition première de toute révolution véritablement populaire sur le continent. »

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La Commune de Paris et la Semaine sanglante

La Commune est née de la guerre lancée par Napoléon III en juillet 1870 contre la Prusse. Napoléon III tombait dans un piège tendu par Bismarck, la question de la succession du trône d’Espagne.

L’Allemagne venait de gagner une guerre contre l’Autriche et la Bavière (Sadowa) et comptait avec le fusil à répétition Mauser et le canon Krupp plus l’esprit national puissant d’unité allemande ;

Napoléon III, un régime d’affairistes en plein chute libre après l’échec de l’aventure mexicaine, visait à maintenir le rang mondial de l’impérialisme français en bloquant les efforts de la Prusse pour unifier l’Allemagne, tout en réprimant les luttes de classe à l’intérieur.

Six mois plus tôt, en janvier 1870, quand le prince Pierre Bonaparte avait abattu le journaliste de gauche Victor Noir, une manifestation de plus de 100.000 personnes lors des funérailles s’était transformée en tentative d’insurrection.

La guerre franco-prussienne fit chuter le Second Empire. En infériorité numérique, surclassée en artillerie et en logistique et dirigée par des généraux incompétents, l’armée française subit une défaite humiliante.

Napoléon III fut capturé le 2 septembre à Sedan, et l’armée prussienne occupa le nord de la France. Le 4 septembre, sur fond de manifestations à Paris, la IIIe République fut proclamée. Un Gouvernement de défense nationale rassembla des bourgeois libéraux ou bonapartistes comme Thiers, Jules Favre et le général Louis-Jules Trochu. Le 17, l’armée prussienne assiégea Paris.

La bourgeoisie se montra une fois de plus hostile à la démocratie et à la défense du peuple. Le 28 octobre, le général François-Achille Bazaine s’est rendu avec ses troupes à une armée prussienne plus petite après un siège à Metz. Bazaine, dont la haine de la République et des principes démocratiques était bien connue, est largement accusé de trahison. (Une situation qui va se répéter lors de la deuxième guerre mondiale. La moitié de l’État Majeur de guerre français passera au gouvernement de la Collaboration)

La situation à Paris, la capitale assiégée de la nouvelle République, était désespérée.

Les Parisiens, armés et formés en unités de la Garde nationale, résistèrent malgré une famine généralisée jusqu’à la signature d’un cessez-le-feu le 26 janvier 1871. Victor Hugo, revenu à Paris lors de la déclaration de la République, a exprimé la colère générale contre l’élite dirigeante en écrivant : «Paris a été victime de la défense autant que de l’attaque».

La lutte des classes s’avéra bien plus puissante et fondamentale que le conflit national entre les bourgeoisies française et allemande. Thiers, en négociant l’armistice avec la Prusse, s’inquiétait comme Bazaine d’empêcher une révolution.

Quant à l’armée prussienne, à part une occupation de trois jours de l’avenue des Champs-Élysées, elle se tint soigneusement en dehors des limites de la ville de Paris, craignant les quartiers ouvriers de l’Est parisien densément peuplés et armés.

Les classes dirigeantes française et prussienne voulaient avant tout désarmer les ouvriers parisiens.

Le soulèvement du 18 mars 1871 fut la réponse spontanée de la classe ouvrière parisienne à la première tentative de Thiers de la désarmer en s’emparant des canons de la Garde nationale. Les ouvriers fraternisèrent avec les soldats.

Deux généraux qui avaient ordonné sans succès aux soldats de tirer sur les ouvriers – Clément Thomas et Claude Lecomte, qui avait joué un rôle dirigeant dans la répression en juin 1848 – furent arrêtés et fusillés. Le même jour, Thiers a fui Paris.

Les canons transportés par les Communards à Montmartre dans Paris après que l’armée a tenté de les voler.

Les élections à la Commune et au Comité central de la Garde nationale, organisées par arrondissement donnèrent une majorité écrasante aux quartier ouvriers. Ils sont devenus des organes du pouvoir ouvrier.

Mais leur pouvoir était plus rhétorique que réel. En plus, les Communards ont commis des erreurs militaires énormes, restant sur Paris et n’attaquant pas juste après les Versailles, la réaction était désorganisée et KO. Pire encore, les forts qui dominent Paris furent laissés abandonnés pour plus de trois jours ce qui a permis aux Versaillais de s’en emparer et de les pointer contre La Commune.

La Commune fut composée des conseillers municipaux, élus au suffrage universel dans les divers arrondissements de la ville. Ils étaient responsables et révocables à tout moment. La majorité de ses membres était naturellement des ouvriers ou des représentants reconnus de la classe ouvrière… Au lieu de continuer d’être l’instrument du gouvernement central, la police fut immédiatement dépouillée de ses attributs politiques et transformée en un instrument de la Commune, responsable et à tout instant révocable.

Il en fut de même pour les fonctionnaires de toutes les autres branches de l’administration. Depuis les membres de la Commune jusqu’au bas de l’échelle, la fonction publique devait être assurée pour un salaire d’ouvrier.  (Voilà la bonne formule contre les carriéristes). Les bénéfices d’usage et les indemnités de représentation des hauts dignitaires de l’État disparurent.

Encerclée par les armées française et prussienne, la Commune a toutefois mené des politiques socialistes et démocratiques. Elle a fixé un salaire minimum, créé des cantines municipales pour les travailleurs et donné des appartements vides aux pauvres. Elle a accordé des remises de dettes aux petites entreprises et aux locataires, aux frais des banques et des propriétaires, et laissé les ouvriers reprendre leurs objets de valeur aux monts-de-piété. Elle garantit la liberté de la presse, laïcisa l’enseignement et préconisa que les hommes et les femmes reçoivent un salaire égal pour un travail égal.

La Commune ne faisait aucune distinction de nationalité et défendait l’unité internationale de la classe ouvrière.

La Commune a admis tous les étrangers à l’honneur de mourir pour une cause immortelle. Entre la guerre étrangère perdue par sa trahison, et la guerre civile fomentée par son complot avec l’envahisseur étranger, la bourgeoisie avait trouvé le temps d’afficher son patriotisme en organisant la chasse policière aux Allemands habitant en France. La Commune a fait d’un ouvrier allemand [Leo Frankel] son ministre du Travail… La Commune a fait aux fils héroïques de la Pologne [les Généraux J. Dabrowski et W. Wróblewski] l’honneur de les placer à la tête des défenseurs de Paris.

Un conflit cataclysmique émergea entre la Commune, qui luttait pour l’égalité, et la IIIe République, qui luttait pour les privilèges capitalistes. Thiers, en négociant avec Berlin, visait à faire libérer assez de soldats français capturés pour former une armée, recrutée principalement parmi les ruraux, et écraser la Commune. Cette force, abrutie par des rations doubles de vin et renforcée par des jeunes issus de familles aisées ayant fui Paris pour Versailles, donna l’assaut en mai.

S’étant emparés d’une partie mal défendue de la muraille de la ville le 21 mai, les Versaillais ont massacré la Commune au cours d’une semaine horrible. Bombardant Paris à l’artillerie lourde, elle se déplaça vers l’est et les quartiers ouvriers, écrasant les barricades que les communards avaient dressées dans les rues. Thiers lui-même ne laissa aucun doute sur la politique de la IIIe République, déclarant lors d’un discours le 24 mai à l’Assemblée nationale : «J’ai versé des torrents de sang.»

On fusillait les Communards sur-le-champ ou on les envoyait ailleurs pour des exécutions en masse s’ils étaient trop nombreux. Les pelotons d’exécution ou les mitrailleuses travaillaient sans relâche dans les lieux touristiques d’aujourd’hui : Parc Monceau, Jardin du Luxembourg, place d’Italie, École militaire, cimetière du Père Lachaise. Certains prisonniers creusaient leur propre tombe avant d’être fusillés. D’autres, hommes et femmes, abattus ou passés à la baïonnette, étaient déshabillés et jetés dans les rues pour terroriser la population.

Une frénésie meurtrière s’empara des riches. Pour Le Figaro, « Jamais une occasion pareille ne se présentera pour guérir Paris de la gangrène morale qui le ronge depuis 20 ans. … Allons, honnêtes gens, un coup de main pour en finir avec la vermine démocratique et sociale, nous devons traquer comme des bêtes fauves ceux qui se cachent »

Pour l’aristocratie financière, la chasse aux ouvriers était ouverte. Des rumeurs folles circulaient dans la presse selon lesquelles des Communardes brûlaient les maisons au pétrole, et toute ouvrière trouvée avec de l’huile était en danger. On assassina certaines qui tentaient d’incinérer leurs maris abattus ou qui avaient acheté de l’huile d’olive. Les foules aisées battaient les détenus communards ou donnaient de l’argent aux soldats qui se vantaient d’avoir tué des femmes et des enfants communards. Dans son livre de 2014 sur la Commune, Massacre, l’historien John Merriman écrit:

On déshabillait les gens pour vérifier si leurs épaules portaient les marques laissées par un fusil en recul. Ceux qui étaient mal habillés, ne pouvaient pas raconter instantanément leurs actions ou qui n’exerçaient pas un métier ‘correct’ avaient peu de chances de survivre à la brève audience devant un tribunal de fortune.

Après que 20.000 Parisiens eurent été fusillés au gré de l’armée, 40.000 furent conduits à Versailles, sans eau ni vivres, pour y être jugés. En chemin, les gardes tiraient à volonté sur les traînards ou les autres prisonniers. Environ 11 000 d’entre eux furent condamnés aux travaux forcés et déportés.

Des communards assassinés durant la Semaine sanglante. Photo prise par André-Adolphe-Eugène Disdéri en mai 1871.

Le 31 mai 1871, dans son journal, le critique littéraire Edmond de Goncourt est revenu sur la Semaine sanglante pour applaudir les projets meurtriers de l’élite dirigeante:

« C’est bon. Il n’y a eu ni conciliation ni transaction. La solution a été brutale. Ça été de la force pure (…) La solution a redonné confiance à l’armée, qui a appris, dans le sang des communeux, qu’elle était encore capable de se battre. Enfin, la saignée a été une saignée à blanc; et les saignées comme celle-ci, en tuant la partie bataillante d’une population, ajournent d’une conscription la nouvelle révolution. C’est vingt ans de repos que l’ancienne société a devant elle, si le pouvoir ose tout ce qu’il peut oser en ce moment. »

Ce fut une leçon inoubliable sur les conséquences horribles de la défaite dans les révolutions. Elle a démontré la férocité de la bourgeoisie, qui accepte de détruire des villes, des pays entiers ou même le monde pour écraser une menace à sa domination de classe. La nécessité pour les travailleurs de réprimer la violence contre-révolutionnaire de la minorité privilégiée exigeait une action déterminée pour prendre et conserver le pouvoir.

Il y aura sans doute ceux qui s’opposeront et rejetteront la lutte des travailleurs pour le pouvoir comme une tentative d’installer la «dictature du prolétariat.» On associe souvent faussement ce terme aux crimes du régime stalinien, qui a dissous l’Union soviétique, en fait, et restauré le capitalisme il y a 30 ans, en 1991. À ces adversaires de la lutte pour le pouvoir des travailleurs, on peut répondre, avec Engels:

Le philistin social-démocrate a été récemment saisi d’une terreur salutaire en entendant prononcer le mot de dictature du prolétariat. Eh bien, messieurs, voulez-vous savoir de quoi cette dictature a l’air? Regardez la Commune de Paris. C’était la dictature du prolétariat.

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