par Alastair Crooke.
Aujourd’hui, l’Establishment occidental met en œuvre un double redémarrage de son mythe de légitimation en voie de délabrement.
Historiquement, la « modernité » et le Moyen-Orient n’ont jamais fait bon ménage. Cette cohabitation tendue n’a pas non plus été une expérience réjouissante ; loin de là, elle a été extrêmement perturbatrice. Elle a donné lieu à des transferts forcés de populations, au détachement de personnes de leur communauté, de leur culture et de leur terre. Elle s’est accompagnée d’épisodes de laïcité imposée, allant jusqu’à l’obligation de s’habiller à l’occidentale. La Renaissance islamique du XIXe siècle a été éclipsée par l’occidentalisation, les anciens mythes ont disparu et l’Islam ne tenait plus qu’à un fil dans les années 1920, tandis que les jeunes de la région étaient captivés par les attraits d’un socialisme étranger.
Aujourd’hui, l’Establishment occidental met en œuvre un double redémarrage de son mythe de légitimation en voie de délabrement. Ils appellent cela une « Réinitialisation ». Il s’agit en effet d’une mise à jour ultérieure, « téléchargée », de son système d’exploitation – qui n’est plus tellement axé sur la démocratie et la liberté dans le monde ; ce récit est discrètement mis à l’écart, après les élections américaines de novembre qui ont été source de division.
Non, l’Occident altruiste mène aujourd’hui une charge de cavalerie massive pour « sauver notre planète » du changement climatique. C’est la « modernité » occidentale actualisée. De plus, les « valeurs » de l’establishment ont été améliorées en fonction de sa nouvelle mission. Le nouvel agent de l’Establishment, plus « sensible », est farouchement opposé à la « suprématie blanche », à « l’inégalité » raciale et sociale, et par ailleurs totalement engagé en faveur de l’agenda vert et de l’application des droits de l’homme (genre et identité) dans tous les domaines.
Cela représente un énorme changement par rapport à la petite équipe du CFR (Council on Foreign Relations) qui, au début des années 1940, recherchait un impérialisme américain basé, non pas sur le colonialisme littéral britannique ou français discrédité, mais un impérialisme enraciné dans des valeurs universelles de vertu, et soutenu par une puissance de feu massive.
Une « révolution » tranquille parmi les élites, n’est-ce pas ? Oui, et un grand changement aussi par rapport à l’éthique de ceux qui ont financé à l’origine le CFR (Financiers Rockefeller et JP Morgan) – les « Barons » d’un capitalisme « frontalier » rude et surdimensionné.
Aujourd’hui, même le Wall Street néolibéral est en train de se « verdir ». Il fait désormais des investissements socialement, écologiquement et financièrement responsables (ESG). Et puisque le vert est le thème central, il en va de même pour la vague d’investissements pro-ESG que chaque banque propose à ses clients parce que – eh bien, vous savez – c’est la chose socialement, écologiquement et financièrement responsable à faire (sarcasme). Il s’avère que les positions les plus populaires de tous ces fonds ESG qui prônent la vertu sont des sociétés telles que… Microsoft, Alphabet, Apple et Amazon, pour lesquelles il serait difficile d’expliquer en quoi leurs actions sont bénéfiques pour l’environnement.
Que peut laisser présager ce changement de mentalité pour la région ? Beaucoup de choses vont-elles changer ? En théorie, l’ordre dirigé par les Américains va changer, mais le contrôle restera. Il s’agira uniquement d’un contrôle basé sur le climat, par le biais de règles sur les émissions de CO2, d’un cadre mondial pour la santé et les pandémies, et d’un cadre réglementaire de la Banque centrale pour un système monétaire numérique.
Si cette « Réinitialisation » réussit – ce qui n’est nullement garanti –, les perturbations qu’elle pourrait entraîner dans la région du Moyen-Orient pourraient rivaliser avec les troubles survenus au XIXe siècle :
» … les États-Unis disposent d’une variété « d’outils » pour imposer leurs objectifs climatiques au monde. Biden parle déjà de l’utilisation de droits de douane sur le carbone, de frais ou de quotas sur les biens à haute teneur en carbone des pays qui « ne respectent pas leurs obligations climatiques et environnementales »…
« Le climat fournirait ainsi à l’administration Biden un argument pour poursuivre les objectifs protectionnistes de Donald Trump par d’autres moyens. Comme l’a dit Biden pendant sa campagne : « Les pays qui ne respectent pas leurs responsabilités en matière de climat ne seront pas autorisés à éroder les progrès mondiaux avec des biens bon marché et sales en carbone ». Une ligne dure contre les « biens sales en carbone » – serait donc un moyen de « protéger les emplois américains » … Mais il y a beaucoup plus dans la boîte à outils. Les objectifs climatiques justifient amplement des interventions fortes dans la politique intérieure des nations, notamment le soutien à certains partis, mouvements sociaux et ONG ».
« …Le fait est que les pays en développement ont besoin d’énergie et qu’ils développent leurs infrastructures de combustibles fossiles en conséquence. La construction d’oléoducs et de gazoducs en est une preuve évidente. Les États-Unis, sous la direction de Biden, vont-ils tenter d’arrêter ces projets au nom de la sauvegarde du climat ? »
Alexis de Tocqueville aurait bien compris le sens de cette marche lente et muette de la réglementation mondiale progressive en matière de climat, de santé et de droits. Écrivant en 1835, il prédisait que la société tomberait dans un nouveau type de servitude qui « couvre la surface de la société d’un réseau de petites règles compliquées », qui « ne tyrannise pas mais compresse, énerve, éteint et stupéfie les gens, jusqu’à ce que chaque nation soit réduite à n’être rien de mieux qu’un troupeau d’animaux timides et industrieux dont le gouvernement est le berger ».
Certains États du Moyen-Orient peuvent rester sur la touche, en attendant de voir si un retour forcé à la poursuite de l’agenda hégémonique des États-Unis est vraiment possible aujourd’hui ; et d’attendre aussi l’apogée épique de cette lutte, à mesure que la résistance se développe. Car la réalité est que l’autorité euro-américaine est mince, que ses habitants sont profondément divisés, que ses systèmes sont décrits comme truqués et que de multiples crises sont facilement visibles à l’horizon.
Pour rétablir une classe impériale mondiale, l’équipe Biden devrait forcer un retour en arrière psychologiquement climatérique sur l’axe Russie-Chine-Iran – un retour en arrière qui (comme l’issue de la Guerre froide) semblerait justifier la mise à jour occidentale de son « système d’exploitation ». Cette perspective ne semble toutefois pas probable.
Certains États du Golfe, qui ont déjà adopté la post-modernité occidentale, suivent la feuille de route de la Réinitialisation de Davos : ils concentrent leurs économies dans un cercle de contrôle étroit et maximisent l’opérationnalité centralisée. Mais surtout, ils ont adopté le mantra de Davos sur la Quatrième Révolution industrielle (4IR), dans laquelle l’IA, les robots et la technologie changent le monde (comme un « miracle » de l’offre).
Arrêtons-nous un instant : Que se passe-t-il ?
Eh bien, lorsque la Big Tech américaine a vu le jour, ses plateformes étaient des outils susceptibles d’aider les humains à communiquer plus facilement et plus commodément. Rien de plus. Puis les choses ont changé. Premièrement, elles ont découvert que la surveillance de tout ce que leurs utilisateurs regardaient, ou pour lequel ils montraient un quelconque intérêt (ou témoignaient d’un état émotionnel altéré), permettait aux plateformes de connaître parfaitement l’individu – et, deuxièmement, à partir de là, de prédire son comportement. Il n’y avait qu’un pas à franchir pour comprendre que si les individus étaient si prévisibles et répondaient infailliblement aux signaux psychologiques de la plateforme, celle-ci pouvait « influencer » leur comportement et leurs croyances. Ils obtenaient un contrôle mental sans intervention humaine, et ce grâce aux algorithmes.
Ce qu’il faut retenir, c’est que le processus rendait les oligarques fantastiquement riches en gérant un contrôle mental complexe qu’ils pouvaient vendre. En bref, le processus, l’IA, était tout. Les utilisateurs n’étaient que du bétail.
Et maintenant, cette approche de la plate-forme gérée par l’IA est étendue à l’économie. Nous sommes à l’aube d’un « remodelage fondamental de la finance », affirme le PDG du plus grand fonds spéculatif du monde, Blackrock. Les émissions de CO2 sont en train d’être monétisées et une vaste machinerie financière est en train d’être créée, liant la valorisation des actifs à des paramètres tels que « l’intensité carbone », les « indices de durabilité » et les nouvelles « variables de valeur », comme le nombre d’employés LBGTQ. Une fois évalués, ils seront échangés et des contrats à terme seront achetés et vendus.
De la même manière que les plateformes sociales d’aujourd’hui permettent aux jeunes d’envoyer des signaux de vertu à leurs « amis » et, grâce à l’illusion des « j’aime » et des émojis « pouce levé », de sentir qu’ils font partie d’une « vraie » communauté de personnes partageant les mêmes idées, les mêmes principes d’utilisation du contrôle mental de l’IA pour mélanger les variables ESG permettront aux fonds de Wall Street de présenter à chaque investisseur l’image de vertu particulière d’une entreprise que l’IA détermine qu’il ou elle aimerait le plus voir.
À l’heure où les économies occidentales deviennent de plus en plus fictives, il s’agit là d’un excellent moyen d’inciter les investisseurs à croire qu’ils réparent le monde en investissant dans « l’ESG », alors qu’ils ne font qu’enrichir Larry Fink et Jamie Dimon. Peut-être que ce « jeu » économique ESG virtuel deviendra aussi addictif que « Fortnite ».
« Après tout, qui peut être contre le fait de réparer le climat, même si cela coûte des quadrillions … ou plutôt, surtout si cela coûte des quadrillions – car d’un seul coup, les banques centrales se sont assurées une carte blanche pour imprimer autant d’argent qu’elles en auront jamais besoin, car qui refuserait … si c’était pour s’assurer que les générations futures aient une vie meilleure ?
« Cette semaine, l’ancien responsable des investissements durables chez BlackRock a écrit une tribune dans USA Today, dans laquelle il admet que Wall Street fait de l’écoblanchiment dans le monde de la finance, faisant de l’investissement durable une simple opération de relations publiques – une distraction. « Le secteur des services financiers dupe le public américain avec ses pratiques d’investissement durable et pro-environnement. Ce domaine de l’investissement socialement responsable, qui représente plusieurs milliards de dollars, est présenté comme ce qu’il n’est pas. En fait, Wall Street écologise le système économique et, ce faisant, crée une distraction mortelle. Je suis bien placé pour le savoir, j’étais au cœur de l’affaire ».
En d’autres termes, à mesure que les bulles des marchés existants s’affaiblissent et finissent par éclater, nous aurons besoin d’une nouvelle bulle – une « bulle verte » d’investissement durable (jusqu’à ce qu’elle s’effondre elle aussi). Mais il y a aussi un côté plus sombre à ce « jeu » technologique. C’est que les algorithmes sont en train de devenir rapidement les maîtres du jeu. Ce sont eux qui déterminent comment nous inciter et nous pousser vers un comportement qui apporte un gain financier aux oligarques de la plateforme. Cette métamorphose est absolument implicite dans l’agenda de « Davos ». Les robots, l’IA, la vision et la reconnaissance par les machines progresseront et prédomineront, la plupart des humains étant relégués à des « congés de jardin » rémunérés (peut-être jusqu’à ce qu’on s’en passe complètement, lorsque les machines assumeront des qualités humaines et deviendront transhumaines).
Ces aspects peuvent sembler lointains à ceux qui vivent dans la région, et ne les inquiètent peut-être pas outre mesure. Mais cela devrait les inquiéter :
Les partisans des politiques vertes ont longtemps averti (depuis avant les élections américaines de 2016) que l’incapacité des investisseurs à comprendre l’impact radical d’un passage des anciennes valeurs (qui propagent la démocratie) à « Sauver la planète » a conduit à une énorme surévaluation des actifs liés aux combustibles fossiles – basée sur les hypothèses des investisseurs selon lesquelles la croissance de la consommation mondiale de ces derniers combustibles doit se poursuivre – et que les gouvernements ne prendront que des mesures timides pour la diminuer. Pourtant, une transition rapide vers des sources d’énergie sans CO2 pourrait laisser derrière elle une montagne « d’actifs échoués liés aux combustibles fossiles », qui devraient être amortis parce que leur valeur réelle sous-jacente s’est évaporée.
En 2015, le gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mark Carney, a déclaré :
« L’évolution des politiques, des technologies et des risques physiques pourrait entraîner une réévaluation de la valeur d’un large éventail d’actifs. La vitesse à laquelle cette réévaluation se produit est incertaine et pourrait être décisive pour la stabilité financière… Alors qu’une manifestation physique donnée du changement climatique – une inondation ou une tempête – peut ne pas affecter directement la valeur d’une obligation d’entreprise, une action politique visant à promouvoir la transition vers une économie à faible émission de carbone pourrait déclencher une réévaluation fondamentale… [Une] réévaluation globale des perspectives, en particulier si elle devait se produire soudainement – pourrait potentiellement déstabiliser les marchés, déclencher une cristallisation procyclique des pertes et un resserrement persistant des conditions financières.
En 2019, Carney, alors qu’il était encore gouverneur de la Banque d’Angleterre, a pratiquement appelé les investisseurs à abandonner leur exposition financière aux actifs liés aux combustibles fossiles. Dans une interview accordée à la BBC le 30 janvier de la même année, il a souligné la menace qui pèse sur les fonds de pension, en avertissant que :
« Jusqu’à 80% des actifs mondiaux de charbon et jusqu’à la moitié des réserves prouvées de pétrole pourraient devenir des actifs échoués alors que le monde s’efforce de réduire les émissions de carbone et que les énergies propres et renouvelables continuent de remplacer les combustibles fossiles ».
On sait que Carney est un fervent adepte de Davos, mais il n’en reste pas moins que la « transition vers une économie à faible émission de carbone » est maintenant arrivée. Ou du moins, elle est promise par Biden et al, comme le moyen par lequel les États-Unis peuvent se réinventer et réimposer leur leadership mondial (sans tenir compte du fait qu’il n’est pas judicieux de comprendre cette seule variable, le CO2, comme l’unique déterminant du changement climatique).
Que cette transition serve ou non les ambitions de leadership de Biden est une chose. La question principale est de savoir si elle va « sauver » l’économie mondiale ou la faire s’effondrer (comme le laisse entendre Carney, ce qui pourrait être une possibilité réelle).
source : https://www.strategic-culture.org
traduit par Réseau International
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