Insuccès et départ de Vermorel.
Comme je l’en avais prévenu, Vermorel a fait un fiasco complet avec son journal.
Sur son seul titre, les crieurs étaient assaillis de quolibets. On leur achetait la feuille, mais pour la lacérer et la fouler aux pieds.
Depuis 1848, notamment, il n’est de bassesses, de trahisons, de crimes qui ne se soient abrités derrière l’Ordre.
Dès qu’un homme parle d’ordre, on regarde de tous côtés pour s’assurer qu’on ne sera ni vilipendé, ni traîtreusement assailli. C’est au nom de l’ordre qu’on emprisonne, qu’on déporte, qu’on pend, fusille, guillotine ceux qui tentent de mettre fin aux brigandages de tout genre dont vivent, depuis des siècles, les gouvernants aux dépens des gouvernés.
Aussi ne comprend-on que trop la répulsion et les méfiances qu’inspirent ceux qui emploient ce mot justement exécré dans son acception politique.
Après l’apparition du deuxième numéro de son journal je rencontre Vermorel, découragé de l’insuccès de sa tentative insensée.
– Je pars ce soir, me dit-il. Adieu donc, et pour tout de bon cette fois… Le temps d’aller embrasser ma mère et je m’embarque pour l’Amérique. Je n’ai rien à faire dans ce gâchis… Je n’y puis rien… Je ne sais vraiment pourquoi j’y piétinerais plus longtemps.
Pauvre Vermorel ! Cet échec le met hors de lui. Il me semble pourtant qu’il ne fallait pas une grande perspicacité pour le pressentir.
Gustave Lefrançais, Souvenirs d’un révolutionnaire, De juin 1848 à la Commune
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