Crise rime avec galère pour les autoentrepreneurs

Par NAÏRI NAHAPÉTIAN  sur  Alternatives économiques

La crise sanitaire aggrave la situation des autoentrepreneurs dont l’activité est souvent à l’arrêt. Les aides de l’État ne compensent qu’en partie la fragilité de leur statut.

« J’ai l’impression que tout ce que j’ai construit ces dernières années s’écroule », s’attriste Lola Tobelem, qui gagne sa vie en assurant des missions de chargée d’études sous le statut d’autoentrepreneur. En parallèle, elle écrit des livres sur l’argot, le foot ou la mode, payés en droits d’auteur, et a longtemps animé une pastille sur Canal +, rémunérée en cachets. Mais, il y a trois ans, quand elle s’est luxé l’épaule, elle n’a plus touché aucun revenu pendant trois mois, dans l’attente du versement d’une assurance « risques de la vie », finalement obtenue en bataillant.

Nouvelle épreuve avec l’épidémie de Covid-19. Son activité a connu un net ralentissement, son principal client étant spécialisé dans les études de marchés pour la grande distribution. Durant les quelques mois du confinement, le fonds de solidarité lui a certes permis de maintenir la tête hors de l’eau, mais elle se demande bien comment faire face à la chute d’activité.
   

« Le statut d’autoentrepreneur est simple, permet de s’enregistrer en ligne, de faire sa comptabilité soi-même, en payant ses cotisations chaque trimestre. Mais on doit assumer beaucoup de frais : la mutuelle, les vacances… et surtout les risques : maladie, reconversion ou chômage ne sont pas pris en charge », souligne-t-elle. 80 % des autoentrepreneurs affichent un chiffre d’affaires en baisse de 40 % ou plus par rapport à 2019, selon l’Union des autoentrepreneurs.

Comme elle, environ 80 % des autoentrepreneurs affichent un chiffre d’affaires en baisse de 40 % ou plus par rapport à 2019, selon une enquête de l’Union des autoentrepreneurs (UAE) menée auprès de 3 300 personnes, dont 18 % de travailleurs des plates-formes. Seules 5 % des personnes interrogées ont purement et simplement arrêté leur activité. Mais un quart sont inscrites comme demandeurs d’emploi, quand une bonne moitié se retrouve sans ressources et a dû solliciter le revenu de solidarité active (RSA).

Les autoentrepreneurs sont en effet particulièrement nombreux dans des secteurs très touchés par la crise : services à la personne, salles de sport, activités culturelles.

Catherine Hérouard est professeur de danse. « Je n’ai pas le droit de donner des cours alors que certains conservatoires de danse sont restés ouverts, je ne comprends pas pourquoi », s’étonne-t-elle. Elle affirme avoir « de la chance », car les adhérents de son association n’ont pas demandé le remboursement des cours payés au début de l’année scolaire.

Elle perçoit en continu une aide au titre du fonds de solidarité, mais demeure très inquiète. « Comment peut-on espérer fidéliser la clientèle après tous ces mois de fermeture ? », s’interroge-t-elle.

Du côté des plates-formes, Arthur Hay de la CGT coursiers constate que contrairement à une idée reçue, les livraisons de repas n’ont pas « explosé » durant cette période, puisque beaucoup de restaurants sont fermés. De nombreux livreurs ont donc dû diminuer ou arrêter leur activité.

Durant la crise sanitaire, les conditions de travail se sont souvent dégradées, en particulier pour les travailleurs des plates-formes. Jérémy Wick a ainsi expérimenté le « free shift » adopté par Deliveroo : alors que les livreurs avaient auparavant un agenda où les mieux notés avaient accès aux horaires les plus avantageux, les courses sont désormais devenues plus incertaines.

Aides insuffisantes

Pourtant, seul un autoentrepreneur sur cinq a touché une aide du fonds de solidarité, selon l’UAE. D’après la Fédération nationale des autoentrepreneurs (Fnae), de nombreuses personnes en ont en effet été exclues au titre que leur activité n’était pas considérée comme faisant partie des secteurs du tourisme, de l’événementiel, de la culture, du sport… éligibles à ce soutien public.

Hind Elidrissi, porte-parole d’Independants.co, un syndicat né en février, rappelle que « la majorité des indépendants fait de la prestation de service ». D’autres n’ont pas un an d’ancienneté dans l’activité, condition requise pour percevoir cette aide.

Pour ceux qui l’ont perçue, cela a certes représenté « une bouffée d’oxygène » pouvant aller jusqu’à 1 500 euros par mois. Mais Hind Elidrissi fait également remarquer que cette somme est plafonnée, alors que les salariés perçoivent 84 % de leur salaire net en chômage partiel.

Certes, en marge du fonds de solidarité, une nouvelle aide a été créée en janvier pour la prise en charge de 70 % des coûts fixes des entreprises fermées administrativement ou des secteurs en difficulté. Mais Indépendants.co demande que le fonds de solidarité continue à être versé en dehors des périodes de confinement. L’UAE plaide de son côté pour qu’une subvention de 500 à 600 euros par mois soit versée durant six mois aux autoentrepreneurs. Cela représenterait 400 000 personnes pour un coût d’environ 1 milliard d’euros.

Les autoentrepreneurs ne sont en effet pas sortis de l’auberge. L’économiste Philippe Askenazy constate que le prêt garanti par l’Etat « enferme les entrepreneurs dans des situations d’endettement ».

L’autoentrepreneuriat, remède à la crise ?

Sans compter qu’avant la crise, la situation de ces indépendants n’était déjà pas très florissante. Selon l’Insee, le revenu médian mensuel des autoentrepreneurs était de 250 euros en 2015. Fin 2019, l’Acoss estimait leurs revenus annuels à 5 593 euros, contre 41 969 euros pour les indépendants classiques. Comme le rappelle Philippe Askenazy, au plus d’un million d’autoentrepreneurs actifs en France, s’ajouterait un million de personnes qui cumuleraient un emploi d’indépendant avec un emploi salarié.

La palme de l’exploitation revient aux plates-formes. Ainsi, Jérémy Wick, livreur pour Deliveroo, a vu sa rémunération passer de 7,50 euros par heure, plus 4 euros par course, en 2017 à 2,60 euros la course auxquels s’ajoute un prix au kilomètre depuis 2019.

Pourtant, en dépit de sa fragilité, ce statut continue de susciter l’engouement, notamment parce qu’il implique une exonération des charges sociales quand le chiffre d’affaires est encore bas. Ainsi, d’après l’Insee, le nombre d’autoentrepreneurs a augmenté de 6 % en 2020, soit 630 000 personnes en plus. Parmi eux, beaucoup de livreurs de repas et de chauffeurs de VTC.

Le nombre d’autoentrepreneurs a augmenté de 6 % en 2020, soit 630 000 personnes en plus. Parmi eux, beaucoup de livreurs de repas et de chauffeurs de VTC

L’une de conséquences de la crise de 2009 avait déjà été un regain d’intérêt pour cette forme d’emploi. « Les personnes sans emploi se tournaient vers le monde de l’indépendance pour avoir de l’emploi et le statut d’autoentrepreneur, avec son système socio-fiscal attractif, rencontrait un succès immédiat », se souvient Philippe Askenazy.

L’économiste constate une surreprésentation des moins de 25 ans et des plus de 55 ans parmi eux, de même qu’une forte présence des étrangers et des personnes nées à l’étranger, « toutes les personnes exposées à des difficultés sur le marché du travail salarié, en somme ».

Mais il relève également « un renforcement du contrôle des travailleurs par les entreprises durant la crise sanitaire, et donc une augmentation sensible de la surveillance et de la subordination, qui a pu mener certains à créer leur propre entreprise ».

Philippe Askenazy regrette d’ailleurs que rien ne soit prévu afin de « faire basculer les travailleurs des plates-formes dans le monde salarié », puisqu’il s’agit souvent d’un salariat déguisé. Une revendication que porte également Arthur Hay, de la CGT coursiers qui rappelle que ces derniers ne bénéficient ni de la Sécurité sociale, ni du chômage, ni de la mutuelle, ni de congés payés, ni de moyens de réparer leur matériel, ni, enfin, de formations, alors que les livreurs qui circulent à vélo auraient besoin d’être informés sur les risques liés à la circulation sur la route. « Il ne se passe pas une semaine sans que je voie un accident », se désole-t-il.

NAÏRI NAHAPÉTIAN

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