par Alexandru Mamina.
19 mars 2014
En 1812 Napoléon a vaincu les russes à Borodino, puis il a occupé Moscou. N’importe quel monarque européen raisonnable aurait demandé, d’une manière civilisée, une paix. Le tsar Alexandre 1er était alors de cette sorte de monarques, il s’était entendu avec Napoléon à Tilsit, en 1807. Cette fois, son esprit raisonnable a été accaparé par le sentiment du peuple contre l’occupant, et de ce fait il a refusé de négocier et a continué le combat.
Le résultat : les russes sont arrivés jusqu’à Paris où ils sont restés jusqu’en 1818.
En 1941 les armées allemandes se sont, elles aussi, approchées de Moscou. Une éventuelle victoire aurait pu signifier la fin de Joseph Visarionovitch Staline, celui-là même qui avait décidé la condamnation de millions de personnes durant la « Grande Terreur ». Néanmoins, au lieu de recevoir les allemands en libérateurs voire simplement avec indifférence, les Russes se sont unis autour du Géorgien du Kremlin, devenu défenseur de la « Mère Patrie ». Il est vrai que les Allemands ont aussi tout fait pour réveiller l’adversité … ce qui n’a pas manqué de se savoir.
À l’opposé nous avons la guerre de Crimée, déclenchée par le tsar Nicolas 1er en 1853, et terminée deux années plus tard, avec la défaite de Sébastopol. Une guerre qui, non seulement n’a pas déclenché de réel enthousiasme, mais aussi a fragilisé le régime au point que Alexandre II a été obligé d’entamer une politique de réformes. Nous pourrions dire la même chose au sujet de l’intervention soviétique en Afghanistan.
Que pouvons-nous remarquer à partir de ces deux catégories d’exemples ?
En premier lieu que la Russie risque d’être vulnérable quand elle déclenche une guerre pour des motifs strictement liés à ses dirigeants, mais qu’elle devient implacable quand elle est provoquée, car c’est à ce moment que se réalise le lien moral entre ses dirigeants et la grande masse de la population, ce qui conditionne, et dans le cas de pays de la même taille nous pourrions dire qui assure, le succès militaire.
Le territoire et le nombre d’habitants permettent des retraits stratégiques et de refaire ses effectifs, choses susceptibles d’annihiler la supériorité technique et tactique de l’adversaire, comme cela s’est passé en 1812 et en 1941, tout en se confrontant aux meilleures armées européennes (nous nous référons bien entendu aux guerres conventionnelles).
Au deuxième rang on doit remarquer la psychologie spécifique aux russes, qui ne peut être adaptable au système de pensée et à la mentalité occidentale. C’est une psychologie affectivo-apocalyptique, centrée sur le sentiment final du destin, sur la mission historique de la Russie, et aussi sur la vocation du sacrifice pour ses semblables (les siens). C’est la psychologie des steppes, de l’immensité qui pousse à la fois à l’expansion et à la solidarité émotionnelle avec ses proches, et cela contre l’inconnu qui est de l’autre côté de l’horizon. À partir de là nous avons l’importance de la frontière dans l’histoire russe, doublée par la peur de l’invasion par l’étranger, saisissables depuis l’époque de la domination tatare jusqu’à ce qu’on peut appeler l’encerclement capitaliste.
Nous ne jugeons pas cette psychologie, nous l’enregistrons. Par elle sont nées des séries de chefs d’œuvres littéraires et artistiques, en parallèle avec une culture inclinée vers le maximalisme éthique et les méthodes radicales. Nous remarquons simplement la différence avec la psychologie cartésienne et pragmatique de l’Occident, plus concentrée sur le calcul opportuniste et individualiste que sur l’investissement affectif et par le sacrifice personnel par amour d’une existence morale supérieure, qu’elle soit l’orthodoxie, l’idée communiste ou la Patrie. C’est de là que nous avons l’explication du comportement « déraisonnable » de 1812 et de 1941, ce qui bouleverse la structure occidentale de compréhension de la politique.
Aujourd’hui, il n’y a aucun doute que la mentalité collective des russes a changé. La Mode venue de l’ouest, le consumérisme, la globalisation induisent d’autre sensibilités et attentes, de facture mercantile et hédoniste. Toutefois ce qui reste est le patriotisme lié à la gloire de l’époque impériale, le prestige international, des choses qui motivent les russes depuis au moins deux siècles. Encore beaucoup d’entre eux peuvent supporter le manque et les vexations, si leur pays est une grande puissance.
Ceci est la psychologie qui soutient le « poutinisme ». L’ascension de Vladimir Poutine s’est produite, d’une part comme réaction du complexe militaro-industriel face à la suprématie publiquement vue des oligarques dans les années 1990, d’autre part en réponse aux attentes d’une population en voie de paupérisation, lequel leur a offert la compensation idéale par leur appartenance à un État qui compte dans le monde.
Les puissances occidentales ont négligé cet aspect, ou tout simplement elles ne l’ont pas compris, quand elles ont forcé le détachement de la Russie par l’Ukraine, en utilisant la violence de Maïdan. C’est ainsi qu’elles ont réussi à réactiver le sentiment d’agression venant de l’extérieur, c’est-à-dire exactement ce qu’il ne faut pas faire avec les russes. Maintenant Vladimir Poutine contre-attaque et réussit un coup double : il annexe la Crimée et se refait une popularité partiellement érodée ces dernières années.
La morale, exprimée de manière plus familière, est qu’il n’est pas indiqué de donner aux russes une chiquenaude, car ils risquent de déclencher une bagarre.
source : http://www.argumentesifapte.ro
traduit par Gérard Luçon
Source : Lire l'article complet par Réseau International
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