Depuis plus de quinze ans, la rappeuse altermondialiste Keny Arkana banalise un complotisme radical. Dans l’un de ses derniers titres, elle pourfend les « médecins collabos arrosés par Big Pharma »…
« Cette chanson est un point de vue qui, par son engagement et liberté de ton, en devient un manifeste pour la liberté d’expression. » C’est en ces termes que le site 13 or du hip hop évoque le dernier titre de Keny Arkana.
Rendu public dès la fin du mois de février 2021, « Violence masquée » laisse pourtant peu de place au doute quant aux positions extrémistes de la rappeuse marseillaise : propos anti-vaccination, accusation de complot politico-pharmaceutique, clin d’oeil aux Gilets jaunes… Keny Arkana dénonce rien moins qu’un « génocide dans les EHPAD », orchestré par « les mêmes qui ne parlent d’échange qu’en parts de marché », « qui ont le budget pour gazer les gens mais pas pour soigner » et « [qui n’]ont fait que mentir, tromper les chiffres, creuser le clivage. »
Dans le clip, sur fonds d’images de membres du gouvernement, d’émeutes urbaines ou de cours de bourse qui grimpent, elle répète plusieurs fois : « Aucune confiance dans leur monde malsain, maintenant ils veulent nous imposer leurs vaccins. »
Alors que s’affiche le visage du Pr Karine Lacombe, cheffe du service des maladies infectieuses à l’hôpital Saint-Antoine (Paris) et bête noire des complotistes les plus enragés, la chanteuse s’en prend à ceux qu’elle appelle les « médecins collabos […] arrosés par Big Pharma », « marionnettes des labos (qui) nous mettent dans l’pétrin », avant de conclure « Collabos ! Franc mac’ plein de dédain ».
Après trois années d’absence, Keny Arkana revient sur le devant de la scène avec la sortie annoncée de son album Exode. Trois chansons issues de cet opus ont déjà été partagées sur les réseaux sociaux, parmi lesquelles « Dis-leur qu’on les emmerde », présentée comme un hymne de résistance aux mesures contre la pandémie de Covid-19.
On ignore si le titre « Violence masquée » figurera sur l’album. Il n’a pour l’instant été diffusé que sur une page YouTube anonyme d’où il a été relayé sur les réseaux sociaux par Keny Arkana, notamment sous les hashtags « #libertécontrelamachine » ou « #DictatureSanitaire », un hashtag particulièrement usité par des activistes d’extrême droite depuis plusieurs mois. La vidéo a également été publiée sur la chaîne Odysee de son collectif, « La Rabia del Pueblo » [« La Rage du Peuple » en français].
Signée chez Because Music, l’un des plus gros labels indépendants de France, la rappeuse de 38 ans a toujours revendiqué un rap « engagé », radical et militant : « Je ne suis pas une rappeuse, mais une contestataire qui fait du rap » confiait-elle ainsi à L’Obs en 2016.
Militante altermondialiste d’origine argentine, Keny Arkana a participé à plusieurs forums sociaux mondiaux. En 2004, elle a cofondé « La Rabia del Pueblo », un collectif altermondialiste marseillais présenté comme « un réseau de citoyens du monde […] en dehors des partis politiques ou lobbies d’influence » luttant « contre les dictatures du capitalisme, le libéralisme et le jeu des puissants » et dénonçant « les manipulations et les conspirations ». Elle a aussi soutenu des ZAD ou encore le mouvement « Nuit Debout ».
« L’Illuminati contre l’homme »
Les plus récentes sorties complotistes de Keny Arkana ne sont en rien une surprise : depuis ses débuts en 2003, une coloration antisystème virulente est omniprésente dans ses textes, n’hésitant pas à verser dans l’ésotérisme eschatologique. Une recette éprouvée mêlant messages contestataires et fantasmes paranoïaques. Conspiracy Watch a écouté attentivement tous les titres de la chanteuse qui flattent cet imaginaire complotiste décomplexé.
En 2006, dans son premier album studio Entre ciment et belle étoile, elle chantait ainsi : « C’est rires contre larmes / L’égo contre l’âme / Et à plus haute échelle, je dirais l’Illuminati contre l’homme », annonçant que « le plus dur reste à venir le jour où ça sera trop tard / Où la surveillance sera absolue et nos prénoms seront des codes barres » (« Entre les lignes : clouée au sol »).
Dans « Triste monde », elle dénonçait « Big Brother » et « ses yeux et oreilles partout » : « La famine est maintenue, paraît que c’est lucratif, la faim ça rend esclave : 3 grains de riz pour 20 heures de taf’ en Asie / Vietnam, Irak l’industrie de l’armement fait sa gentille promotion en tuant hommes, femmes et enfants / Des petites bombes par-ci par-là, ça relance l’économie pour reconstruire, les investisseurs sont déjà là / Ils vont pas se plaindre des quelques milliers de cadavres, le sang des innocents en sacrifice pour honorer le pacte avec le Diable. »
Les paroles de sa chanson « La Rage » sont du même tonneau : « La rage car ils ne veulent pas que ça change / Préférant garder leur pouvoir et nous manipuler comme leurs engins ». Un morceau qu’elle interprète sur scène lors de la Fête de l’Huma 2006. Dans le clip, une série de vidéogrammes figurent une pyramide finissant par être surmontée par l’œil de la Providence, le même que celui qu’on trouve sur le billet d’un dollar.
C’est d’ailleurs ce même symbole que Keny Arkana fera figurer – probablement au cas où l’on n’aurait pas compris – dans le coin inférieur droit de la couverture de Désobéissance, son album de 2008 qui faisait la part belle au thème complotiste du Nouvel Ordre Mondial.
Dans « Réveillez-vous », elle fustigeait l’« État policier » et son « Nouvel Ordre officieux, terrorisme officiel ». Elle annonçait également une « Campagne de disparition marketing pour qu’on accepte les puces dans le corps, […] La science et la recherche au service de la peur / Car un virus c’est mieux qu’une guerre pour exterminer un peuple. »
Sur ce même opus figurait également le titre « Ordre mondial » qui dénonçait le fonctionnement d’un « jeu de l’illusion que vous appelez “démocratie” » : « Je me cache derrière des idéologies pour que l’opinion soit d’accord / J’ai imposé la biométrie sur vos passeports / J’ai fabriqué la peur, pour que tout le monde soit sur écoute […] / Je contrôle vos esprits par le biais des médias, vous êtes à ma merci […] / Je suis l’Ordre mondial / L’ordre créé par les puissants / Confréries, chefs des multinationales / Politiques économiques, je suis la conjoncture / Imposée à la planète, j’ai instauré ma dictature. »
Même ambiance dans le single « Imagine », sorti un an plus tôt en 2007 : « Imagine qu’on nous ment, depuis des siècles et des siècles / Que certaines communautés haut placées connaissent les recettes […] / Pourquoi ils veulent pas dévoiler tous les secrets qui se cachent au Vatican ? […] / Pourtant tous nos politiciens font partie d’une confrérie, n’est-ce pas intrigant ? / Rituels secrets, connaissances occultes, envoutâges / Manipulations, phénomènes de masse et maraboutage […] / Imagine que les big boss du monde se réunissent / À base de rituels bizarres de Washington jusqu’à Tunis / Chefs d’États, PDG à l’échelle mondiale / Coursiers cachés ou grand patron d’une multinationale / J’appelle la Franc-Maçonnerie, l’armée du salut, la Rose-Croix / Et toutes les confréries ou sectes liées aux États / Secrètement (Chut !), mais qu’est ce qui se cache derrière ? / Les têtes qu’on voit à la télé ce sont que des pantins, mais qui se cache derrière ? / Imagine que tout soit indirectement dirigé / Par des maîtres religieux, ou plutôt des maîtres sheytanisés [diaboliques – ndlr] / Pour les Occidentaux ou conneries ou tabou / Alors pourquoi la CIA porte dans ses rangs les plus grands marabouts ? / L’occulte est partout, et en scred [secrètement – ndlr] des tas le sont / Vit ce monde manipulé et même les Chefs d’États le sont ! »
« Dix ans de menaces terroristes montées de toutes pièces »
En 2011 sortait son album L’Esquisse 2. Elle y reprenait à son compte les poncifs de l’antisionisme radical ainsi qu’un lieu commun du complotisme post-11-Septembre, celui du terrorisme fabriqué. Dans « Une décennie d’un siècle », elle déplorait « Dix piges que l’Euro nous nique, que les portables nous parasitent / Des ondes qui nous grillent le cerveau bien plus qu’une tonne de cannabis […] / Si tu critiques le nazisme israélien, on te traitera d’antisémite […] / Fascisme est remonté en flèche, chaque pays s’est dictaturalisé […] / On est tombé dans le panneau, quand la peur parle le peuple acquiesce / Dix ans de menaces terroristes montées de toutes pièces / Ça s’appelle l’art de manigancer des drames pour orienter l’opinion / L’ordre Mondial a fait du chemin en dix ans… »
Sur le même album, dans la chanson « V pour Vérités », inspirée de l’imaginaire du film « V pour Vendetta », Keny Arkana se décrivait en résistance face au système (« Insurgés du règne mis en place par une bande de vipères / Nous sommes de ceux qui se sont levés […] Notre lutte est légitime face à une politique d’holocauste »), reprenant une nouvelle fois le fantasme d’une épidémie planifiée – nous sommes alors un an après la pandémie de grippe A(H1N1).
Elle chante : « Ne croyez pas que les gouvernements vous protègent / Ils se préparent le terreau hors-pair du plus grand génocide / La famine dans les pays riches, répression / Mais aussi des épidémies, peut-être pour qu’on ait peur de se rassembler / Ou juste pour biznesser un tas de vaccins empoisonnés / Peut-être avec une puce dedans, serait-ce pour de la surveillance ? / Ou pour modifier nos états psychiques à l’aide de leurs fréquences / L’Occident construit des camps, l’Europe s’apprête à réinstaurer la peine de mort / Spécialement pour les insurgés. »
En 2012, sur son disque Tout tourne autours du soleil, le message complotiste se faisait un peu plus feutré, comme dans les chansons « Esprits libres » (« Écartez-vous si vous êtes trop lâches pour voir la vérité / Laissez passer les esprits libres / Lignée de ceux qui renverseront l’Histoire »), « Y’a urgence » (« D’un cycle, d’un temps, la matrice, en somme, est perfide / Nous berce de romans, pour nous endormir hyper vite ») ou encore « Entre les lignes #2 » (« Préserve ton esprit, les médias c’est l’arme du règne / Ceux qui accusent l’incendie sont souvent ceux qui l’allumèrent »).
Enfin, en 2017, sur l’album L’esquisse 3, elle plaçait son message conspirationniste dans l’actualité, à l’exemple de la chanson « Couleur Molotov » : « Le monde regarde les grandes puissances tester ses nouveaux missiles sur des civils / L’industrie, l’armement se portent bien, prospère est son plan / Elle a porté un de ses fils jusqu’au trône de la Maison Blanche […] Le virtuel ou l’enfer, vois-tu, le Nouvel ordre est en marche […] Les enfants qui se vendent sur Facebook, 30.000$ par tête […] / Des satellites, des ondes nocives partout, des sales antennes / Des guerres ethniques, des enfants soldats, ça fait rire les diamantaires. »
Dans cette chanson, Keny Arkana s’attaquait également aux médias (« Les médias mentent, on le sait tous et on fait style »), thème qui lui est cher depuis ses débuts et figurait dans pas moins de trois autres titres au nom évocateur pour ce seul album de 2017 : « La vérité fait mal » (« Propagande médiatique / Dites adieux aux blancs drapeaux, résister c’est l’embargo / Coup d’état, CIA, le business se manie, l’état tue dans un grand chaos / Des mois de lutte, des nuits debout / Des assemblées, des barricades / Pour au final voir passer en douce leur bouquet de lois pendant le deuil d’un attentat »), « Tout est faux » (« des mensonges dans les médias, des mensonges dans les livres d’Histoire ») et « Fourmilière » (« Le mensonge sort de la bouche des médias, comprendre, c’est regarder qui a financé »).
Voir aussi :
Sniper : la radio publique est-elle dans son rôle lorsqu’elle promeut un rap complotiste ?
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Source: Lire l'article complet de Conspiracy Watch