par Patrick de Casanove.
La déprogrammation d’interventions dites « non urgentes » pour permettre l’accueil en réanimation de personnes atteintes par la Covid n’est pas éthique. En France, certains le paieront de leur vie.
Un peu d’histoire
« Les ordonnances des 4 et 19 octobre 1945 créent une organisation de la Sécurité sociale qui fusionne toutes les anciennes assurances (maladie, retraite…) ».
Il faut relire l’exposé des motifs de l’ordonnance du 4 octobre 1945 :
« La Sécurité sociale est la garantie donnée à chacun qu’en toutes circonstances il disposera des moyens nécessaires pour assurer sa subsistance et celle de sa famille dans des conditions décentes. Trouvant sa justification dans un souci élémentaire de justice sociale, elle répond à la préoccupation de débarrasser les travailleurs de l’incertitude du lendemain, […] la menace de la misère.
[…] Le but final à atteindre est la réalisation d’un plan qui couvre l’ensemble de la population du pays contre l’ensemble des facteurs d’insécurité…[…] Il est institué une organisation de la Sécurité sociale, destinée à garantir les travailleurs et leurs familles contre les risques de toute nature susceptibles de réduire ou supprimer leur capacité de gain, à couvrir les charges de maladie ou de maternité qu’ils supportent ».
« La Sécu, c’est le droit de vivre. La création de la Sécurité sociale était dans le programme « Les Jours heureux » où le Conseil national de la Résistance (CNR) proclame « un plan complet de Sécurité sociale »…
« L’idée était de permettre à tous de vivre sans avoir peur de la maladie, de l’accident de travail, de la vieillesse… »
La trahison des idéaux de la Sécurité sociale
« C’est en 1945 que Ambroise Croizat a eu le courage politique de lancer l’idée d’une protection sociale pour laquelle chacun cotise selon ses moyens et reçoit selon ses besoins ».
Cependant, cette maxime n’a jamais pu être mise en œuvre car structurellement, un système reposant sur la spoliation légale ne peut fonctionner, parce qu’il est injuste.
Le rationnement préside le fonctionnement de la Sécu : déremboursements, personnes ou pathologies non couvertes, fermetures de lits.
La gestion gouvernementale de la Covid lui a porté un nouveau coup. La Sécurité sociale, « mythe républicain », fierté nationale et modèle social, n’a pas permis à tous les Français d’être soignés selon leurs besoins.
Ils sont contraints de prépayer leurs dépenses de santé et, pour la première fois dans leur histoire, des soins nécessaires non seulement ne leur ont pas été donnés, mais leur ont été interdits.
Quand on regarde ce que le gouvernement a fait de la France aujourd’hui, avec une économie ruinée, des gens brisés, l’incertitude totale du lendemain, l’insécurité, la peur comme moyen de gouverner, les jours heureux sont devenus les jours de malheur et le droit de vivre celui d’être enfermé. Il a trahi les « idéaux de la Sécurité sociale ».
Rationnement des soins, médecine de tri
N’en déplaise à Macron, ne pas soigner quelqu’un pour soigner quelqu’un d’autre est un tri.
Au mois de mars 2020 des mesures pour déprogrammer les interventions non urgentes avaient déjà été prises.
« Les conséquences ont été extrêmement difficiles avec pour certains patients, une perte de chance […] On a mis des semaines et des mois à rattraper », explique Rémi Salomon, président de la Commission médicale d’Établissement de l’AP-HP.
Le 12 février 2021 le Ministère de la Santé a publié une circulaire pour « Organiser l’offre de soins » et à nouveau imposer la déprogrammation des interventions estimées non urgentes.
C’est l’ordre qu’a donné l’ARS d’Île-de-France le 8 mars.
Le coût en termes de santé publique est élevé
- La perte de chance
Déprogrammer des interventions soulève un problème de responsabilité médicale à cause des risques ainsi créés pour les patients.
Cela s’appelle la « perte de chance » :
« Constitue une perte de chance « réparable » la disparition actuelle, et certaine d’une éventualité favorable. […] Ce concept est parfois utilisé […] pour sanctionner une faute technique (retard d’intervention)… »
- Trouver la « gravité limite »
Le plus délicat est de trouver la limite à partir de laquelle la perte de chance a des conséquences néfastes avérées, et ce d’autant que certaines personnes ont vu leurs interventions reportées trois fois…
- La décision de report doit être collégiale
Dans chaque établissement « une cellule de programmation multidisciplinaire ad hoc ou par évolution de structures existantes (exemple : conseil de bloc opératoire) » doit être mise en place. Dans le même document l’État donne des recommandations de tri.
- Les urgences et les autres…
« Pour organiser ces déprogrammations, les chirurgiens de chaque spécialité se réunissent en conseils de bloc opératoire.[…]
Les urgences vitales sont opérées, les semi-urgences vitales sont opérées, la cancérologie, il faut l’opérer.
Par contre, la prothèse de hanche, de genou, le ligament croisé, le canal carpien, la cataracte, plein de pathologies dites bénignes et fonctionnelles, on va pouvoir les décaler », explique Didier Legeais, urologue à Grenoble.
Il alerte tout de même sur le risque d’aggravation de certaines pathologies fonctionnelles.
D’autant que reprogrammer une intervention chirurgicale peut prendre beaucoup de temps. Dans le service du Dr Chaïbi, certains patients attendent depuis le mois de mars de pouvoir être opérés ».
Pour autant, il y a le risque que cette gravité, « acceptable » pour un report, soit fixée en limite haute… Rémi Salomon, président de la Commission médicale d’Établissement de l’AP-HP « met en garde et affirme qu’il est nécessaire de faire un peu plus et […] déprogrammer y compris des interventions dont les patients ont vraiment besoin ».
Le non urgent peut le devenir. Le représentant des établissements de santé privés en Corse, le Docteur Jean Canarelli prévient :
« Nous gérons aujourd’hui un autre problème, tous les patients qui ont été retardés en mars, avril, mai qu’il faut prendre aujourd’hui en charge sous peine d’un risque de perte de chance […] en cancérologie mais dans beaucoup d’autres spécialités il y avait des patients qui étaient semi urgents qu’aujourd’hui il faut vraiment prendre en charge ».
- Les retards de dépistage
« Près de 93 000 diagnostics de cancers n’ont pu être établis en 2020. Ce constat alarmant est la conséquence directe de la Covid ».
Au cours de la seule « première vague », les retards dans la prise en charge des cancers pourraient entraîner 1 000 à 5 800 décès supplémentaires dans les prochaines années. Voire davantage :
« Une augmentation d’au moins 2% des décès par cancer au cours des 5 prochaines années. Soit 4 000 à 8 000 morts supplémentaires en France d’ici à 2025 ».
Ces « 2% étaient basés sur des hypothèses optimistes et notamment l’absence de deuxième vague », ce qui signifie que ce bilan sera bien plus lourd à cause des déprogrammations actuelles.
- À ajouter aux autres conséquences sanitaires
Les conséquences sanitaires liées à le gestion de la Covid ne sont pas limitées aux effets néfastes des déprogrammations. Elles sont bien plus graves que l’épidémie elle-même.
Le coût est important en termes d’éthique
Le tri signifie que certaines vies humaines vaudraient moins que d’autres.
Ce tri est inhumain et injuste. Chaque être humain est unique et est une personne. Les vies des personnes atteintes de la Covid valent celles des personnes ayant d’autres pathologies. La vie de chaque être humain est moralement égale et également digne. L’être humain ne perd jamais cette dignité.
« Personnalité, Liberté, Propriété, – voilà l’homme. […] ce sont les trois éléments constitutifs ou conservateurs de la Vie » Frédéric Bastiat, La Loi (1848)
Le chantage au confinement
La seule alternative, ou mesure complémentaire, évoquée est le confinement, qui est une aberration philosophique, éthique, scientifique et médicale. Le confinement n’est pas une arme de lutte contre les épidémies.
Le gouvernement d’un pays libre ne devrait même pas l’envisager. La prise en charge de l’épidémie devrait être médicale (dépister, tracer, isoler les malades et, très important, traiter… tôt). Les moyens existent pour ça, quoi que le gouvernement dise.
Ce n’est pas vraiment un problème de budget
« Les dépenses de santé en 2019 mettent en évidence qu’en 2019, la consommation de soins et de biens médicaux (CSBM) est évaluée à 208 milliards d’euros. […] La France consacre au total 11,3% de sa richesse nationale à la santé, soit 1,4 point de plus que la moyenne de l’Union européenne ».
Le Ségur de la santé prévoit 19 milliards sur 10 ans.
En 2020 les dépenses de soins ont augmenté de 7,5% mais les remboursements de médecine générale ont diminué de 6,1% ; preuve que la médecine générale a été laissée sur la touche.
C’est un problème de choix politique
Il n’y a pas eu création de lits de réanimation. Le Dr Jamil Rahmani explique sur Sud Radio :
« Nous avions demandé la requalification de notre unité de soins continus en réanimation. Cela a été refusé par l’ARS. […] Selon les autorités sanitaires, au niveau de la région, il n’y a pas de besoin de création de nouveaux lits de réanimation ».
Ce qui est dans la droite ligne de la volonté de Emmanuel Macron :
« Quant à la piste de l’augmentation de nos capacités de réanimation […] ce n’est pas une bonne réponse ».
La persistance de la pénurie est utile au pouvoir pour imposer ses mesures de coercition sociale.
Le Dr Jamil Rahmani ajoute :
« On ne peut pas créer des centaines de lits supplémentaires pour pallier des événements qui surviennent tous les quinze ou vingt ans. Cela nécessite du personnel, cela coûte extrêmement cher ».
Il est toutefois possible, compte tenu du budget de la santé en France, du coût phénoménal des mesures de restriction sociale et de la durée de cette crise, de prévoir une marge de sécurité dans les hôpitaux et une réserve au niveau du Service de Santé des Armées dont le rôle est de faire face à l’imprévu. La sécurité est une fonction régalienne.
Conclusion
La déprogrammation d’interventions dites non urgentes pour permettre l’accueil en réanimation de personnes atteintes par la Covid n’est pas éthique. En France, certains le paieront de leur vie. Il existe des solutions très en amont pour l’éviter.
Toutes ont été rejetées au profit de mesures de coercition sociale tout aussi injustes. Les conséquences délétères de l’une et des autres, non seulement s’additionnent, mais se multiplient. Chaque effet néfaste en déclenche un autre dans une spirale infernale.
Faute d’une remise en question, qui aurait été une véritable marque de courage, la même politique se poursuit depuis un an et se traduit par une cascade de mauvaises décisions. Une bonne gestion de la Covid conjugue une économie prospère, une société harmonieuse, une épidémie bien contrôlée et des soins pour tous. Personne ne doit rester sur le carreau. Nous en sommes loin.
source : https://www.contrepoints.org
Source : Lire l'article complet par Réseau International
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