Le Québec n’a pas seulement été aux prises avec une pandémie mondiale en 2020, il a aussi été exposé à une nouvelle idéologie caractérisée par sa rectitude politique extrême, le wokism. Présente sur les campus universitaires américains depuis un certain temps déjà, elle s’infiltre de plus en plus dans le discours politique ambiant, y compris de ce côté-ci de la frontière.
Les Québécois l’ont sans doute remarqué, plusieurs manifestations de cette idéologie ont surgi dans l’actualité récemment. Nous n’avons qu’à penser à Radio-Canada qui a retiré de sa plateforme Web un épisode de La petite vie parce que celui-ci ne correspondait pas à une interprétation très étroite de l’antiracisme. Il y a aussi le cas de l’Association des libraires du Québec qui a censuré une liste de lectures recommandées par le premier ministre François Legault. De nombreux exemples dans le milieu scolaire et universitaire ont également fait couler beaucoup d’encre récemment dans les médias. À ce sujet, il faut prendre le temps de souligner l’important travail journalistique d’Isabelle Hachey, de La Presse, au cours des dernières semaines.
De façon générale, lorsqu’elle a fait face à cette culture de la dénonciation, la classe politique québécoise s’est ralliée, pour exprimer son opposition à cette idéologie, autour de valeurs sûres qui ont fait leurs preuves dans l’histoire de l’Occident depuis les Lumières, comme la liberté d’expression. Et pas seulement à droite. Des personnalités de centre gauche telles que l’ancien chef du Parti québécois Jean-François Lisée et l’éditeur adjoint de La Presse François Cardinal ont — courageusement — dénoncé ceux et celles qui appellent à la censure. Ainsi, on peut dire qu’il existe un certain consensus au Québec en opposition à ces idées. À tout le moins, que les tenants de cette idéologie aux allures quasi religieuses sont fortement minoritaires dans la province. C’est tout le contraire dans le reste du Canada, lequel, pour toutes sortes de raisons, semble plus prompt à accepter et à appuyer ces appels à la censure — de la part de la gauche au nom d’un idéal de justice et d’égalité perçues ou réelles, et de la droite par crainte de représailles.
Est-ce qu’il faut voir là un élément conservateur de la société québécoise ? Je crois que oui. Et tant les partis politiques que les entrepreneurs ont intérêt à en prendre acte.
Le conservatisme n’est pas une idéologie rigide qui requiert des prises de position précises sur des enjeux. C’est même tout le contraire, il est l’expression d’un état d’esprit, d’un certain scepticisme devant ce que la gauche aime appeler le « progressisme ». Xavier Gélinas, historien et spécialiste de ces questions, décrit d’ailleurs le conservatisme comme étant « une attitude, un réflexe, une sensibilité plutôt qu’un corps de doctrine ». Autrement dit, le conservatisme est davantage une réaction qu’une idéologie.
Ainsi, lorsque les Québécois ont une réaction épidermique à une revendication woke, que ce soit l’annulation d’une pièce de théâtre qui offusque une poignée de militants ou l’exigence d’une écriture « épicène » en faveur d’une langue française « dégenrée » (et, franchement, dénaturée), ils expriment en fait une forme de conservatisme culturel qu’on voit peu ailleurs au pays. À ce titre, le Québec semble être seul à vouloir agir jusqu’à maintenant. Le gouvernement Legault a signalé récemment qu’il examinait ses options pour protéger la liberté d’expression sur les campus universitaires. Qui plus est, le premier ministre a fait part de son inquiétude personnelle sur sa page Facebook il y a quelques semaines.
Redéfinir le conservatisme
Au cours des dernières décennies, le Québec a compris le terme « conservatisme » à travers un prisme canadien-anglais ou même anglo-saxon, si nous voulons inclure les Britanniques et les Américains dans l’équation. Ainsi, lorsque les Québécois voient la marque conservatrice accolée à un nom, ils l’associent immédiatement aux valeurs d’une droite sociale, voire religieuse, qui leur est complètement étrangère. Cela s’explique par l’utilisation du mot par les institutions politiques d’origine britannique, mais également par l’abandon du terme par les Bleus canadiens-français — ensuite québécois —, qui lui ont préféré d’autres étiquettes. Pensons, notamment, à l’Union nationale (UN) et à l’Action démocratique du Québec (ADQ), qui étaient très certainement des formations politiques de centre droit ; celles-ci refusaient toutefois de s’accoler l’étiquette conservatrice. Probablement parce que le mot évoque chez les Québécois une tradition politique dans laquelle ils se reconnaissent peu.
Pourtant, le conservatisme est intrinsèquement contextuel, temporel et local ; il n’est pas une idéologie rigide appliquée de la même façon partout dans le monde. En d’autres mots, le conservatisme est enraciné dans une communauté nationale en vertu de caractéristiques propres à ladite communauté et il est rattaché à l’époque dans laquelle il évolue. Prenons un exemple quasi caricatural pour illustrer le propos : les valeurs dites conservatrices en Arabie saoudite sont nécessairement distinctes des valeurs dites conservatrices défendues en Europe. Ce que l’on cherche à « protéger » et à « conserver » est forcément différent. (La même logique s’applique par ailleurs aux époques. Un politicien canadien-français aux sensibilités conservatrices des années 1950 militait pour conserver des valeurs et un ordre différents de ceux de son équivalent québécois en 2021. Le premier souhaitait préserver une forte influence de la religion catholique dans la société, alors que le second veut protéger un modèle québécois d’intégration universaliste, attaché à la laïcité de l’État.)
Cette logique contextuelle s’applique également au Canada, où l’on retrouve (au moins) deux communautés nationales. Les conservatismes canadien-anglais et québécois ont bien entendu des valeurs communes, mais il existe aussi des différences non négligeables. Sans vouloir faire une liste exhaustive, on peut dire que le conservatisme canadien-anglais cherche à protéger les valeurs de libéralisme économique et de liberté religieuse. Il s’attache à célébrer et à défendre les institutions britanniques dont le Canada a hérité du Royaume-Uni. Dans l’Ouest canadien, le conservatisme est plus populiste et ressemble davantage à celui qu’on retrouve au sud de la frontière.
Au Québec, le conservatisme s’exprime indubitablement par le nationalisme et correspond davantage à ce qu’on retrouve en Europe continentale. Il est culturel et cherche plutôt à célébrer et à défendre l’identité nationale d’une population fortement minoritaire dans un contexte nord-américain. Il n’hésite pas à utiliser les leviers de l’État (une hérésie pour certains conservateurs du Canada anglais) pour parvenir à ses fins et protéger les valeurs qui lui tiennent à cœur, comme la promotion et le maintien du français en tant que seule langue commune, la laïcité de l’État, la tradition civiliste et l’égalité hommes-femmes.
Pour tout dire, le dénominateur commun du conservatisme québécois est le nationalisme. La ligne d’action de cette nouvelle gauche dont nous parlions précédemment se bute au nationalisme québécois, car elle cherche à miner et à défaire des acquis que les Québécois désirent conserver à tout prix pour des raisons de survie culturelle et linguistique. L’exemple de la loi 21 est le plus marquant : elle est attaquée de toutes parts par cette gauche qui voit du racisme partout. Certaines voix commencent aussi à s’élever contre la loi 101 au nom de la théorie du « racisme systémique ».
Soit dit en passant, l’incapacité historique — sauf exception (Brian Mulroney) — du Parti conservateur fédéral à incarner un conservatisme authentiquement québécois lorsqu’il se présente devant l’électorat de la Belle Province peut expliquer, en partie, ses insuccès électoraux sur le plan national par rapport au Parti libéral. Cumulativement depuis la Confédération, celui-ci a été capable de diriger le gouvernement fédéral plus longtemps que son principal adversaire parce qu’il a trouvé des façons de gagner à la fois au Québec et au Canada anglais. À l’inverse, les formations politiques de tendance conservatrice (sans égard à leur appellation officielle) ont connu beaucoup plus de succès dans les provinces, plus localement où il y a moins de compromis à faire, dans l’histoire politique canadienne.
Cela dit, notre société est en pleine mutation et les paramètres du débat politique l’encadrant le sont également. Autrefois, on concevait le débat politique sur deux axes. D’une part, on débattait du rôle de l’État dans l’économie, et d’autre part, on débattait des valeurs sociales. Il faut désormais en ajouter un troisième à cette équation : l’axe culturel. Et celui-ci prend de plus en plus d’ampleur et d’importance dans les résultats électoraux en cette ère marquée par la démondialisation. Sur ce nouvel axe qui émerge, le Québec est fermement dans le camp des nationalistes ou des « enracinés » au centre droit sur l’échiquier politique. Il est, après tout, dirigé par un gouvernement nationaliste très populaire.
En politique fédérale, on a longtemps tenu pour acquis que le Québec était l’endroit le plus progressiste de la fédération. Cette présomption a alimenté de nombreuses stratégies électorales, tous partis confondus, au cours des 50 dernières années. Maintenant que les questions d’ordre social (avortement, mariage gai, etc.) sont réglées, le débat se transporte ailleurs. Force est de constater que cette nouvelle gauche et ses revendications se butent à un mur au Québec. Les politiciens qui courtisent le Québec ainsi que les entreprises privées qui font des affaires ici doivent en prendre acte. Après tout, les Québécois font preuve de beaucoup de cohérence, ils se sont toujours montrés très hostiles à la droite religieuse ; il s’avère qu’ils le sont tout autant envers la gauche religieuse.
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Carl Vallée s’implique en politique fédérale et provinciale depuis plus de 15 ans. Il a travaillé au sein du cabinet du premier ministre du Canada à titre d’attaché de presse, porte-parole et conseiller québécois pour Stephen Harper entre 2009 et 2015. En octobre 2018, il a participé à la transition du nouveau gouvernement caquiste du premier ministre François Legault. Il est actuellement associé au sein du cabinet d’affaires publiques Teneo, à Montréal.
Source: Lire l'article complet de Vigile.Québec