par Kaarle Parikka.
Imaginez une société dystopique, où chaque citoyen est contraint à une série de conduites limitant non seulement ses libertés individuelles, mais collectives. Dans cette société règne la présomption de culpabilité : tout le monde est coupable jusqu’à preuve du contraire. De plus, il est impossible de convaincre de son innocence, car aucune preuve n’est recevable, par contre toute démonstration de l’inverse est routinière. L’État, qui répertorie les méfaits, trace également les actes potentiellement nuisibles de ses citoyens. Un comportement de prudence est renforcé sous peine de sanctions et encouragé sous l’étendard d’un devoir moral. Pour ceci, différents outils de communication sont utilisés pour persuader les citoyens, dont un vocabulaire stigmatisant. Et l’élément qui parachève le tout est la reproduction du même fonctionnement par les États avoisinants.
Vous l’aurez compris, il s’agit d’une description dramatisée de la crise que nous vivons depuis déjà une année. Si différentes urgences sociétales peuvent justifier une mise en suspension du fonctionnement habituel d’une démocratie (dont la guerre et les pandémies font partie), ce type de société serait désigné comme totalitaire en absence de puissantes justifications (les affirmations extraordinaires nécessitent des preuves extraordinaires disait Carl Sagan). La mise en place des lourdes mesures dans notre société était fondée sur la menace (liée à la létalité) du coronavirus et le maintien de ces conditions se base sur le nombre de personnes contaminées (et potentiellement contaminant). Ces deux justifications méritent d’être revisitées.
Au début de la crise, le taux de létalité utilisé pour le SARS-CoV-2 correspondait au taux apparent (« case fatality rate » en anglais). En d’autres termes, la mortalité due au COVID-19 était calculée en fonction des personnes mortes rapportée aux malades. Ce taux étant élevé, la peur était utilisée pour justifier un confinement généralisé. Même si je ne suis pas convaincu de l’intérêt des mesures prises à l’époque pour lutter contre l’épidémie avec l’information qui était dès lors disponible (j’en ai détaillé les raisons dans un article antérieur « Errare humanum est, perseverare diabolicum », l’effet de surprise et le mimétisme des pays voisins pourraient être utilisés pour défendre les décisions prises. Mais ce taux de létalité apparent ne reflète en réalité que l’état de notre système de soins de santé qui était trop débordé pour soigner les patients. Et les mesures drastiques comme la diminution sévère (voir l’arrêt) des activités commerciales, de la culture, des services, des soins de santé (hors COVID), du sport, des activités sociales, etc. ne peuvent être à mon sens que des solutions à court terme. En effet, les dommages collatéraux comprenant plusieurs catégories de victimes : ceux des impacts sanitaires (manque et report de soins), psychologiques (violences domestiques, saturation des admissions pédopsychiatriques, suicides…), économiques (faillites, pertes d’emploi) etc,… augmentent avec le temps jusqu’à l’atteinte d’un point de basculement, où ces dommages deviennent plus importants que la menace que l’on combat. De ce fait, la menace du coronavirus doit être constamment ré-évaluée et le maintien des lourdes mesures n’est justifiable que sur base d’un taux de létalité qui excède clairement celui des victimes collatérales.
Pour ce faire, il est nécessaire de calculer le taux de létalité, cette fois-ci dit réelle (« infection fatality rate » en anglais). Ce nombre est automatiquement plus bas que le taux apparent, car les victimes de la COVID-19 sont non seulement mises en relation avec les malades, mais également avec les porteurs sains du virus. En effet, une personne peut avoir contractée le virus sans pour autant présenter des symptômes (nommé dès lors asymptomatique). Et c’est la considération de ces asymptomatiques qui est à mon sens le vrai nœud du problème.
Lors de la découverte de porteurs sains (phénomène pourtant banal dans les maladies infectieuses), plutôt que de se rassurer d’un taux de létalité moins élevé qu’initialement calculé, le gouvernement s’est braqué. Il en a conclu que dorénavant toutes personnes, malades ou pas, était une menace potentielle. Un article de presse publié par la RTBF le 13 avril 2020 nous informait que l’endigage du virus est d’autant plus complexe, car les [personnes asymptomatiques] ne savent pas qu’elles sont malades (…) Le spécialiste des maladies infectieuses contribuant à l’article parlait de ces malades qui ignorent l’être (…) combien sont-ils ? Pour l’heure c’est impossible de le savoir. Notre société a sauté à pieds joints dans l’expression de Jules Romain : Tout homme bien portant est un malade qui s’ignore (dans « Knock ou le Triomphe de la médecine »).
C’est ainsi que depuis un an de pandémie déjà, nous sommes toujours dans un fonctionnement en prêt-à-porter : une mesure appliquée à tout le monde. Nous avons accumulé depuis le début de l’épidémie des connaissances considérables et pouvons identifier à présent les profils des personnes vulnérables, l’écrasante majorité étant des personnes âgées et/ou souffrant de comorbidités (telles que l’obésité ou le diabète). Et à la différence à des maladies comme la poliomyélite, la COVID-19 ne touche essentiellement pas les enfants et ne leur laisse pas de séquelles. Les enfants constituent d’ailleurs une fraction considérable des asymptomatiques. Selon le rapport du Centre européen de Prévention et de Contrôle, les enfants sont :
- moins fréquemment malades que les adultes et sont rarement touchés sévèrement et
- moins susceptibles à être contaminés et contaminant à leur tour.
De plus, le personnel éducatif n’est pas plus à risque d’être contaminé que les personnes exerçant une autre occupation et la fermeture des écoles devrait être un dernier recours vu l’impact que cela aurait sur l’éducation, la santé mentale et physique ainsi que sur l’économie et la société plus globalement. De ce fait, la question autour de la fermeture des écoles et de l’imposition potentielle des masques chez les enfants à mon sens ne devrait même pas se poser. En analysant les données sur la COVID-19 et la transmission du virus, on aperçoit que la gravité de la maladie augmente avec l’âge à travers la population. Les personnes âgées ayant globalement un système immunitaire moins robuste que les tranches d’âge plus jeunes, elles sont plus vulnérables. Ceci expliquerait, selon la même logique, pourquoi les personnes souffrant d’autres maladies sont plus à risque de développer des formes de la COVID-19 plus dangereux.
Mais la question brûlante se pose sur la transmission du virus par les porteurs sains. Si plusieurs études suggèrent que les asymptomatiques ne contribuent qu’à une petite fraction des contaminations, allant ainsi à l’encontre de la présomption de contagiosité de n’importe quelle personne (qui est la position actuelle de notre société), la littérature scientifique reste partagée sur le sujet. Plusieurs facteurs expliquent l’absence de consensus, dont par exemple la confusion entre les termes « asymptomatiques » et « présymptomatiques » ainsi que l’incertitude du moment de l’apparition des symptômes chez les patients malades. À la différence des « asymptomatiques » (les porteurs qui ne deviendront jamais malades), les « pré-symptomatiques » sont constitués de porteurs du virus qui sont sains aujourd’hui, mais malades demain (et qui deviendront dès lors des symptomatiques). La contagiosité de ces deux catégories est liée essentiellement à deux facteurs : d’une part la charge virale dégagée par le porteur du virus (c’est-à-dire le nombre de particules virales exhalées) et d’autre part la capacité qu’a toute personne réceptrice à se défendre contre une infection. Ce deuxième facteur ayant déjà été discuté ci-dessus, qu’en est-il de la charge virale ? Il y a étonnamment peu de littérature sur la charge virale liée au coronavirus, information pourtant cardinale pour étudier une épidémie et gérer une crise (ceci n’est pas propre à la Belgique, même si cette dernière se veut être un acteur d’envergure mondiale dans la biotechnologie.
Selon les études examinant la dynamique du SARS-CoV-2, il apparaît que la charge virale serait probablement la plus haute au tout début de l’apparition des symptômes. Une logique expliquant la transmission du virus par les différentes catégories de personnes peut ainsi être proposée : la charge virale est dépendante de la capacité de notre corps à combattre le virus. Les asymptomatiques n’ont pas de symptômes, car le virus a été neutralisé par leur système immunitaire. Ils ne peuvent transmettre qu’une charge virale très basse. Les présymptomatiques par contre produiront probablement le plus de particules dès l’apparition des premiers symptômes, avant que le système immunitaire ne puisse prendre le dessus (la mobilisation de la défense immunitaire explique par ailleurs les symptômes). Les symptomatiques ont la charge virale la plus élevée (qui est liée à la gravité de leur état de santé et par ailleurs sont plus susceptibles de transmettre le virus par la toux ou les éternuements, etc. si tant est que leur charge virale atteigne un certain seuil pour que la contamination s’effectue (qui serait probablement de l’ordre d’un million de particules virales dégagées. Notons que ce seuil reste improuvé, ce qui m’est incompréhensible, sachant que cela fait déjà un an que nous sommes confrontés à ce virus.
Si les porteurs du virus ne présentent une menace de contagion la plus grave que lors de l’apparition des premiers symptômes et que les profils cliniques des personnes vulnérables sont connus, reste-t-il encore une raison d’imposer les lourdes mesures à tout le monde ? Notre société justifie ce maintien en se basant sur le quantitatif (le nombre de contaminés) plutôt que le qualitatif (la menace que représentent ces contaminés) et l’un des problèmes qui contribue à cette crise sanitaire est attribuable à l’utilisation de la PCR comme moyen unique de dépistage du SRAS-CoV-2. Cette technique n’informe pas sur la contagiosité du porteur de virus. La PCR détecte la présence du virus à la manière d’une trace de doigt et n’instruit donc pas plus sur le virus que la trace sur le comportement de son propriétaire. Elle ne devrait être utilisée que pour différencier au sein des malades (donc symptomatiques) ceux qui souffrent de la COVID-19 de ceux qui sont atteints d’une autre maladie respiratoire. En règle générale, notons qu’en science tout test doit être confirmé par une méthode complémentaire au risque d’avoir des données biaisées. Dans le cas de la PCR comme outil de dépistage unique, des épidémies « fantômes » ont déjà été décrites dans le passé.
L’inertie de notre gouvernement à changer de stratégie préventive me semble être attribuable à un modèle du tout ou rien. L’État fonctionne suivant une éthique déontologiste, c’est à dire que les règles doivent être respectées par principe et en toutes circonstances (ne jamais voler, parjurer, tuer…). De ce fait, toute objection d’ordre pratique, comme le calcul des victimes collatérales en comparaison aux victimes directes de la COVID-19, est considérée immorale. En effet, le questionnement sur le prix à payer du maintien des mesures sanitaires entre plutôt dans un autre domaine d’éthique nommé conséquentialiste qui consiste à peser les pour et les contres de chaque action. Les dérives du conséquentialisme que pointent les déontologistes portent sur le sacrifice d’une minorité pour le bien être d’une majorité. En regard de la crise sanitaire, les défenseurs des mesures dénoncent une négligence des vulnérables (et surtout de la génération âgée) par les personnes qui ne sont pas à risque au nom de supposés loisirs, ce qui mène à une culpabilisation souvent très perverse et abusive des jeunes. Pourtant, l’appel à une révision des mesures n’a pas pour but un sacrifice quelconque, mais consiste plutôt en l’établissement de précautions basées sur la science et dans le but de protéger spécifiquement la population à risque. D’ailleurs, la stratégie de vaccination choisie par nos dirigeants se base sur l’immunité collective. Mais, une immunité collective est également atteignable par la transmission du virus au sein de la population qui n’est pas vulnérable (dont notamment les enfants), les deux stratégies ne sont ainsi pas mutuellement exclusives.
Il est temps d’établir des précautions faites sur mesure (sans mauvais jeux de mots), plutôt que de persister dans des règles sanitaires en prêt-à-porter. Il est important que nous sortions de la pente glissante qui nous mènera vers la dystopie sanitaire, où les droits du citoyen continueront à être bafoués au nom de l’hygiène. C’est ce que réclament les manifestations du type Still standing for culture ou Trace ton cercle et les collectifs citoyens comme Belgium United for Freedom. Le clivage dans notre société entre les divers pro et anti se creuse tous les jours de plus en plus tendant vers un niveau quasi religieux. En effet, j’ai récemment découvert le terme « coronasünde »,mot allemand désignant un péché-corona. Il décrit chez les personnes qui respectent les mesures sanitaires le pas de côté occasionnel par pression sociale. Espérons que ce clivage cesse de s’approfondir, mais pour cela, il serait nécessaire d’adapter notre modèle à notre compréhension de l’épidémie. Pour moi, cela doit absolument passer par la vision que détient notre société sur les porteurs sains du virus.
J’invite les lecteurs de cet article à réexaminer leur vision de cette crise sociétale (même si les fruits de leurs réflexions les conduiraient aux positions qu’ils détenaient déjà). Que les lecteurs soient en accord ou pas avec ma perception de la crise, une chose peut néanmoins nous unir : la nécessité de réviser le budget octroyé aux soins de santé de ce pays. Faisons en sorte que tout homme malade soit un bien-portant qui s’ignore.
source : https://www.kairospresse.be
Source : Lire l'article complet par Réseau International
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