Pape François en Irak : retour sur un voyage historique

Pape François en Irak : retour sur un voyage historique

Le pape François s’est embarqué vendredi dernier pour un voyage historique en Irak, historique sous tous les aspects. D’abord, parce qu’il s’agit de son premier depuis le début de la pandémie (à bord d’un avion où tous les passagers ont été préalablement vaccinés), mais aussi car il visite une terre martyrisée depuis plus de quatre décennies, où les minorités religieuses ont payé très cher le tribut du sang. Le Saint-Père mène à terme le rêve initial que saint Jean-Paul II avait voulu entreprendre en 1999, avant que le président de l’époque, Saddam Hussein, de triste mémoire, n’annule tout.

Pour l’occasion, Le Verbe a rejoint Salvatore Cernuzio, ordinairement journaliste-vaticaniste à La Stampa, envoyé spécial à bord de l’avion cette fois par le le seul média chinois couvrant les affaires du Vatican.

Le Verbe : Ciao Salvatore Cernuzio ! Nous te remercions d’avoir accepté notre invitation. Peux-tu nous raconter comment s’est déroulé le début de ce séjour irakien avec le pape, votre départ de Rome et l’arrivée à Bagdad?

Salvatore Cernuzio : Le Saint-Père a insisté pour que ce voyage prenne forme, envers et contre tous, pour des raisons évidentes que nous connaissons vu la situation sanitaire mondiale actuelle. Mais pour lui « ce voyage était un devoir envers une terre martyrisée».

Nous étions 74 journalistes de 15 pays différents à nous envoler vendredi matin avec Sa Sainteté pour ce qui aura été sans doute le voyage le plus difficile et risqué de son pontificat. Le pape lui-même a défini ce voyage comme étant «emblématique».

À son arrivée, François a été accueilli par le premier ministre Moustafa al-Kazimi et deux enfants en habits traditionnels qui ont remis un bouquet de fleurs au Souverain Pontife. Ensuite, tout le convoi diplomatique et journalistique s’est dirigé vers Al-Qasr, le palais présidentiel, ancienne demeure du dictateur Saddam Hussein.

Le trajet était jalonné de soldats, de membres des forces spéciales et autres effectifs du service des renseignements. Des drones et hélicoptères effectuaient d’incessants va-et-vient au-dessus de nos têtes. On estime à pas moins de dix mille personnes affectées à la sécurité pour toutes les étapes du voyage apostolique, l’Otan participant aussi à l’entreprise.

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Le Verbe : Oui, c’est certainement très impressionnant ! Ce n’est pas sans rappeler le même genre de manège militaire lors de la venue du pape en Égypte, en avril 2017, un an après les attentats à la grande cathédrale copte Saint-Marc du Caire. J’ai été aussi très impressionné par le niveau de sécurité mis en place et ces soldats qui faisaient le piquet à tous les 50 mètres sur la route. Comment s’est déroulée la rencontre avec les autorités politiques du pays, quel a été le message du pape à leur égard?

Salvatore Cernuzio : «Que les armes se taisent! Que leur diffusion soit limitée, ici et partout!» a été le cri lancé par le Pape devant les responsables politiques d’un pays où quatre conflits différents ont réduit la population à l’extrême et où la très ancienne présence chrétienne, qui constituait plus d’un million de fidèles avant l’invasion américaine et les persécutions de Daesh, est maintenant réduite au quart. 

Le Saint-Père a continué : « Que cessent les intérêts de partis, ces intérêts étrangers qui se désintéressent des populations locales. Que l’on donne la parole aux constructeurs, aux artisans de paix!»

La paix a été aussi le thème central du discours du pape à la cathédrale syrocatholique Notre-Dame-du-Salut, où il rencontrait le patriarche syriaque Ignace Joseph III Younan, les évêques, les religieux et religieuses ainsi que les séminaristes.

Cette même église a été le théâtre d’un terrible attentat le 31 octobre 2010, la veille de la Toussaint, où 46 fidèles, hommes, femmes et enfants, ont été assassinés, ainsi que deux jeunes prêtres. Anticipant Déjà le message qui sera proclamé ce dimanche dans la plaine d’Ur, le pape a scandé avec force : « L’incitation à la guerre, les comportements de haine, la violence et les effusions de sang sont incompatibles avec tout enseignement religieux!»

D’ailleurs, juste après la rencontre, le patriarche de Bagdad, le cardinal Louis Raphaël Ier Sako, me disait, ainsi qu’à d’autres journalistes, qu’il pensait que l’Irak ne sera plus la même après la visite du pape François :

«Déjà avant l’arrivée du Saint-Père, durant ces derniers jours d’attente, tous, chrétiens, musulmans et autres, se sont mis à parler de paix, de vivre-ensemble fraternel et de la volonté commune d’éliminer le fondamentalisme et la violence. Ça veut dire qu’il y a encore de l’espérance pour l’Irak et pour le monde entier.»

Le cardinal Louis Raphaël Ier Sako à Salvatore Cernuzio.

Le Verbe :  Puis, le samedi matin, le pape s’est entretenu avec le grand ayatollah des musulmans chiites, Ali al-Sistani. Il s’agit d’une grande première avec cette frange de l’Islam avec qui il n’avait pas encore ouvert le dialogue. Il en a été de même en 2019 avec les sunnites à Abu Dhabi, rencontre qui a mené à la signature du Document sur la fraternité humaine. Comment s’est déroulé l’entretient et qu’en est-il ressorti?

Salvatore Cernuzio : Les paroles suivantes résument bien le message du pape : « Si nous sommes toujours les uns contre les autres, ce sera pire que la pandémie !».

Le Souverain Pontife est resté près d’une heure à discuter avec l’ayatollah de 90 ans dans le sanctuaire de l’imam Ali, qui est le deuxième lieu saint le plus important de l’islam après La Mecque. Là s’est ouvert une nouvelle voie de dialogue entre chrétiens et musulmans, mais peut-être aussi à l’intérieur de l’Islam même. Le grand maître spirituel de l’islam chiite est considéré comme un homme de paix, déffenseur de l’autonomie des chiites et sceptique face à la primauté de l’Iran.

En véritable disciple de saint François, le pape a insisté sur le thème de la paix : «L’importance de la collaboration et de l’amitié entre les communautés religieuses, cultivant le respect réciproque et le dialogue, pour pouvoir contribuer au bien de l’Irak, de la région et de l’humanité entière ».

Le Verbe :  Il y a eu ensuite, plus tard dans la journée, l’un des moments les plus importants du périple : la rencontre avec les responsables des diverses traditions qui composent le panorama religieux d’Irak, l’un des berceaux de la civilisation où chrétiens, musulmans sunnites et chiites, juifs, yézidis et mandéens sont encore aujourd’hui présents. Quelles ont été les grandes lignes de ce rendez-vous historique?

Salvatore Cernuzio : Le pape François, au deuxième jour de son voyage en Irak, est arrivé dans ce lieu d’histoire et de mémoire qu’est la plaine d’Ur, là où, selon la Bible, Abraham a reçu l’appel de Dieu pour laisser son pays d’origine et se mettre en marche, et ainsi devenir un patriarche, père des peuples et des trois religions monothéistes.

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Sur la scène blanche, installée devant d’anciennes ruines datant d’il y a plus de six mille ans, résistant au vent qui venait faire danser sa soutane, la voix du pape était calme et légère, mais son message était puissant et résonnait dans l’espace illimité de la plaine : «L’extrémisme et la violence sont des trahisons de la religion!».

Le pape était très conscient de son rôle de pasteur des catholiques du monde entier, et du fait qu’il se jouait, dans ce fragment important du voyage irakien au milieu des représentants des différentes religions, un moment de l’histoire contemporaine de l’humanité: « Nous avons besoin les uns des autres » a-t-il déclaré.

« La pandémie nous fait vraiment comprendre que personne ne se sauve seul, et pourtant toujours revient la tentation de se distancier des autres, car le «sauve-qui-peut» devient vite «tous-contre-tous» et c’est cela qui est pire que la pandémie. Dans cette tempête globale qu’est la pandémie, nous ne serons pas sauvés par l’isolement, ni par la course à l’armement et la division, ni par l’idolâtrie de l’argent qui provoque des gouffres d’inégalité dans lesquels sombre l’humanité et nous renferme en nous-même. Ce n’est pas non plus du consumérisme que vient le salut, lui qui anesthésie les esprits et paralyse les cœurs.  Si nous ne sommes pas unis, ce sera pire que la pandémie ! »

Le pape François, lors de son discours dans la plaine d’Ur, le samedi 6 mars.

«La fraternité nous sauvera, celle que le terrorisme djihadiste a voulu détruire.» Ce sont des paroles dures que le pape a prononcées : «Dieu est miséricordieux et le plus grand blasphème est de profaner son nom en haïssant son frère. L’hostilité, l’extrémisme et la violence ne naissent pas d’une âme religieuse, ils trahissent plutôt la religion! Et nous comme croyants, nous ne pouvons taire que le terrorisme abuse de la religion.»

Le Saint-Père a clos son discours avec un ultime appel à l’unité :

« Il n’y aura pas de paix sans partage et accueil, sans une justice qui assure l’équité et la promotion de tous, à commencer par le plus faible. Il n’y aura pas de paix sans des peuples qui se tendent réciproquement la main. Il n’y aura pas de paix, tant qu’il y aura un «eux» et pas un «nous». La paix ne nécessite pas un vainqueur et des vaincus, mais des frères et des sœurs, qui en dépit des incompréhensions et blessures du passé, cheminent ensemble du conflit vers l’unité!»

Une unité que le pape ne désire pas seulement pour l’Irak, mais pour tout le Moyen-Orient et spécialement pour la Syrie voisine, elle aussi si meurtrie…

Le Verbe : Aujourd’hui 7 mars, où l’Église célèbre sainte Félicité et sainte Perpétue, deux martyres du nord de l’Afrique, le pape rencontrait la communauté catholique vivante de Qaraqosh et célébrait l’eucharistie avant de retourner demain au Vatican.


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