(Québec) Pendant deux décennies, il avait accepté de jouer un rôle de soutien derrière le chef du Parti québécois. René Lévesque, d’abord, puis Pierre Marc Johnson, Jacques Parizeau et Lucien Bouchard. Mais l’heure de ce « militant exemplaire » avait sonné. Il y a 20 ans aujourd’hui, Bernard Landry devenait chef du Parti québécois (PQ). Il sera premier ministre du Québec cinq jours plus tard.
Il n’y avait pas eu de course à la direction du parti. Celui qu’on surnommait « le Grand Vizir », qui aspirait continuellement à prendre la place du Calife, avait eu un avantage certain sur ses adversaires potentiels. Même avant les Fêtes, Lucien Bouchard lui avait confié son intention de démissionner. Quand ce départ devient officiel, le 21 janvier, Bernard Landry a déjà fait le plein d’appuis au Conseil des ministres et au caucus des députés.
Mais pendant trois semaines, on spécule sur un hypothétique « tandem » que formeraient Pauline Marois et François Legault, un autre candidat plausible. La ministre de la Santé hésite, multiplie les consultations, mais constatera son retard, irréversible. Car bien des femmes au sein du caucus péquiste, Louise Harel, Louise Beaudoin, Linda Goupil et Diane Lemieux, sont déjà dans le camp Landry. Tout est joué en marge d’une réunion du Conseil des ministres ; au buffet, Landry discute avec Legault. En après-midi, juste avant de quitter la salle, il peut achever sa rivale en lui annonçant que « François [Legault] va [l]’appuyer ». Pauline Marois passera la porte en larmes.
Pendant des années, Bernard Landry avait cultivé un cercle de disciples qui sera tout de suite mis à contribution : Gilles Baril, Joseph Facal et le député de Nicolet Michel Morin font partie du premier cercle. C’est M. Baril qui résumera le mieux l’épisode : une reprise de « la guerre des Six Jours ». M. Landry l’avait emporté par sa vitesse d’exécution, comme Israël contre les pays arabes, en 1967.
Sous les feux de la rampe, Bernard Landry n’évite toutefois pas les pièges. Ottawa rechigne à contribuer financièrement à certains projets. À un caucus, Landry aura une réaction épidermique : « Nous ne sommes pas à vendre, le Québec n’a pas l’intention de faire le trottoir pour des bouts de chiffons rouges. » La référence méprisante à l’unifolié enflamme le Canada anglais. De sa chambre d’hôtel, Bernard Landry voyait quotidiennement une dizaine de drapeaux canadiens sur la Vieille Capitale. De la pure propagande pour le leader souverainiste.
Dans son discours de Verchères, au début de sa campagne, Bernard Landry s’était engagé à ce que le prochain référendum porte sur la souveraineté du Québec, et non sur le rapatriement de points d’impôt, une hypothèse qui circulait à l’époque. « On fera un référendum sur notre projet. On ne passera pas par quelque astuce ou finasserie que ce soit. »
Deux ans plus tard, à la veille des élections générales, il nuancera ; réélu, le PQ aurait proposé la souveraineté, mais assortie « d’une éventuelle union confédérale avec le Canada ». Même sans adversaire, M. Landry tient à faire campagne à travers le Québec. Une douce revanche pour celui qui, en 1985, avait dû abandonner au milieu de la course à la succession de René Lévesque. Son slogan était « Nous sommes déjà demain », se souvient Jean Bissonnette, un conseiller de la première heure, une recrue de Verchères.
Bernard Landry est adoubé comme leader du PQ à un conseil national à Saint-Hyacinthe. Les 400 délégués sont divisés. Un débat chronique au PQ : l’application de la loi 101 à l’admission des cégeps anglophones. M. Landry trace sa ligne : il faut « donner leur chance aux méthodes incitatives ».
Bernard Landry devient premier ministre le 8 mars, la veille de son 64e anniversaire. Pauline Marois retrouve le ministère des Finances, François Legault aura l’Éducation et, surprise, Rémy Trudel arrive à la Santé. Avec M. Landry, le cabinet compte 30 personnes, dont 9 femmes. Le message inaugural du 22 mars annoncera la création d’une commission d’enquête sur le déséquilibre fiscal, un débat récurrent à l’époque. M. Landry répète la formule comme un mantra : « Notre argent est à Ottawa alors que les besoins sont à Québec. »
La nomination à la présidence de la commission d’Yves Séguin, issu du Parti libéral du Québec, est bien accueillie. Ce dernier craint d’être récupéré par le discours souverainiste. Le titre du rapport sera bien neutre, « Pour un nouveau partage des moyens financiers au Canada », rappelait Yves Séguin cette semaine. Les simulations publiées en 2002 tiennent la route près de 20 ans plus tard, martèle-t-il.
« Toujours pressés »
Pour s’entourer, Bernard Landry avait vite fait son choix. Jean St-Gelais, son sous-ministre adjoint aux Finances, devient le premier fonctionnaire, secrétaire général du gouvernement. Ce dernier amène avec lui le regretté Daniel Bienvenu, qui sera l’architecte de la Paix des Braves avec les autochtones, un des bons coups du gouvernement Landry. Yves Ouellet, l’actuel secrétaire général, complète le trio des anciens des Finances. Autre temps fort : le Sommet des régions, réclamé depuis longtemps.
« C’était comme un gouvernement en sursis. Il ne restait pas quatre ans avant les élections. Il fallait agir vite, on était toujours pressés », se souvenait M. St-Gelais, cette semaine.
La deuxième année de Bernard Landry, 2002, sera bien plus difficile. Elle commence avec un remaniement catastrophique, où 36 personnes accèdent au Conseil des ministres.
L’opération est tournée en ridicule ; il y a davantage de ministres que de simples députés. Une caractéristique a longtemps nui à M. Landry. « Il n’aimait pas dire non à ses amis » et avait multiplié les promesses, explique Jean Bissonnette.
Relégués aux oubliettes, Jacques Brassard et Guy Chevrette démissionnent avec fracas. Gilles Baril, à qui Bernard Landry avait confié l’organisation pour les élections générales, craque sous la pression et démissionne en sanglots. La controverse autour du lobbying l’avait atteint – un de ses proches, André Desroches, exigeait des honoraires importants pour servir d’intermédiaire auprès du gouvernement.
Martin Dubé devient directeur du PQ cette année-là. « Ce n’était pas facile, le début de la fin du militantisme comme on l’avait connu », se souvient-il. Bernard Landry avait hérité de l’amertume causée par l’imposition du déficit zéro. Les députés se chamaillaient encore autour de la motion de blâme à Yves Michaud. Le parti perd un de ses châteaux forts, René-Lévesque, en élection complémentaire.
Improvisation
En 2003, le 12 mars, M. Landry déclenche les élections avec la guerre en Irak en fond de scène. Une proposition en faveur de la semaine de quatre jours pour les salariés obtient un certain succès. Mais un débat autour des études appuyant cette idée vient tout détruire. De guerre lasse, le clan Landry livrera en pâture aux journalistes un carton de documents, des recherches bien approximatives.
Pour Denis Hardy, alors au cabinet du premier ministre, cet évènement révélera un niveau d’improvisation important dans la stratégie péquiste.
Au débat télévisé, Bernard Landry semble mal préparé, lit des notes devant un Jean Charest plus combatif.
Le péquiste paraît assommé quand Charest relève une manchette toute chaude où Jacques Parizeau semble maintenir ses déclarations controversées du soir du référendum de 1995. L’accusation est sans fondement, mais le mal est fait.
Pour Jacques Wilkins, responsable des communications sous Bernard Landry, le PQ partait avec des prises contre lui en 2003. D’abord, « on demandait un nouveau mandat, après neuf années au pouvoir. Les fusions municipales nous avaient nui dans le 450, où le PQ avait ses appuis historiques. Au centre du Québec, le moratoire sur l’élevage du porc n’était pas populaire ».
Surtout, le PQ espérait se faufiler entre les libéraux et les adéquistes de Mario Dumont. Or, dès le début de la campagne, le parti de Dumont s’était effondré, scellant le sort des élections du 14 avril. Le PQ récoltait 33 % des suffrages, 10 points de moins qu’en 1998. Le nombre de sièges passait à 45, soit 31 circonscriptions de moins que sous Lucien Bouchard.
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