En restant fermement ancrée dans le cadre de l’état de droit et en refusant de faire céder la justice nationale face à la politique internationale dans l’affaire Navalny, la Russie a mis l’UE et les Etats-Unis dans une situation particulièrement délicate, voire dangereuse pour eux : un pouvoir n’existe, que tant qu’il est obéi. En niant la légitimité de ces pôles à décider de questions relevant de la souveraineté nationale, c’est la légitimité du monde global qui a été mis en cause, par la remise en cause de son pouvoir. Car à la différence du Roi de la planète du Petit Prince, ce monarque global, faute de ne pouvoir être universel, n’a pas su se contenter de donner des ordres raisonnables : « Il faut exiger de chacun ce que chacun peut donner, reprit le roi. L’autorité repose d’abord sur la raison. Si tu ordonnes à ton peuple d’aller se jeter à la mer, il fera la révolution. J’ai le droit d’exiger l’obéissance parce que mes ordres sont raisonnables.« . Il a demandé à la Russie de se noyer, elle lui propose de sauter à l’eau le premier.
Les Etats-Unis et l’UE se sont mis eux-mêmes dans une impasse avec l’affaire Navalny. Toutes les formes de pression ont été mises en oeuvre, des menaces de sanctions à la visite désastreuse d’un représentant de l’UE totalement désarmé face à un pays assumant sa souveraineté (voir notre texte ici). Même la CEDH a exigé la libération immédiate de Navalny, c’est-à-dire que contre les principes universels de la séparation des pouvoirs et de la souveraineté nationale, elle a imposé soit au pouvoir exécutif russe d’aller à l’encontre de la loi nationale et de faire pression sur le judiciaire, soit au judiciaire de ne pas suivre la législation nationale et de se plier aux demandes globalistes afin de libérer Navalny, ce que la Russie a jugé impossible (voir notre texte ici).
Il faut donc réagir, car cette indépendance de la Russie est non seulement inacceptable, mais elle remet en cause l’existence même de leur pouvoir. Ainsi, les Etats-Unis et l’UE vont se réunir pour envisager … de nouvelles sanctions. Rien de nouveau, c’est l’impasse, ils ne peuvent décemment pas faire la guerre, surtout officiellement au nom de Navalny, donc reste les sanctions. Seule la formulation utilisée dans la presse main stream, doit faire comprendre au bon peuple soumis à l’atlantisme, que toute désobéissance sera punie. Imaginez que cela donne des idées …
Ainsi, ce magnifique article publié dans Le Figaro, d’un journal tristement transformé en voix de son maître, avec l’AFP, explique parfaitement la situation. L’on dirait deux petites terreurs vexées, qui vont tenter de se venger comme ils peuvent, sinon leur pouvoir sur la cour de l’école pourrait être remise en cause. L’article commence ainsi :
« Européens et Américains vont se concerter lundi à Bruxelles sur la stratégie face à la Russie et l’UE va pour la première fois actionner son régime mondial de sanctions en matière de droits de l’homme contre le Kremlin, selon plusieurs États membres. »
Actionner le « régime mondial ». Il faut entendre que tout le « monde libre » est face à la Russie, isolée, seule, presque apeurée devant une telle force. Bientôt à genoux, elle doit demander pardon. Car elle a osé ridiculisé tous ces gens tellement importants, tous ces gens tellement fiers de leur importance, tellement attaché à l’image de leur importance. Donc, l’UE a besoin de se réunir avec les Américains pour prendre la décision d’adoption de sanctions, qui porteront encore atteinte aux intérêts des pays européens. Suite de l’article :
« Les ministres des Affaires étrangères européens vont riposter à la fin de non-recevoir opposée par Moscou à leurs demandes de libérer l’opposant Alexeï Navalny et l’affront infligé à leur émissaire Josep Borrell lors de sa visite à Moscou début février. »
Mis face à leur inconsistance, en effet, quel affront. Impardonnable. Surtout qu’allant plus loin, la Russie risque de faire voler en éclats cette unité faussement européenne, cet abandon des intérêts européens au profit des intérêts globalistes atlantistes. En cela, elle développe des rapports bilatéraux avec les différents pays européens, qui restent eux intéressés par des contacts avec la Russie. Et ce crime est aussi grave que le premier concernant Navalny. L’UE a besoin de remettre ses moutons (les pays membres) sur la bonne route. Je cite la suite :
« La difficile relation avec Vladimir Poutine sera au cœur des débats entre les 27 et avec Anthony Blinken. «Moscou ne veut pas dialoguer avec l’UE, mais seulement avec certains de ses États membres. Nous devons contrecarrer cette stratégie et rester unis», a confié un diplomate européen. »
Les pays européens, membres de l’UE, restent formellement des Etats, donc formellement souverains, donc parfaitement en droit de développer des relations bilatérales. Mais ils n’ont pas le droit de recourir aux instruments de leur souveraineté. C’est sur cette illusion que fonctionne l’Union européenne. Ce format classique de relations internationales, inacceptable pour l’UE et les Etats-Unis, remet fondamentalement en cause tous les efforts déployés pour contenir justement les relations internationales dans des formats contrôlés par des plateformes atlantistes. Cette stratégie russe de revenir aux intérêts propres des pays remet en cause le magma globaliste. L’on voit par exemple la Grande-Bretagne s’adresser à l’ONU pour condamner la violation des droits de l’homme, notamment en Russie, sur le modèle du « tous » contre « un ».
Mais avec l’affaire Navalny, ces forces globalistes sont allées trop loin. Elles pensaient, il est vrai, que la situation était mûre : les pays, affaiblis sous la gouvernance globalisée du Covid, sont de moins en moins capables et de penser à autre chose (puisque l’agenda politique prioritaire leur est imposé par les structure globale, autant que la marche à suivre), et de recourir aux instruments étatiques nationaux pour gouverner. Dans cette déshérence de l’Etat, Navalny devait être le grain de sable, qui pouvait faire chuter la machine. Mais l’instinct de survie de la Russie s’est réveillé, la gestion Covid lui a coûté trop cher et étant souveraine, elle ne peut se permettre de gouverner ouvertement contre son peuple, ce que l’on voit dans de nombreux pays européens.
Cette situation devait être mûre également parce que la mise en place d’une fausse opposition, tenue par les services spéciaux étrangers travaillaient le pays en profondeur : des députés à Saint-Pétersbourg photographiés lors de réunions secrètes avec des diplomates finlandais, sans même parler des liens de l’équipe de Navalny avec des services spéciaux étrangers, qui ont été confirmés par le Service russe du Renseignement extérieur (SVR). Et comme l’a très justement déclaré Narychkine, son directeur :
« ceux qui sont prêts à des marchés criminels avec les services spéciaux des pays, qui mènent une politique agressive à l’égard de la Russie, ne s’appellent pas des opposants. Il existe un autre terme pour cela.«
Le monde globaliste se trouve finalement désarmé face à la résistance d’un Etat souverain. Tout ce qu’il peut faire, c’est le punir de ne pas se soumettre, le punir de remettre en cause son pouvoir. Car dans le monde global, chaque pays est un sujet de cet unique centre atlantiste de pouvoir.
Comme l’écrivait magnifiquement Saint-Exupéry dans le Petit Prince, à ceux qui pourraient un instant se laisser émerveiller par la pourpre et l’hermine :
« La première était habitée par un roi. Le roi siégeait, habillé de pourpre et d’hermine, sur un trône très simple et cependant majestueux.
– Ah! Voilà un sujet, s’écria le roi quand il aperçut le petit prince.
Et le petit prince se demanda:
– Comment peut-il me reconnaître puisqu’il ne m’a encore jamais vu !
Il ne savait pas que, pour les rois, le monde est très simplifié. Tous les hommes sont des sujets.«
Source : Lire l'article complet par Réseau International
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