Durant mon année d’études à Florence, en 2018, il m’est arrivé à plusieurs reprises de voir cette affiche dans les églises : une jeune femme avec un œil bandé, un violon à la main et un grand sourire. On pouvait également y lire cette phrase mystérieuse : « Siamo nati e non moriremo mai più / Nous sommes nés et ne mourrons jamais plus. » Sur le coup, cette jeune fille, Chiara Corbella de son nom, n’a pas piqué ma curiosité. J’ai passé mon chemin.
Or, voilà qu’une amie de Montréal m’a dernièrement demandé si je pouvais traduire quelques-unes de ses lettres.
J’ai donc consulté son site web officiel ainsi que sa biographie, non sans être profondément touchée. Car l’histoire de Chiara Corbella raconte le chemin de sainteté d’une jeune mère morte à mon âge, 28 ans exactement.
Chesterton a écrit que Dieu envoie pour chaque époque les saints appropriés, comme un bon médecin qui procure les remèdes adéquats pour chaque maladie. Chiara illustre bien ce principe, elle qui a choisi la vie à travers la culture de mort dans laquelle nous baignons et qui a manifesté la grandeur de la maternité dans notre monde trop souvent carriériste.
Le début
Chiara Crobella, née en 1984 à Rome, rencontre son futur époux, Enrico Petrillo, à 18 ans. Après six ans de relation instable, les deux décident d’entamer un vrai parcours de foi, sous la direction de celui qui deviendra leur père spirituel, Padre Vito.
Ils se marient peu de temps après ce « retournement spirituel ». Et quelques mois plus tard, Chiara tombe enceinte. C’est à ce moment que s’enclenche sa « consumation d’amour », comme l’appellera Padre Vito.
Mère dès la conception
Sa première fille, Maria Grazia Leitizia, ne vivra pas. Elle souffre d’anencéphalie, c’est-à-dire qu’il lui manque la boite crânienne. Médecins, amis, gens de leurs familles… plusieurs d’entre eux recommandent à Chiara et son mari d’interrompre la grossesse.
Mais la vie qu’elle voit, qu’elle sent en son sein, Chiara ne peut la nier. Durant un témoignage qu’elle donnera après cette première grossesse, elle dira : « le Seigneur met la vérité en nous ; et il n’est pas possible d’interpréter cette vérité autrement ».
Chiara et son mari décident donc de ne pas interrompre la grossesse. Plutôt, ils accompagnent leur fille jusqu’à sa mort ou, comme ils le disent eux-mêmes, jusqu’à sa naissance au ciel.
« Ce que je veux dire aux mamans qui ont perdu un enfant, c’est cela : nous avons été mamans, nous avons reçu ce don. Le temps n’importe pas : un mois, deux mois, quelques heures… Ce qui compte, c’est le fait que nous ayons reçu ce don. Un tel don ne s’oublie pas. »
Chiara Corbella
Maria meurt une quarantaine de minutes après l’accouchement. Mais ce moment se révèle l’un des plus joyeux dans la vie des deux époux. Chiara raconte :
« Si j’avais avorté, je ne pense pas que je pourrais me souvenir du jour de l’avortement comme un jour de fête, un jour dans lequel je me serais libérée de quelque chose. Ça aurait été un moment que j’aurais cherché à oublier, une grande souffrance. Au contraire, le jour de la naissance de Maria, je pourrai m’en souvenir comme l’un des plus beaux de ma vie. »
En terminant son témoignage sur cette expérience forte, Chiara lance un message de consolation à toutes les mères qui ont perdu un enfant :
« Ce que je veux dire aux mamans qui ont perdu un enfant, c’est cela : nous avons été mamans, nous avons reçu ce don. Le temps n’importe pas : un mois, deux mois, quelques heures… Ce qui compte, c’est le fait que nous ayons reçu ce don. Un tel don ne s’oublie pas. »
On n’est pas plus mère parce qu’on l’est plus longtemps. On l’est dès le commencement, dès la conception, point à la ligne. Voilà la vérité que découvre Chiara à travers Maria Grazia Leitizia.
Le fils de la consolation ?
Quelques mois après la naissance au ciel de Maria, Chiara tombe de nouveau enceinte. « Ce sera le fils de la consolation », affirme son entourage.
Mais à l’échographie, Chiara et Enrico découvrent que Davide non plus ne vivra pas. Il lui manque les jambes, les reins et les poumons…
Comme pour la première grossesse, Chiara et Enrico accompagnent leur fils jusqu’à ses derniers instants. Davide reçoit même le baptême par Padre Vito, comme Maria l’avait d’ailleurs aussi reçu. Encore une fois, la naissance de Davide est un moment de joie profonde pour les deux jeunes époux.
Après ce second accouchement, les médecins procèdent à des tests pour établir s’il y a un lien entre la maladie de Maria et celle de Davide. Ils concluent que non. Simple « malchance » (si on peut parler de « malchance » dans cette histoire certes parsemée d’épreuves, mais aussi signe de la providence divine).
À travers ce second enfant, Chiara découvre également une autre vérité, qu’elle n’oubliera jamais : nos enfants ne nous appartiennent pas. Elle laisse à ce sujet une merveilleuse lettre, que tout parent gagne à méditer. J’en propose une traduction ici.
Le dernier combat de Chiara
Quelques mois après la perte de son second enfant, Chiara retombe de nouveau enceinte. Sans même connaitre encore le sexe, son mari Enrico s’exclame : « Celui-là, on va l’appeler Francesco. »
L’échographie dévoile plus tard qu’il s’agit en effet d’un garçon. Vigoureux et bien portant ! Les jeunes époux rendent grâce à Dieu.
Mais Chiara se découvre bientôt une lésion sur la langue, qui se révèle, après quelques tests médicaux, être un cancer. Les médecins s’en étonnent : le cancer de la langue touche normalement les hommes, âgés et fumeurs… ce qui ne correspond en rien à Chiara !
Les médecins procèdent durant la grossesse de Chiara à une première opération pour empêcher le développement du cancer. La deuxième opération devrait se faire dans les mois qui suivent, mais cela pourrait nuire au développement du bébé. Chiara refuse d’exposer la vie de son petit Francesco et choisit de repousser l’opération au risque de sa propre vie.
Elle refuse également de déclencher son accouchement avant terme, et ce, contre l’avis des médecins, qui semblent préférer la vie de la jeune femme à celle de Francesco et qui le conçoivent trop souvent, se lamente Chiara, comme un simple « fœtus ».
Chiara se fait donc opérer seulement quelques jours après son accouchement. Dans les semaines qui suivent, elle découvre cependant que l’opération n’a pas suffi. Le cancer a eu le temps de se propager. Chiara est désormais une malade terminale.
L’amour du prochain
Mais la jeune Italienne ne se plaint pas. Elle n’en veut pas non plus à Dieu. Malgré ses souffrances, ses biographes racontent en de multiples endroits comment elle demeure tournée vers les autres. Vers son fils, son mari et ses proches.
Elle choisit même de combattre son instinct possessif de mère, qui voudrait garder le petit Francesco le plus possible auprès d’elle, pendant le temps qui lui reste. Elle sait au contraire demeurer tempérante et reconnaitre qu’elle doit, pour le bien de son fils, lui apprendre déjà une certaine autonomie. Elle laisse le plus souvent Enrico le prendre pour qu’il ne soit pas traumatisé de rester bientôt seul avec son papa.
Elle demande la guérison à Dieu, mais surtout la force de garder la foi et la sérénité dans l’épreuve. Elle sait que « si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. » (Jn 12, 24)
Épouse et fille de Dieu
Vers la fin de sa vie, elle avoue que ce qui la peine le plus, c’est l’idée qu’elle ne vieillira pas avec son mari et qu’elle le laissera seul. Cette remarque peut sembler banale, mais s’avère en réalité d’une grande profondeur, surtout pour notre époque.
Car avant même d’être mère, Chiara est une épouse. Son amour pour son fils s’enracine dans son amour pour son mari. Cette idée contraste avec l’opinion commune d’aujourd’hui selon laquelle une mère doit préférer ses enfants à son conjoint.
Par ailleurs, l’amour que Chiara porte à Enrico s’enracine lui aussi dans un amour plus grand : celui pour son Père qui est dans les cieux. Car elle a réellement choisi le chemin des enfants de Dieu, de ceux qui s’abandonnent à sa volonté. Elle s’est laissée modeler, telle l’argile dans les mains du potier.
En somme, c’est l’amour qui se trouve au centre de la vie de Chiara. Et c’est justement la leçon qu’elle laisse dans une lettre à son fils pour son premier anniversaire. La voici, dans ma traduction :
« Cher Francy,1
Aujourd’hui, tu as un an et nous nous demandions quoi t’offrir qui puisse durer dans le temps. Et ainsi avons-nous décidé de t’écrire une lettre.
Tu as été un grand don dans notre vie, parce que tu nous as aidés à regarder au-delà de nos limites humaines.
Quand les médecins voulaient nous faire peur, ta vie, si fragile, nous donnait la force d’aller de l’avant.
Du peu que j’ai compris au fil de ces années, je peux seulement te dire que l’amour est le centre de nos vies, parce que nous naissons d’un acte d’amour, nous vivons pour aimer et être aimés, et nous mourrons pour connaitre l’amour véritable de Dieu.
Le but de notre vie est d’aimer et d’être toujours prêts à apprendre à aimer les autres comme seul Dieu peut te l’enseigner.
L’amour te consume, mais il est beau de mourir consumé, tout comme une chandelle qui s’éteint seulement quand elle a atteint son but.
Quoi que tu fasses dans la vie, cela n’aura de sens que si tu le conçois en fonction de la vie éternelle.
Tu te rendras compte que tu aimes en vérité par le fait que rien ne t’appartiendra réellement, car tout est don. Comme dit saint François, le contraire de l’amour, c’est la possession !
Nous avons aimé ta sœur et ton frère, Maria et Davide, ainsi que toi-même, en sachant qu’aucun de vous trois ne nous appartenait, que vous n’étiez pas pour nous et que tout devait être ainsi dans la vie. Rien de ce que tu possèdes ne t’appartient, parce que tout est au contraire un don que Dieu te fait pour que tu puisses le faire fructifier.
Ne te décourage pas mon fils. Dieu ne t’enlève rien. S’il t’enlève quelque chose, c’est seulement parce qu’il veut te donner beaucoup plus.
Grâce à Maria et Davide, nous nous sommes amourachés davantage de la vie éternelle et nous avons cessé d’avoir peur de la mort. Dieu nous a donc enlevé bien des choses, mais il l’a fait afin de nous donner un cœur plus grand et plus ouvert pour accueillir l’éternité déjà en cette vie.
À Assise, je suis tombée en amour avec la joie des frères et des sœurs qui mènent leur vie en croyant en la Providence. J’ai alors demandé au Seigneur la grâce de moi aussi croire en cette Providence dont ils me parlaient. J’ai demandé la grâce de croire en ce Père qui ne nous fait jamais manquer de rien. Et Frère Vito nous a aidés à cheminer en croyant à cette promesse.
Nous nous sommes mariés sans rien, en mettant cependant Dieu au premier plan et en croyant à l’amour qui nous demandait de faire un pas en avant. Nous ne sommes jamais restés déçus ! Nous avons toujours eu une maison et beaucoup plus que ce dont nous avions besoin !
Tu t’appelles Francesco précisément parce que saint François a changé notre vie. Nous espérons qu’il puisse devenir pour toi aussi un exemple… C’est si beau d’avoir des exemples de vie qui te rappellent qu’on peut prétendre au plus grand bonheur déjà ici, sur cette terre, sous la guidance de Dieu.
Nous savons que tu es spécial et que tu as une grande mission. Le Seigneur t’a voulu depuis toujours. Il te montrera la voie à suivre si tu lui ouvres ton cœur…
Fais-lui confiance ! Ça en vaut la peine !
Maman Chiara et papa Enrico »
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- Cliquez ici pour accéder à une version audio. Je ne pense pas que ce soit la voix de Chiara cependant.
Source: Lire l'article complet de Le Verbe