Inquiet de voir le nombre d’étudiants sans cesse augmenter dans les cégeps anglophones, le gouvernement Legault songe sérieusement à limiter le nombre de places disponibles dans ces établissements. La mesure pourrait être annoncée dans les prochaines semaines, avec une série d’autres actions visant à protéger et à promouvoir la langue française.
Depuis déjà quelque temps, l’idée fait son chemin dans les officines, selon les informations obtenues par Radio-Canada. L’objectif, c’est de mieux baliser les volumes d’étudiants dans les cégeps anglophones. On ne doit plus ajouter d’étudiants
, confie une source mêlée aux tractations. La mise en place d’une telle mesure permettrait de restreindre l’accès au réseau anglophone, sans pour autant imposer la loi 101 au cégep, une idée qu’a déjà formellement exclue François Legault.
Déjà en chambre, l’automne dernier, le premier ministre Legault avait dit regarder s’il y a des mesures qu’on peut prendre pour limiter le nombre d’étudiants
dans les établissements anglophones.
Selon les plus récentes données disponibles, 87 560 étudiants étaient inscrits dans un établissement collégial sur l’île de Montréal au trimestre d’automne 2020. Au préuniversitaire, 46,1 % d’entre eux fréquentaient un établissement anglophone et 53,9 %, un établissement francophone. Les chiffres étaient différents pour la formation technique, où 29 % des étudiants poursuivaient leur formation en anglais contre 71 % en français.
À l’heure actuelle, chaque établissement collégial est doté d’un devis, lequel détermine combien d’étudiants peuvent être accueillis en théorie. Or, ces devis sont dépassés dans plusieurs établissements depuis bon nombre d’années, sans que ces derniers en subissent de conséquence. L’exemple du Collège Dawson a retenu l’attention pour cette raison ces dernières années.
Le gouvernement va sonner la fin de la récréation
, prévient-on. Le mécanisme n’a pas encore été tout à fait arrêté, mais on envisage de ne plus verser de subvention aux établissements pour les étudiants se trouvant en surnombre, c’est-à-dire en excès du devis.
On ne sait pas non plus de quelle manière le nombre d’étudiants maximal autorisé dans chaque établissement sera déterminé. Conservera-t-on les devis existants ou les augmentera-t-on afin de refléter plus fidèlement l’état actuel de la situation? Une source évoque un gel du nombre de places au niveau de ce qu’il était en 2019.Selon une autre source, même si personne à la CAQ n’a jamais envisagé sérieusement la possibilité d’imposer la loi 101 au cégep
, des membres du gouvernement n’ont pas été rassurés par les derniers chiffres.
En plus de restreindre l’accès aux cégeps anglophones, le gouvernement entend aussi colmater les brèches
qui permettent en ce moment à des établissements francophones d’offrir des programmes bilingues ou entièrement en anglais.
Des effets indirects à prévoir
Pier-André Bouchard St-Amant, professeur de finances publiques à l’École nationale d’administration publique, compare le débat qui s’amorce à ceux qui ont eu lieu ces dernières années sur la laïcité de l’État et la Charte des valeurs du gouvernement Marois.
C’est certainement un débat légitime
, dit-il. Comment arbitrer le désir d’une langue commune par opposition aux libertés individuelles?
Bien que l’enjeu soit multidimensionnel
, il fait peu de doute, selon lui, que la langue d’instruction au cégep exerce une influence sur les choix linguistiques que les jeunes font par la suite.
Il y a un effet de réseau qui est assez important pour l’avenir. C’est un peu l’argument du gouvernement, de dire : quand on commence dans un chemin linguistique, on continue dans ce chemin linguistique là aussi. Le choix de l’université plus tard va en partie être fonction de la langue d’étude dans laquelle on a été au cégep, mais la carrière également.
S’il juge qu’un contingentement permettrait au gouvernement d’atteindre son objectif, il souligne que cela aurait aussi des effets indirects.
La rareté créant la valeur, le cégep anglophone pourrait sortir renforcé de l’exercice. Face à un nombre de places limité, c’est fort probable que l’institution se mette à contingenter sur la base du talent, ce qui revient à dire à ce moment-là qu’on augmente la qualité de l’institution par les effets de pairs.
Les anglophones à risque d’être pénalisés?
Les étudiants anglophones pourraient même être les premiers à faire les frais de cette mesure, car la demande des étudiants plus faibles serait rejetée au profit d’étudiants francophones ou allophones plus forts.
Pour contourner cet obstacle, l’admission pourrait se faire en deux temps. Les anglophones ayant des droits reconnus se verraient octroyer une place en priorité, francophones et allophones devant se contenter des places restantes.
Si on a une espèce de système à deux tours où il y a une forme de privilège accordé à des communautés anglophones historiques, à défaut d’un meilleur mot, à ce moment-là, dans un système à deux tours, on préserve en quelque sorte le droit des anglophones à pouvoir étudier en anglais
, explique le professeur, tout en soulignant qu’une telle mesure devrait d’abord être soumise à une profonde réflexion juridique
.
Le défunt projet de loi du gouvernement Marois visant à renforcer la loi 101 contenait d’ailleurs une disposition allant en ce sens, évoquant des critères et priorités pouvant être établis dans la sélection des étudiants pour respecter la clientèle de langue anglaise
.
Un faux débat, selon la Fédération des cégeps
Avant d’imposer un gel ou un contingentement des places dans le réseau anglophone, Québec devrait songer aux conséquences que cela implique, conseille le président de la Fédération des cégeps, Bernard Tremblay.
On peut bien se donner des règles pour limiter l’accès aux cégeps anglophones, mais il faut quand même considérer qu’il existe des alternatives. Alors, est-ce qu’on va se retrouver avec une partie de notre population étudiante qui va choisir d’aller de l’autre côté de la rivière des Outaouais? Ou qui va choisir d’aller plutôt vers des formations privées?
Celui qui représente l’ensemble des 48 cégeps publics du Québec craint que le gouvernement ne rate sa cible s’il espère protéger le français à Montréal en gelant le nombre de places dans les cégeps anglophones.
À son avis, c’est en raison de l’attrait de l’anglais comme langue de travail que la situation du français demeure fragile. Je ne connais pas beaucoup de parents qui ne souhaitent pas que leurs enfants soient bilingues […] Je pense qu’on doit faire face à cet enjeu, où individuellement on souhaite le bilinguisme, mais que collectivement, on ne le souhaite pas.
Source: Lire l'article complet de Vigile.Québec