L’État doit mettre en place une politique d’envergure
Depuis une dizaine d’années, l’idée de la sauvegarde du patrimoine religieux s’est progressivement effacée du débat public au profit d’un discours le ravalant comme étant un élément parmi d’autres d’un patrimoine dit « culturel », qui se veut plus général et englobant.
Pourtant, le patrimoine religieux constitue, au Québec, tant quantitativement que qualitativement, l’essentiel de notre patrimoine, tant bâti qu’immatériel, avec celui de l’Église catholique au premier plan, pour des raisons historiques et culturelles.
Ainsi, malgré les conclusions du rapport de 2016 intitulé Le patrimoine culturel québécois : un héritage collectif à inscrire dans la modernité, de Michelle Courchesne et Claude Corbo, lesquelles reprenaient pour l’essentiel les recommandations formulées dix ans plus tôt dans le rapport de la Commission de la culture de l’Assemblée nationale du Québec intitulé Croire au patrimoine religieux du Québec, la nouvelle Politique culturelle du Québec, « Partout, la culture », dévoilée en 2018, n’en a rien retenu. C’est toujours la politique du cas par cas, l’accent étant mis, désormais, sur la « requalification » des lieux de culte dits « excédentaires », un façadisme, voire un vandalisme qui ne dit pas son nom. Le rapport du vérificateur général 2020-2021 passe sous silence la question du patrimoine religieux, et le projet de loi no 69 n’en traite pas davantage.
De même, il n’existe pas de politique relative au patrimoine religieux qui aurait été adoptée par les autorités religieuses et, au premier chef, par l’Assemblée des évêques catholiques du Québec, les disparités étant, d’un diocèse à l’autre, flagrantes, celui de Montréal ayant imposé un moratoire sur la vente de ses lieux de culte, tandis que le torchon brûle à Rimouski entre le diocèse et la fabrique de la cathédrale Saint-Germain quant à l’avenir de cette église.
Voilà donc un patrimoine religieux qui est ni plus ni moins abandonné à son sort, tributaire des décisions qui seront prises (ou non) par les autorités religieuses qui en demeurent propriétaires, sous le regard attentiste de l’État et de la société civile, qui s’en lavent les mains.
Manque d’ambition
Le 8 juin 2010, lors de la saga entourant la sauvegarde de l’église du Très-Saint-Nom-de-Jésus de Montréal et de ses grandes orgues, nous lancions le Manifeste pour la sauvegarde du patrimoine religieux du Québec.
Forts de l’appui de plus d’une centaine de signataires, nous demandions au premier ministre Jean Charest de cesser les interventions ponctuelles et à la carte, en dotant le Québec d’une véritable politique culturelle d’ensemble (intégrant le patrimoine religieux) qui soit cohérente, soulignant qu’il n’y avait pas d’intérêt à continuer d’investir de la sorte dans sa préservation si, cinq ans après l’octroi d’une subvention, l’Église peut unilatéralement décider de reprendre à son compte ce patrimoine et d’en disposer à sa guise !
Le mérite du Manifeste fut de remettre en question le dogme de la propriété des lieux de culte et de proposer leur nationalisation par l’État, à l’instar de ce qui s’est fait en France il y a plus d’un siècle, la Loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État constituant un véritable cadre législatif de sauvegarde en la matière, affectant les lieux de culte à cet usage. Ce Manifeste a cependant manqué, avec le recul, d’ambition, se limitant à ne suggérer que la nationalisation de certains lieux dits d’intérêt « national », plutôt que d’en viser une application universelle à l’ensemble du patrimoine religieux du Québec, à l’exemple de la solution française, la Loi sur le patrimoine culturel ayant au demeurant substitué à cette notion d’intérêt « national » celle d’intérêt « public ».
À l’heure actuelle, la Loi sur le patrimoine culturel repose sur des pouvoirs discrétionnaires conférés au ministre, tant en ce qui a trait au classement des biens qu’au régime d’autorisation des actes réalisés dans l’aire de protection d’un immeuble patrimonial classé ou à l’égard d’un site patrimonial déclaré ou classé. Le projet de loi no 69 ne fait que proposer un encadrement limité de ces pouvoirs discrétionnaires, seulement en ce qui a trait au régime d’autorisations, quant au processus de traitement des demandes. Rien n’est prévu quant à un encadrement éventuel du pouvoir discrétionnaire des demandes de classements, et c’est là que le bât blesse, car l’arbitraire devrait y céder le pas à un mécanisme d’abord fondé sur l’expertise, susceptible de révision et d’appel en Cour supérieure.
Enfin, puisque le sujet du patrimoine religieux est passé à la trappe et, avec lui, les questions légitimes entourant sa propriété et la prérogative qui incombe aux propriétaires, en définitive, de décider à eux seuls de ce qui sera jugé « excédentaire », non sans avoir au préalable écumé les subventions publiques et autres avantages fiscaux, voilà que sonne le glas du patrimoine religieux du Québec, désormais « requalifié », horizon indépassable et inqualifiable, qui tient lieu de politique gouvernementale du patrimoine en cette contrée, contribuant ainsi au naufrage de notre civilisation.
« Logique d’ensemble »
Aux termes du rapport Croire au patrimoine religieux du Québec, en 2006, les membres de la Commission de la Culture disaient partager l’avis formulé par une ancienne présidente de la Commission des biens culturels, Louise Brunelle-Lavoie, qui estimait que l’adoption d’une politique générale sur le patrimoine « est préalable à toute révision de la Loi sur les biens culturels », en ajoutant qu’il « ne sert à rien d’apporter des amendements à la pièce pour corriger certains outils si la logique d’ensemble est absente ».
C’est la voie que le gouvernement du Québec devrait suivre. Le projet de loi no 69 devrait par conséquent être retiré, le temps que cette réflexion s’articule, sur la foi des nombreux rapports existants, et faisant appel aux experts et intervenants du patrimoine, non seulement du domaine de l’architecture, mais aussi de l’art, de la musique et de l’orgue. À terme, un concordat devrait intervenir entre l’État du Québec et les diverses confessions présentes sur son territoire, avec l’Église catholique en premier lieu. Selon les mots de Victor Hugo, « nous devons compte du passé à l’avenir ». Posteri, posteri, vestra res agitur.
Source: Lire l'article complet de Vigile.Québec