Nous sommes tellement habitués à nous fier à une chronologie mondiale universellement acceptée que nous prenons celle-ci comme une simple représentation du temps lui-même, aussi naturelle que l’air que nous respirons. En réalité, cette chronologie, qui permet de situer avec une relative précision sur une unique échelle de temps tous les événements majeurs de l’histoire de tous les peuples, est une construction culturelle qui n’a été réalisée qu’à la fin du XVIe siècle, principalement par les jésuites.
Comme d’autres normes européennes, cette chronologie longue a été acceptée par le reste du monde durant la période de domination culturelle européenne. Les Chinois, par exemple, disposaient déjà de chroniques dynastiques très anciennes, mais ce sont des missionnaires jésuites qui les ont calibrées sur le calendrier chrétien, ce qui donna l’Histoire générale de la Chine en treize volumes de Joseph-Anne-Marie de Moyriac de Mailla, publiée entre 1777 et 1785 [1].
C’est ce paradigme chronologique que remettent en question ceux qu’on nomme les « récentistes ». Lorsque j’en ai entendu parler pour la première fois (sur Égalité & Réconciliation) et que j’ai fait mes premiers pas dans ce champ de recherche, c’est une notion qui m’a rappelé un certain nombre d’observations qui m’avaient intrigué lors de ma recherche doctorale sur la culture médiévale, dont est tiré mon livre La Mort féerique. Anthropologie du merveilleux (XIIe-XVe siècle), paru chez Gallimard en 2011.
En explorant la culture dite laïque (par opposition à la culture cléricale) du Moyen Âge classique, on a le sentiment d’une société très superficiellement christianisée, comme si l’Église peinait encore à façonner les consciences. Parce qu’elle possédait alors un quasi-monopole sur l’écriture, la culture ecclésiastique latine apparaît à l’historien comme dominante, mais elle était en réalité presque marginale, et son influence sur l’immense majorité des hommes et des femmes était très faible. Les sources qui nous renseignent sur la mentalité des seigneurs et des paysans, indiquent que l’immense majorité semble tout ignorer par exemple des doctrines d’Augustin, pourtant censées dominer la chrétienté latine depuis le Ve siècle. Les gens continue d’honorer – et craindre – leurs morts selon des modes formellement interdits par l’Église, et leur imaginaire de l’Autre monde est centré sur un paradis plus érotique qu’ascétique, tandis que la menace de l’enfer ne les impressionne guère. Comment expliquer cela, alors que l’Europe est réputée christianisée depuis près d’un millénaire ?
D’autre part, les hommes du XIe et du XIIe siècle se considéraient comme appartenant encore à la civilisation romaine. La chevalerie, par exemple, se voyait comme l’héritière directe de l’ordre des equites [2] fondé sous Auguste [3]. De même les comtes se souvenaient qu’ils étaient des comites, des fonctionnaires de l’Empire. Il n’y a pas de discontinuité entre la civilisation « romaine » et la civilisation « romane » ; la distinction entre les deux termes est moderne. En fait, rien ne permet de dire que les hommes du Moyen Âge classique vivaient dans une chronologie longue qui repoussait la fin de l’Empire romain 800 ans en arrière.
En vérité, ils ne se trompaient pas en imaginant la chute de l’ancien monde, toute récente. Le Xe siècle avait été catastrophique, au sens propre. C’est « une période parmi les plus mystérieuses de notre histoire », qui « a laissé peu de traces dans notre mémoire collective », explique Guy Blois dans The Transformation of the Year One Thousand ; un siècle d’effondrement économique et démographique, d’où l’Europe sortit métamorphosée au XIe siècle. Dans le Mâconnais, que l’auteur prend en exemple, « vingt à vingt-cinq ans ont suffi pour transformer le paysage social de haut en bas ».
« Des bouleversements drastiques affectèrent tous les aspects de la vie sociale : une nouvelle répartition du pouvoir, un nouveau rapport d’exploitation (la seigneurie), de nouveaux mécanismes économiques (l’apparition du marché), une nouvelle idéologie sociale et politique. Si le mot révolution signifie quelque chose, il pourrait difficilement trouver une meilleure application. » [4]
Nos sources d’information directes sur le Xe siècle sont presque inexistantes, mais quelques chroniques du XIe siècle évoquent des événements cataclysmiques, probablement dus à des comètes. Le moine Raoul Glaber (« le Chauve »), écrivant vers 1040, mentionne qu’en décembre 997 « apparut dans les airs un admirable prodige : la forme, ou peut-être le corps lui-même d’un immense dragon, venant du nord et qui se dirigea vers le sud, avec des éclairs éblouissants. Ce prodige terrifia presque tous ceux qui le virent dans les Gaules » (notons en passant l’expression « les Gaules », car la France n’existe pas encore, sauf pour désigner la région qu’on nomme aujourd’hui l’Île-de-France).
« À la même époque, presque toutes les villes d’Italie et de Gaule furent détruites par des feux ; la ville même de Rome fut consumée par un énorme incendie. […] Une épouvantable maladie sévissait alors parmi les hommes, une sorte de feu invisible, qui brûlait et séparait du reste du corps les membres auxquels elle s’attaquait. Beaucoup d’entre eux furent consumés en l’espace d’une nuit par la brûlure de ce feu. […] À la même époque se produisit une terrible famine qui sévit durant cinq années sur tout le monde romain [in universo Romano orbe] : il n’était aucune région où l’on ne parla de misère et de manque de pain ; une grande partie du peuple mourut de faim. En de nombreux endroits, cette faim atroce poussait à consommer non seulement des animaux immondes ou des reptiles, mais aussi la chair d’hommes, de femmes ou d’enfants ; on ne respectait rien, pas même les liens de la parenté, si bien que la cruauté de la famine portait les fils déjà adultes à dévorer leurs mères, ou celles-ci, oublieuses de l’amour maternel, à faire de même avec leurs enfants. » [5]
Jusqu’à une époque récente, les historiens restaient hostiles aux théories relatives à des événements cosmiques provoquant des ruptures profondes dans la civilisation et la mémoire collective (théories inaugurées par le savant russe Immanuel Velikovsky dans les années 1950). Aujourd’hui, les traces archéologiques d’un cataclysme affectant toute l’Europe du Nord et de l’Est au Xe siècle ne sont plus ignorées, même si les explications varient.
L’hypothèse cataclysmique permet de mieux comprendre l’effondrement civilisationnel du Xe siècle, et cette amnésie traumatique qu’a décrite l’historien Patrick Geary dans Phantoms of Remembrance : Memory and Oblivion at the End of the First Millennium :
« Ceux qui vivaient de l’autre côté de cette césure se sentaient séparés par un grand fossé de cet âge précoce. Déjà au XIe siècle, ceux qui s’engageaient à préserver le passé sous forme écrite, pour leurs contemporains ou leur postérité, semblaient peu connaître et encore moins comprendre leur passé familial, institutionnel, culturel et régional. […] Et pourtant, ils étaient profondément concernés par ce passé, presque possédés par lui, et leur passé inventé est devenu le but et la justification de leurs programmes dans le présent. »
L’historien en conclut qu’on ne peut se fier aux hommes du XIe siècle pour nous informer sur les siècles passés de leur civilisation.
« Une grande partie de ce que nous pensons savoir sur le début du Moyen Âge a été déterminée par les problèmes et les préoccupations changeantes des hommes et des femmes du XIe siècle, et non par ceux d’un passé plus lointain. Si nous ne comprenons pas les structures mentales et sociales qui ont agi comme des filtres, supprimant ou transformant le passé reçu au XIe siècle en termes de besoins présentistes, nous sommes condamnés à mal comprendre ces siècles précédents. » [6]
Sur quelle base, alors, pouvons-nous reconstituer l’histoire du premier millénaire, s’il s’est clos par une rupture dans la mémoire collective qui nous le rend impénétrable ? C’est là que les tenants du révisionnisme chronologique se séparent des historiens universitaires. Ces derniers ont des cases chronologiques préétablies, qu’ils n’ont plus qu’à remplir : ils savent qu’entre l’Antiquité et le Moyen Âge classique, il y a l’Antiquité tardive puis le Haut Moyen Âge, deux périodes assez obscures qu’ils remplissent comme ils peuvent. Si l’homme du XIe siècle ne savait rien de ces périodes, c’est qu’il était amnésique. L’alternative, que j’explore ici, est que l’homme du XIe siècle, pour confus qu’il était, mérite néanmoins d’être entendu, lorsqu’il nous affirme être à peine sorti de l’Empire romain.
Il est vrai que ses repères chronologiques sont très grossiers. L’Église va se charger de lui en donner. Et c’est là, peut-être, que vont surgir les premières distorsions, plus tard amplifiées par la Renaissance, pour finalement s’inscrire dans nos livres d’histoire. En quelques générations, ce « monde romain » auquel Raoul Glaber se sent encore appartenir sera repoussé à une époque presque mythique. L’Église y trouvera le moyen de s’inventer une histoire sainte de mille ans. Dans un ordre politique où l’ancienneté est synonyme de prestige, les souverains y trouveront aussi leur compte.
Est-il possible que notre chronologie des siècles précédant le Moyen Âge classique soit à ce point fautive ? N’avait-on pas tenu un compte précis des années depuis au moins le IVe siècle ? La réponse est un non catégorique : le comput en Anno Domini fait sa timide apparition vers le milieu du XIe siècle. Et la chronique de Raoul Glaber elle-même montre qu’à ses débuts, la datation était encore flottante. Dans le livre II, §8 de son manuscrit autographe, il date un événement de « l’année 888 du Verbe incarné » au lieu de 988 (selon la correction apportée par l’éditeur dans mon édition bilingue latin-français). Dans le livre 1, §23, il évoque un événement durant le pontificat de Benoît VIII (1012-1024) et le date de « l’an de l’incarnation du Seigneur 710 ». L’éditeur le corrige en note :
« En fait en 1014, mais le manuscrit corrigé par Raoul porte indiscutablement la date de 710 ; rien n’explique une erreur de cette nature. » [7]
Ce qui peut expliquer de telles erreurs, qui n’ont rien d’exceptionnel, c’est le caractère nouveau et encore hésitant au XIe siècle de la datation en Anno Domini, pourtant supposée établie depuis le VIe siècle. Très probablement, Raoul a emprunté ces dates « erronées » à d’autres chroniqueurs ou témoins sans se rendre compte qu’elles étaient réglées sur une échelle différente.
Un facteur probable dans la distorsion chronologique du premier millénaire a été le passage de la datation romaine traditionnelle en années Ab Urbe Condita (« depuis la fondation de la ville », abrégé en AUC), encore utilisée au XIe siècle, et la nouvelle datation en Anno Domini (AD). Si, comme l’a déterminé le moine bulgare Denys le Petit, la naissance de Jésus avait eu lieu en 753 AUC, devenu donc l’AD 1, cela signifie que l’année 1000 AUC tombe en AD 246. On peut imaginer que les gens vivant autour de l’an 1000 AUC, ont facilement été convaincus qu’ils vivaient en réalité en l’an AD 1000, soit mille ans après, non pas Romulus, mais le Christ. La transition a été facilitée par les ressemblances mythiques bien connues et bien étranges entre Romulus et le Christ.
Ce processus faisait partie intégrante de la christianisation : tout comme l’Église a christianisé de nombreuses divinités païennes, rites, lieux sacrés et jours saints, elle a christianisé AUD en AD. Par la même occasion, elle a été trop heureuse de combler le vide ainsi créé. Un historien raisonnablement critique de ses sources doit considérer l’histoire de l’Église écrite par elle-même, c’est-à-dire principalement l’Histoire ecclésiastique en dix volumes prétendument écrite en grec par Eusèbe de Césarée au IVe siècle – mais connue au Moyen Âge uniquement dans la traduction latine de Jérôme – avec la plus grande suspicion. Déjà au début du XVIIIe, le bibliothécaire et grand érudit jésuite Jean Hardouin (1646-1729) y voyait un tissu de fictions élaboré dans les monastères bénédictins.
Il y a en effet de solides raisons de considérer cette autobiographie de l’Église comme un produit de la Réforme grégorienne, enclenchée dès 1049 et triomphant au Quatrième concile du Latran convoqué par Innocent III en 1215. La Réforme grégorienne fut la véritable révolution fondatrice du catholicisme romain, comme l’ont montré Robert Moore (La Première révolution européenne – Xe-XIIIe siècle) et Harold Berman (Droit & Révolution), et comme l’écrivait déjà Marc Bloch dans La Société féodale (1939). Ce fut aussi une entreprise organisée de fabrication de faux documents, dont l’une des pièces maîtresses était la Donation de Constantin – datée communément du IXe siècle mais certainement plus tardive.
En ajoutant des siècles fictifs à leur Rome pontificale, les clercs réformateurs ont repoussé dans un passé lointain la République et l’Empire romains, que les humanistes comme Pétrarque (1304-1374) ont ensuite à leur tour fantasmés, avec, comme le précise Jacques Heers, « une intention délibérément politique » à l’époque de la querelle contre la papauté d’Avignon. [8]
Un des grands mystères qu’il s’agit d’élucider à propos de Rome et d’autres villes italiennes supposées fondées durant l’Antiquité, est leur absence de vestiges médiévaux. Quand le voyageur, écrivait James Bryce dans The Holy Roman Empire (1864), ayant passé en revue les monuments de la Rome impériale et de la Rome papale, « cherche des reliques des douze cents ans entre Constantin et le pape Jules II, il se demande : “Où est la Rome du Moyen Âge, la Rome d’Alberic et Hildebrand et Rienzi, la Rome qui a creusé les tombes de tant d’hôtes teutoniques, où les pèlerins affluaient, d’où venaient les commandements qui faisaient s’incliner les rois ? Où sont à Rome les vestiges de l’époque la plus brillante de l’architecture chrétienne, l’époque qui a élevé Cologne, Reims et Westminster, qui a donné à l’Italie les cathédrales de la Toscane et les palais de Venise lavés par les vagues ?” À cette question, il n’y a pas de réponse. Rome, la mère des arts, n’a guère de bâtiment pour commémorer ces temps. » [9]
Se pourrait-il que des siècles fantômes se soient glissés dans l’histoire de Rome, et que ses vestiges antiques soient en réalité médiévaux ? Comment se fait-il d’ailleurs que l’architecture romaine utilisât des technologies avancées telles que des bétons de qualité remarquable, par exemple le dôme magnifiquement préservé du Panthéon ? [10]
L’une des motivations premières du hold-up de l’histoire par les réformateurs grégoriens était la spoliation du droit d’aînesse de Byzance, le berceau authentique du christianisme. Ainsi la distorsion chronologique qui affecte notre narration standard est en rapport avec une distorsion géographique ou géopolitique. Il est bien connu des byzantinistes que l’une des principales sources de la perspective biaisée de notre histoire occidentale est la rivalité entre Rome et Constantinople, dont l’aboutissement fut la quatrième croisade et le sac de Constantinople (1205). « Il n’y eut jamais de plus grand crime contre l’humanité que la Quatrième Croisade » [11], a écrit le célèbre historien Steven Runciman, parce qu’elle infligea à la civilisation byzantine une blessure mortelle dont elle ne se releva jamais, laissant le champ libre à l’islam.
En revanche, pour l’Occident, et en particulier pour l’Italie, la chute de Constantinople a déclenché une croissance économique fulgurante, alimentée au départ par les immenses richesses pillées. Les avantages culturels furent également impressionnants : des bibliothèques entières furent spoliées, que les savants de langue grecque commencèrent aussitôt à traduire en latin. On peut dire sans exagération que l’émergence de l’humanisme en Italie a été un effet indirect de la chute de Constantinople.
Le concile de Florence en 1438, qui plaça Constantinople devant un ultimatum, est une date importante dans le transfert de la culture grecque vers l’Occident.
L’empereur byzantin Jean VIII Paléologue et le patriarche Joseph II vinrent à Florence avec une extraordinaire collection de livres classiques encore inconnus en Occident, y compris des manuscrits de Platon, Aristote, Plutarque, Euclide et Ptolémée. « Culturellement, écrit le spécialiste Jerry Brotton, la transmission de textes, d’idées et d’objets d’art classiques d’est en ouest qui a eu lieu au concile devait avoir un effet décisif sur l’art et l’érudition de l’Italie de la fin du XVe siècle » [12]. Et lorsque, après 1453, les derniers détenteurs de la haute culture byzantine ont fui la domination ottomane, beaucoup sont venus contribuer à l’épanouissement de la Renaissance italienne. En 1463, la cour florentine de Cosme de Médicis fit la connaissance du philosophe néoplatonicien Georges Gémiste, dont les discours sur Platon les fascinèrent tant qu’ils décidèrent de fonder l’Académie de Platon à Florence. Alors commença la traduction en latin du corpus platonicien.
En même temps qu’ils s’appropriaient l’héritage grec, les humanistes italiens affectaient d’ignorer leur dette envers Constantinople. « Avec un sentiment de culpabilité obsédant », écrit Steven Runciman, l’Europe occidentale « a choisi d’oublier Byzance. Elle ne pouvait oublier la dette qu’elle avait envers les Grecs ; mais elle a vu cette dette comme étant due uniquement à l’âge classique ». [13]
Encore faut-il préciser qu’à ce stade, les savants ne possédaient pas une chronologie globale cohérente pour dater précisément l’âge classique grec. Le byzantiniste Michel Kaplan souligne que les humanistes occidentaux qui étudièrent la littérature grecque importée de Constantinople à partir du XIVe siècle, « ne faisaient pas de distinction entre les œuvres de la Grèce classique et hellénistique et celles de l’époque byzantine ». [14] L’hypothèse implicite dans cette remarque est que les savants modernes sont désormais capables de faire clairement cette distinction. Mais le sont-ils vraiment ? Il y a des raisons d’en douter.
Par exemple, comment se fait-il que le grec homérique soit « plus proche du démotique [grec moderne] que le moyen anglais du XIIe siècle ne l’est de l’anglais parlé moderne », selon Margaret Alexiou, professeur à Harvard ? [15] Comment se fait-il également que le Parthénon, encore décrit comme « le joyau le plus précieux du monde » au XIVe siècle, était encore en parfait état en 1687, avant d’être la cible des mortiers vénitiens [16], qui lui ont donné son aspect actuel de ruine antique ? [17]
Dans Un millénaire de trois siècles ? je vous propose une introduction au révisionnisme chronologique du premier millénaire de notre ère. Cet essai reflète mon approche personnelle du dossier, influencé par ma formation de médiéviste, même si, pour la plupart, les arguments sont inspirés des travaux d’autres chercheurs. J’ai cherché à montrer que la remise en question de la chronologie n’est pas un objectif préconçu, mais plutôt une hypothèse rendue nécessaire par l’accumulation d’innombrables preuves ou indices que la structure même de notre récit standard est fautive.
J’insiste sur le caractère provisoire de toutes les hypothèses émises dans cet essai. Le récentisme n’est encore qu’un vaste chantier où s’activent des équipes de compétences et de styles très variables. La théorie de Gunnar Heinsohn, professeur à l’Université de Brême, représente une percée significative encore peu connue, c’est pourquoi je lui ai consacré une place importante. [18] Heinsohn se concentre sur les données archéologiques concrètes et insiste pour faire de la stratigraphie le critère le plus important pour dater les découvertes archéologiques. Nulle part dans le monde, montre-t-il, on ne trouve superposées des strates archéologiques correspondant aux trois périodes de l’Antiquité, l’Antiquité tardive, et le Haut Moyen Âge, ni même à deux de ces périodes seulement. Heinsohn propose donc la contemporanéité des trois périodes, car elles « se trouvent toutes à la même profondeur stratigraphique. » Cela revient en quelque sorte à synchroniser l’Empire romain d’Occident, l’Empire romain d’Orient, et l’Empire romain germanique, qui feraient tous partie de la même civilisation romaine effondrée il y a un peu plus de dix siècles. C’est une remise en question vertigineuse, mais qui résout un grand nombre d’énigmes et dessine une nouvelle perspective remarquablement cohérente.
Rien ne disparaît, l’histoire devient simplement plus dense.
Laurent Guyénot
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