Du Cap-de-la-Madeleine des années 1950 à l’Université de Toronto d’où il a pris sa retraire de l’enseignement, Michel Lord raconte dans Sortie 182 pour Trois-Rivières (Éditions de La Grenouillère, 2020) des parcelles d’une existence où se sont côtoyés, pour reprendre le sous-titre de son recueil, des catastrophes et mille merveilles.
Spécialiste de la nouvelle et des courants littéraires fantastiques et gothiques, il a signé des chroniques (« plus de 800 pages ») dans les revues Lettres québécoises (maintenant renommée LQ) et University of Toronto Quarterly (dont il est responsable de l’édition en langue française). Le professeur émérite a voulu risquer l’écriture autobiographique pour faire la connaissance « de potentiels nouveaux lecteurs ».
« À ma retraire, je m’étais promis d’aborder la fiction », témoigne-t-il au bout du fil. Après des ouvrages en solo ou en collaboration sur la science-fiction québécoise, sur le poète Gaston Miron (Miron ou la marche à l’amour, l’Hexagone, 2002) et un futur essai sur l’œuvre d’Anne Hébert (Anne Hébert, contre vents et marées, Lévesque éditeur, 2021), le pédagogue s’est donné le défi à l’hiver 2018 « d’écrire un récit par jour ».
Avant-propos, le premier des 41 fragments du recueil, s’amorce par : « La vie est pleine de vide, c’est bien connu. Plus vide que pleine, c’est certain. » Sans suivre un fil chronologique, les « petits croquis » se déclinent sur six décennies. Les paysages de la Mauricie de l’enfance alternent avec ceux de la ville de Québec durant les années 1970 lors des événements d’Octobre et d’études en littérature à l’Université Laval. Nous nous retrouvons aussi brièvement dans un Montréal autour de la revue contre-culturelle Mainmise (1970-1978 et à Metz en France lors d’un colloque en 1996. Le spécialiste de la nouvelle (perçue par certains comme une « pratique artistique pour les happy few ») voulait enchevêtrer les époques et les lieux dans un esprit « post-moderne ».
Dans L’École Chapais, la plus ancienne des histoires brèves, Michel Lord replonge dans sa première journée d’école à cinq ans et demi en 1954, dans la ville « mariale » du Cap-de-la-Madeleine, « dans cette province de Québec dont je détesterai tant l’esprit provincial (…) la province qui veut rester provinciale ». L’enfant « éberlué, timide » développe sa sensibilité et découvre petit à petit les joies de la lecture (des revues de BD belges et françaises avec Tintin et Spirou, et plus tard Flaubert « le magnifique »), tout comme la musique populaire (Beatles, Brel, Ferré) et classique (Beethoven, Mozart, Prokofiev). Cette période qualifiée de Grande Noirceur, « pas toujours si sombre, par bouts lumineuse cette Noirceur », laisse présager bien des espoirs personnels et sociaux.
Découvrant tôt son attirance pour les hommes, Michel Lord quitte sa région natale pour la capitale nationale. « L’homosexualité était encore considérée comme une maladie mentale. Québec apparaissait alors comme une ville libérée. » Ses nombreuses aventures, amicales et affectives sont décrites avec des souvenirs vifs, palpables, mais pas nostalgiques. Ses descriptions de Québec nous exposent une ville qui par sa liberté d’alors ressemblent à certains égards « à l’effervescence d’un San Francisco du Nord. Nous nous libérions de la religion. Nous croyions à l’amour », explique-t-il de vive voix.
1970 le marque au fer rouge : première année universitaire où il fume des Gauloises et des Gitanes comme son idole Léo Ferré et séjour en prison. Pendant la Crise d’Octobre, Lord sera la victime d’un agent provocateur de la GRC, « des salopards voulant détruire le mouvement indépendantiste québécois ». Dans une brasserie, un inconnu lui propose un coup d’éclat. Survient le lendemain une descente de police et incarcération au poste de police du Boulevard Sainte-Cyrille (maintenant le Boulevard René-Lévesque). « Trois jours de réclusions sans que je puisse voir l’ombre d’un être humain (…) où, laissé à moi-même, sans aucun soutien (…), j’ai vécu le vrai désespoir. »
Pourtant, l’écrivain se permet grâce à la fiction d’imaginer une rencontre avec « son mouchard et régler avec moi-même cette situation incroyable (avec en plus une allusion à la chanson Un Canadien errant d’Antoine Gérin-Lajoie) ». L’auteur écorche le père de la Loi sur les mesures de guerre, Trudeau père, « ennemi juré du peuple québécois » (tout comme son fils Justin), qui durant ses études à l’Université de Montréal, « s’est frotté jeune au mouvement nazi avec Jean-Louis Roux (…) croix gammée au bras… »
Dans la même décennie, l’étudiant décroche de ses études en littérature (pour les reprendre plus tard avec succès), consomme des substances illicites, suit une formation pour devenir masseur professionnel, développe de belles amitiés (certaines s’étiolent), est confronté à la mort de proches. Le 31 octobre 1974, il rencontre l’amour de sa vie, en Donald McKenzie, un Ontarien francophile qu’il épousera en 2006.
Le texte le plus poignant de Sortie 1982 pour Trois-Rivières demeure celui sur Marie-Thérèse Chauvet, surnommée Sleepy la Goune, une copine qu’il rencontre dans les bureaux de Mainmise à Montréal en 1974. Celle-ci l’héberge dans l’appartement qu’elle partage avec deux des figures marquantes de la revue, Jean Basile (« avec son allure de géant ») et Georges Khal, « les gens les plus accueillants de la terre ». La chimie opère avec sa nouvelle camarade. « Je l’ai connue alors que je vivais un passage à vide. » Les années passent, mais la relation perdure. « Plus tard (en 1979), je me suis joint à l’équipe d’une émission littéraire sur les ondes radiophoniques de Radio-Canada. Marie-Thérèse habitait alors un taudis avec Khal et nous nous voyions lors de mes séjours dans la métropole. » Tragique, le dénouement ne laissera personne de glace.
Michel Lord « ressuscite de grands disparus », autant ses parents, compères et anciens collègues du milieu académique (Adrien Thério, Robert Yergeau). Revenir sur le passé n’empêche pas l’intellectuel de poser un regard sévère sur notre société actuelle. Celui-ci désapprouve certaines dérives du monde de l’enseignement, et surtout déplore bien des démagogies d’une époque « peu éloquente qui tend trop souvent vers le bas ».
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