Thuram, encore

Thuram, encore

par André Rosevègue.

Je vous l’avais promis, je reviens aujourd’hui sur le livre de Lilian Thuram, paru en octobre, La pensée blanche.

Je vous avais, pour vous appâter, cité deux anecdotes de l’introduction, qui montrait à quel point si les Blancs pensaient les Noirs comme Noirs, ils ne se pensaient pas comme Blancs, mais comme normaux, et même figures de l’universel.

Car Lilian Thuram, reprenant de façon méthodique le pendant de la formule de Simone de Beauvoir – « on ne naît pas femme, on le devient » –, formule qui progressivement est comprise mais difficilement acceptée par la pensée dominante masculine, affirme ce qui devrait être aussi compréhensible par la pensée dominante blanche – on ne naît pas Blanc, on le devient.

Dans une première partie, l’Histoire, Lilian Thuram reprend des éléments qui structurent la pensée blanche : les mappemondes qui placent l’Europe en haut et au centre, le peuple égyptien de l’Antiquité qui devait selon toute probabilité être noir et est représenté comme blanc, l’esclave de l’Antiquité représenté généralement comme noir alors qu’il pouvait être de n’importe quelle « couleur ». Et ça continue : dans sa biographie de Christophe Colomb en 2011, Marie-France Schmidt peut écrire qu’en donnant des noms chrétiens aux îles auxquelles il accoste, « il signe l’entrée de ces terres (…) dans l’Histoire et la Géographie » – comme Sarkozy regrettait en 2011 à Dakar que « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire ».

Thuram revient sur la Traite, sur l’ignorance dans laquelle la grande majorité des gens, y compris parmi les « élites », s’étaient tenus par rapport au Code Noir de Colbert. Il revient de même sur la science des races de Broca et consorts. Les lecteurs du Guide du Bordeaux colonial connaissent. Il cite Léopold de Saussure qui écrit en 1899 dans Psychologie de la colonisation française dans ses rapports avec les sociétés indigènes : « il faut connaître le trait dominant du caractère nègre, cette vanité extraordinaire, grotesque, invraisemblable, que l’on ne peut définir de manière satisfaisante que par un seul adjectif : simiesque ».

Il reprend les grands traits de la colonisation, de ses monstruosités juridiques, de ses justifications « morales » et de l’aveu de son intérêt financier pour les capitalistes. Toujours avec force exemples et citations.

La deuxième partie entre plus avant dans la pensée blanche, « Être blanc ».

C’est la référence à un territoire à défendre, à contrôler, où s’organise la discrimination.

C’est un racisme systémique, où se joue une guerre des places, et où l’universalité des droits est une fable. L. Thuram nous propose de distinguer le racisme d’État, qui dure de 1685 à la fin des années 1970 et les dernières indépendances, et le racisme systémique qui se poursuit depuis. Après avoir rappelé le comportement discriminatoire des forces de police, L. Thuram ajoute : « Cependant cette discrimination systémique n’est pas le seul fait des appareils policiers. Elle existe également à l’école ». Thuram cite des études sociologiques sur le déroulement des conseils de discipline, sur les préconisations des conseils d’orientation. Et il évoque les autres institutions, dont l’hôpital.

Cela étonnera Finkielkraut s’il lit ce livre un jour, Lilian Thuram cite le monde du foot comme exemple de ce racisme systémique. L’ex-entraineur des Girondins de Bordeaux Willy Sagnol illustre le propos par une déclaration dans Sud-Ouest du 5 novembre 2014, dont on ne sait pas s’il s’est rendu compte de son côté franchement glauque : « L’avantage du joueur je dirais typique africain : il n’est pas cher, généralement prêt au combat, on peut le qualifier de puissant sur un terrain. Mais le foot, ce n’est pas que ça, c’est aussi de la technique, de l’intelligence, de la discipline. Il faut de tout, il faut des Nordiques aussi ».

Thuram tord le cou à la prétention universaliste.

Le philosophe Clément Rosset parle de cette tendance que nous avons à faire semblant de ne pas voir que notre comportement ne correspond pas à ce que nous affirmons, que nous déclarons l’égalité de tous les humains, mais que nous ne la reconnaissons pas toujours dans les faits.

« En 1948, la Déclaration universelle des Droits de l’Homme en est un exemple. Car voilà 53 pays, rassemblés au sein de l’Assemblée générale des Nations Unies, qui proclament solennellement l’universalité absolue des droits humains, du berceau jusqu’à la tombe, quels que soient l’extraction sociale, le sexe ou la couleur de peau. Or au même moment, parmi ces pays, certains, dont la France, mon pays, colonisent encore en Afrique, en Océanie, en Amérique et en Asie, c’est-à-dire qu’ils assoient une partie de leur prospérité sur une politique économique intrinsèquement et violemment raciste. La France vient alors tout juste de réprimer férocement à Madagascar une volonté de liberté, qui a fait plus de 89 000 morts, et elle est déjà engagée dans le long conflit d’Indochine qui fera selon les estimations plus de 500 000 victimes. Et les femmes – la moitié de la population – sont encore traitées comme des êtres inférieurs, à qui l’on vient tout juste de concéder le droit de vote ».

Thuram tord le cou au prétendu racisme anti-blancs.

« Comme le montre un rapport de l’Institut national des Études démographiques consacré au racisme anti-Blancs, « le racisme des minoritaires à l’encontre des majoritaires ne fait pas système et ne produit pas d’inégalités sociales ».

« Contrairement aux pratiques racistes quotidiennes vécues par les non-Blancs qui, elles, relèvent d’un système ».

« Ce dont je suis sûr, c’est que ce qu’on appelle aujourd’hui le racisme anti-Blancs dans notre société n’a jamais empêché un Blanc d’avoir un logement, un travail, de circuler dans l’espace public en ayant peur qu’un simple contrôle de police se termine mal pour lui, parce que “blanc” ».

Le but des partisans du racisme anti-Blancs, c’est d’essayer de mettre sur le même plan le prétendu racisme anti-Blancs et le racisme en général. Afin de délégitimer la lutte des personnes discriminées dans notre société.

Il montre comment le refus des statistiques ethniques a fonction de renforcement du privilège Blanc au nom de l’universel.

Et dans une troisième partie, devenir humain, il en appelle au « suicide de la race », évoquant les militants blancs pour les droits civiques, dénonçant ce monde de la pwofitasyon (la profitation), en appelant à l’en-commun.

C’est d’ailleurs sa conclusion : étant donné l’état de notre planète, plus que jamais nous devrions ôter nos différents masques pour refaire du commun, « refonder la communauté des humains en solidarité avec l’ensemble du vivant » citant là le philosophe Achille Mbembe.

Après la lecture de ce livre, qui est tout sauf un traité théorique et largement un patchwork d’exemples et de références, de propos appuyés sur une forte bibliographie, je ne suis pas devenu Thuramien, car il reste à bien des égards dans l’ambiguïté.

Deux éléments pour illustrer ma gêne : sur les réunions séparées de personnes victimes de discriminations, il joue les conciliateurs, par exemple à propos du « camp d’été décolonial de 2016 » à Reims : « à mon avis cette réunion de Reims était totalement anachronique, mais je vais essayer de vous faire comprendre pourquoi à mon sens la société française porte une responsabilité alors même que je suis en complet désaccord avec ce type de réunion ».

L’autre élément, ce sont deux absences, que je vois comme une petite lâcheté : pas un mot du parti des Indigènes, même pour en discuter les thèses, pas une référence aux livres de Houria Bouteldja, dont il n’est pas possible qu’il n’ait pas connaissance. Idem pour le sociologue Saïd Bouamama. Comme si citer ces personnes qui sentent le souffre l’aurait rangé dans les infréquentables.

Lilian Thuram met sa notoriété au service d’un travail éducatif antiraciste, il montre excellemment comment la pensée blanche n’est pas d’hier mais d’aujourd’hui, il cite abondamment les luttes qui ont été menées, il engage aujourd’hui ses lecteurs plus à une réflexion sur eux-mêmes qu’à un engagement dans des luttes radicales.

source : https://ujfp.org/

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À propos de l'auteur Réseau International

Site de réflexion et de ré-information.Aujourd’hui nous assistons, à travers le monde, à une émancipation des masses vis à vis de l’information produite par les médias dits “mainstream”, et surtout vis à vis de la communication officielle, l’une et l’autre se confondant le plus souvent. Bien sûr, c’est Internet qui a permis cette émancipation. Mais pas seulement. S’il n’y avait pas eu un certain 11 Septembre, s’il n’y avait pas eu toutes ces guerres qui ont découlé de cet évènement, les choses auraient pu être bien différentes. Quelques jours après le 11 Septembre 2001, Marc-Edouard Nabe avait écrit un livre intitulé : “Une lueur d’espoir”. J’avais aimé ce titre. Il s’agissait bien d’une lueur, comme l’aube d’un jour nouveau. La lumière, progressivement, inexorablement se répandait sur la terre. Peu à peu, l’humanité sort des ténèbres. Nous n’en sommes encore qu’au début, mais cette dynamique semble irréversible. Le monde ne remerciera jamais assez Monsieur Thierry Meyssan pour avoir été à l’origine de la prise de conscience mondiale de la manipulation de l’information sur cet évènement que fut le 11 Septembre. Bien sûr, si ce n’était lui, quelqu’un d’autre l’aurait fait tôt ou tard. Mais l’Histoire est ainsi faite : la rencontre d’un homme et d’un évènement.Cette aube qui point, c’est la naissance de la vérité, en lutte contre le mensonge. Lumière contre ténèbres. J’ai espoir que la vérité triomphera car il n’existe d’ombre que par absence de lumière. L’échange d’informations à travers les blogs et forums permettra d’y parvenir. C’est la raison d’être de ce blog. Je souhaitais apporter ma modeste contribution à cette grande aventure, à travers mes réflexions, mon vécu et les divers échanges personnels que j’ai eu ici ou là. Il se veut sans prétentions, et n’a comme orientation que la recherche de la vérité, si elle existe.Chercher la vérité c’est, bien sûr, lutter contre le mensonge où qu’il se niche, mais c’est surtout une recherche éperdue de Justice.

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