L’auteure est chargée de cours à l’UQAM, Présidente de L’Assomption en transition, Comité vigilance hydrocarbures de la MRC de L’Assomption et Membre Des Universitaires
À l’occasion du 25ème anniversaire du référendum perdu sur la souveraineté du Québec, les journalistes et chroniqueurs ont été nombreux à s’interroger sur ce qui reste du rêve de se donner un pays et d’être les artisans de notre destinée commune. Il est paradoxal d’entendre Lucien Bouchard, en entrevue avec des journalistes du journal Le Devoir[1], faire part de ses regrets. En effet, on se demande ce que l’ex-premier ministre du Québec, devenu un temps porte-parole de l’Association pétrolière et gazière du Québec (rebaptisée récemment Association de l’énergie du Québec), aurait à dire à ceux et celles qui luttent présentement au Saguenay contre l’industrie gazière et pour la préservation du majestueux fjord, de sa culture, de sa biodiversité, mais aussi pour la sauvegarde d’un climat viable à l’intention des générations futures.
Lors de la lutte contre la construction du pipeline Énergie Est de la compagnie TC Energy, Jacques Parizeau, alors ex-premier ministre du Québec, avait dénoncé les torts irréparables que ce projet industriel risquait de causer à notre économie et notre environnement. Monsieur Parizeau partageait le rêve d’un pays qui se définit non pas par la richesse de ses plus nantis, mais par celle de sa culture au sens large, ce qui inclut l’environnement et les politiques sociales[2].
Les centaines de milliers de citoyens, principalement des jeunes, qui ont marché dans les rues de Montréal et ailleurs au Québec le 27 septembre 2019[3] pour faire valoir leur droit à un avenir viable, n’ont pas tous connu la fièvre référendaire de 1995. Mais ils partagent le désir d’un environnement sécuritaire, qui protège la biodiversité et qui assure à leur famille la possibilité de s’épanouir. Il en va de même des milliers de citoyens, jeunes et moins jeunes, qui dénoncent présentement devant le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) l’imposture du projet de construction d’une usine de liquéfaction de gaz en bordure du fjord du Saguenay.
La plupart des personnes qui présentent verbalement leur mémoire devant la commission du BAPE témoignent de leurs préoccupations face à la crise climatique, ainsi que de leur attachement à la nature et à la biodiversité qui les entourent, source d’équilibre et de bien-être. Ils sont nombreux à évoquer la santé de l’environnement qu’ils veulent léguer à leurs enfants. L’indignation est palpable chez ceux et celles qui dénoncent le détournement de 550 MW (soit l’équivalent du tiers de la puissance du complexe de la Romaine) d’énergie hydroélectrique propre, fierté des Québécois.es, pour favoriser l’une des énergies les plus destructrices du climat et de l’environnement, à savoir le gaz naturel obtenu par fracturation hydraulique en provenance de l’Ouest canadien.
Nous avons appris lors de ces audiences du BAPE que, dans le présent contexte d’urgence climatique, le projet de GNL Québec pourrait générer plus de 50 millions de tonnes de CO2 chaque année pendant au moins 25 ans[4]. Ses investisseurs sont tous inscrits dans des paradis fiscaux, et le projet ne serait pas viable sans fonds publics[5]. Sur le plan environnemental, plutôt que de remplacer du charbon en Asie, tel qu’il est avancé par GNLQ, le projet concurrencerait principalement la filière des énergies renouvelables en Europe[6]. Les méthaniers géants, qui parcourraient chaque jour le Saguenay et le Saint-Laurent pour exporter leur cargaison, contribueraient très probablement à la disparition des bélugas et autres mammifères marins[7]. Cependant, même si la vitalité économique et sociale liée au tourisme dans la région serait mise à mal par le projet, le premier ministre François Legault s’est dit jusqu’ici favorable à GNL Québec[8], tout comme les autorités du port de Saguenay, les représentants de la MRC du Fjord-du-Saguenay et autres apôtres de la croissance infinie. Face à des politiques aussi incohérentes, la bataille pour se donner un pays à notre image doit être menée chez nous, ici et maintenant.
Ceux et celles qui construisent aujourd’hui le Québec de demain, ce sont ces jeunes et moins jeunes qui s’activent au sein de leurs communautés pour développer la carboneutralité, la sécurité alimentaire, le transport actif et collectif, la fabrication locale, l’efficacité énergétique, les fermes biologiques, la permaculture, les organismes d’entraide et de partage, l’agroforesterie, la transition énergétique vers les énergies renouvelables, l’économie circulaire, le tourisme de nature, les services publics, l’éducation à l’environnement, la démocratie participative et la résistance civile aux projets polluants.
Il est dommage que cette mobilisation populaire et ces initiatives communautaires porteuses d’espoir ne trouvent pas écho et n’inspirent pas davantage nos gouvernements dans leurs prises de décisions.
Comme le soulignait l’ambassadeur français au Canada, M. Nicolas Chapuis : « Il ne sert à rien de parler économie, business, culture, francophonie, Québec, Montréal, Canada si on n’a plus de planète! »[9]. Que tous ceux et celles qui ont le Québec tatoué sur le cœur entrent dans le grand mouvement citoyen de la transition et joignent leurs forces, avec le Front commun pour la transition énergétique[10] et tous les autres, pour repousser les projets absurdes comme GNL Québec qui détruisent nos richesses les plus précieuses. Soyons dès maintenant les artisans d’un Québec au service de la vie.
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