Chaque année, au Québec, une quarantaine d’églises ferment leurs portes. Néanmoins, plusieurs projets de requalification du patrimoine religieux voient le jour. Trois représentants de projets en économie sociale et un urbaniste ont discuté des enjeux liés au patrimoine religieux dans le cadre d’une conférence en ligne animée par Félix Bussières, directeur général au Pôle des entreprises d’économie sociale de la région de la Capitale-Nationale.
Tous s’entendent pour dire que le patrimoine religieux est en péril au Québec, mais que l’économie sociale — liée de près aux valeurs des communautés religieuses — s’avère une avenue intéressante pour sauvegarder à la fois le patrimoine bâti et le patrimoine immatériel.
« Le patrimoine religieux représente en général toute l’histoire de la maquette du Québec, qui s’est bâti avec la présence très forte des communautés religieuses et des diocèses dans l’aménagement du territoire. »
Serge Filion
« Si la tendance se maintient, on risque d’en perdre un trop grand nombre [d’églises]. C’est une aberration, parce que le patrimoine religieux représente en général toute l’histoire de la maquette du Québec, qui s’est bâti avec la présence très forte des communautés religieuses et des diocèses dans l’aménagement du territoire. […] Pour être dans l’économie sociale, il faut aimer les gens et avoir une vision », admet l’urbaniste Serge Filion, lors de la conférence qui s’est déroulée en novembre, Mois de l’économie sociale au Québec.
Rôle actif des municipalités
En 2020, près du quart des églises sont en train de changer de vocation. Fort heureusement, les municipalités s’impliquent de plus en plus. Selon le Conseil du patrimoine religieux du Québec, 17 % des lieux de culte appartenaient aux municipalités en 2012. Aujourd’hui, les municipalités en sont propriétaires à 24 %.
« La municipalité ne voit pas toujours la pertinence [de la sauvegarde] à cause du caractère religieux. Souvent, les arguments économiques vont l’emporter sur les arguments d’appartenance. Il faut valoriser l’équipement. En milieu rural, il est important de mobiliser la MRC », évalue Denis Robitaille, chargé de projet en patrimoine pour les Augustines. La reconversion du monastère a donné lieu à un hôtel-musée, un lieu de solidarité pour les proches aidants avec les soignants, un centre d’archives et un restaurant.
De son côté, Serge Filion croit que la municipalité a un rôle pluriel à jouer, en plus de servir de relais entre les gouvernements supérieurs et les conseils de quartier. « Il est primordial de faire appel aux fonctionnaires municipaux dans le projet et avoir aussi des groupes d’élite autour de soi ; seul, on n’arrive à rien », souligne l’urbaniste ayant travaillé pendant plus de 30 ans à la Ville de Québec.
Des réussites
Un exemple probant d’économie sociale est le Jardin de François, à Baie-Saint-Paul, dans Charlevoix. Les petites Franciscaines de Marie, dont la moyenne d’âge était de 80 ans, ont fermé leur communauté et leurs services. Les religieuses voulaient laisser un legs permanent. « Ça a donné lieu à un jardin qui témoigne de la louange de saint François d’Assise envers tous les éléments de la création », résume M. Filion, embauché comme consultant dans ce projet.
Ainsi, cet espace vert a été soustrait du patrimoine immobilier de Baie-Saint-Paul et redonné à l’ensemble des citoyens. Les petites Franciscaines de Marie ont permis à la ville de faire des forages pour aller chercher de l’eau potable pour alimenter la population locale, ce qui leur assure une source de revenus.
À Québec, dans le quartier du Vieux-Limoilou, Espace d’initiatives œuvre depuis 2015 à requalifier l’église Saint-Charles-de-Limoilou. « On doit faire preuve de créativité pour assurer la pérennité des bâtiments. On a besoin aussi d’un engagement de l’ensemble des partenaires. La Ville de Québec et la fabrique paroissiale ont été des acteurs importants », estime Édouard-Julien Blanchet, cofondateur et coordonnateur d’Espace d’initiatives.
Diversité de revenus
Tout comme les entreprises privées, les projets d’économie sociale doivent être rentables. Il faut comprendre les qualités du bâtiment (par exemple, l’ancrage dans la communauté), mais aussi les risques inhérents qui y sont liés. « On a fait une campagne de sociofinancement qui nous a permis d’amasser 5000 $ ; on est donc loin du compte des millions ! Il y a d’autres outils pour amasser des fonds, comme le développement des obligations communautaires pouvant recueillir de grosses sommes », mentionne M. Blanchet. « La campagne de sociofinancement n’est pas la seule solution. La Société immobilière du Québec (SIQ) peut aussi être une avenue », renchérit Serge Filion.
Parfois, le projet ne peut toujours porter à lui seul l’ensemble des responsabilités du bâtiment. Dans le cas du monastère des Augustines, une fiducie d’utilité sociale a été créée en vue de trouver des sources de financement pour le maintien des bâtiments.
En Mauricie, la base de plein air Ville-Joie est sur le point d’être cédée à une administration laïque. Réserve mondiale de la biosphère par l’UNESCO, ce site naturel d’exception aux abords du lac Saint-Pierre est composé de cinq écosystèmes. Plusieurs activités s’y déroulent, dont des camps familiaux, des classes nature et de l’éducation à l’environnement. Les Dominicaines de la Trinité, qui en sont propriétaires, souhaitent léguer le site et les bâtiments à compter de janvier 2021.
« Il est bon de nommer un membre de la communauté religieuse sur le conseil d’administration. Il faut intégrer les communautés religieuses au projet, bien faire les choses et respecter aussi leur rythme, car il y a plusieurs enjeux à considérer (par exemple, souvent le fait que plusieurs membres sont en fin de vie) », résume Philippe Roy, directeur général de la base de plein air Ville-Joie.
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