par Alexandre Lemoine.
Le Gouvernement d’Union Nationale de la Libye (GNA) avec le soutien de l’Occident a misé sur Fathi Bashagha. Quant aux concurrents, la situation en la matière est floue dans le « Gouvernement de l’Est ». Il existe de sérieux différends entre le chef du gouvernement local Abdallah al-Thani, le président du parlement Aguila Salah et le chef de l’Armée Nationale Libyenne (ANL) Khalifa Haftar, qui se sont aggravés après l’échec de l’offensive de l’ANL contre Tripoli.
Le 24 novembre, le chef de la Chambre des Représentants Aguila Salah s’est rendu à Moscou à l’invitation des autorités russes. Il a évoqué avec le ministre russe des Affaires Étrangères Sergueï Lavrov le règlement de la situation dans le pays, ainsi que les possibilités du rétablissement à part entière de la coopération bilatérale entre la Russie et la Libye.
À noter que durant sa visite à Moscou Aguila Salah était accompagné par son conseiller Abdel Basset al-Badri, qui a activement participé aux pourparlers. C’est souvent qu’ils participent ensemble aux rencontres internationales, mais ces derniers temps le conseiller se rend aussi personnellement dans les capitales mondiales pour remplir des directives délicates du président du Parlement.
Abdel Basset al-Badri est né le 20 août 1978 à Benghazi et on ne savait rien de lui jusqu’en 2014, quand le récent diplômé de l’Université Ain Shams du Caire (où un an d’études coûte seulement 1 000 dollars) s’est retrouvé soudainement au poste d’ambassadeur de la Libye en Arabie Saoudite. Puis, il représentait le pays à l’Organisation de Coopération Islamique (OCI), et ces dernières années il faisait partie de la direction du Gouvernement de l’Est et conseillait le président du Parlement libyen. Abdel Basset n’est pas appuyé par des forces qui seraient prêtes à le soutenir, et le soutien international, sur lequel il compte, se limite aux révérences diplomatiques conventionnelles.
Khalifa Haftar semble avoir perdu toute perspective politique. Alors qu’il s’était proclamé récemment seul gouverneur du pays en s’attribuant le grade sans précédent en Libye de maréchal. Le plus haut grade militaire jusqu’en 2009 était de général d’armée, attribué uniquement au ministre de la Défense Abou Bakr Younès Jaber. Il a été tué avec Mouammar Kadhafi, ayant le grade de colonel. Le fils cadet du dirigeant tué Khamis Kadhafi, commandant de la 32e bridage, avait reçu le grade de commandant peu de temps avant sa mort sur le champ de bataille.
Les talents de chef de guerre de Khalifa Haftar, connus depuis la Guerre du Tchad (il avait abandonné ses troupes en se rendant), ont montré leur limite pendant l’opération de 14 mois contre Tripoli. Non seulement il a été repoussé aux positions initiales, mais il a également perdu le soutien d’antan des Libyens. Néanmoins, l’ANL continue de distribuer des grades de général et d’affirmer que les occupants turcs seront bientôt chassés.
De son côté, le GNA publie des caricatures de Haftar, alors que les observateurs indépendants notent que la mise en œuvre des décisions du Comité Militaire Conjoint « 5+5 » fait manifestement du surplace. En particulier, les mercenaires doivent quitter le pays d’ici trois mois après la signature du document, mais le travail en ce sens n’a même pas commencé. Au contraire, mi-novembre, à Tripoli a été signé un accord avec le Qatar pour utiliser la base aérienne de Misrata, et sur la grande base de Tadjourah, près de Tripoli, s’est tenue une cérémonie de sortie du premier groupe d’élèves libyens formés par des instructeurs turcs.
Dans ces conditions, l’apparition sur le devant de la scène de Saïf al-Islam Kadhafi est très plausible. Il a été capturé en 2011 par un groupe de « rebelles » et a passé six ans dans une prison de Zentan, où il a été condamné à la peine capitale. Cependant, en juin 2017, il a été libéré dans le cadre d’une loi d’amnistie votée par la Chambre des Représentants. Aujourd’hui, le fils de 48 ans du dirigeant charismatique de la Libye conserve de l’influence et des ambitions politiques, sans cacher son intention de revenir au pouvoir. Ayant une brillante éducation et une grande expérience dans la politique (son père l’impliquait activement dans les affaires de l’État), Saïf est le plus puissant adversaire de Fathi Bashagha et de tous les autres politiques en Libye, ses partisans et ses adversaires en sont conscients.
Il s’est doté du soutien de l’Égypte et d’autres pays arabes. Sachant que la déclaration des Italiens en a surpris plus d’un : ils ne sont pas opposés à l’arrivée au pouvoir du fils Kadhafi à l’issue des élections. La Russie était également prudente et n’excluait pas qu’à terme il puisse diriger le pays. Et surtout la tribu Kadhafi retrouve progressivement son influence d’antan dans le Sud du pays et rétablit le contact avec les tribus libyennes à l’Est. Après dix ans de guerre civile les Libyens commencent à comprendre que les années 1980-1990 étaient une époque d’or pour leur pays.
Quant aux adversaires de Saïf al-Islam Kadhafi, la France s’y oppose absolument, alors que l’enquête s’y poursuit concernant un pot de vin que Nicolas Sarkozy aurait reçu de la part de Mouammar Kadhafi pour sa campagne électorale. Cette perspective est également mal vue par la Turquie, le Qatar et certains autres pays, dont les États-Unis. Et qu’en est-il de l’ONU ?
L’attitude envers l’ONU en Libye même ne peut pas non plus être qualifiée de chaleureuse, et ce n’est pas dû seulement à la résolution 1973 du Conseil de Sécurité des Nations Unies du 17 mars 2011, qui a autorisé la destruction de l’État indépendant prospère. Nombre de Libyens sont persuadés que l’ONU n’est qu’un instrument entre les mains de ceux qui veulent s’emparer des richesses du pays. En l’absence de pétrole en Libye, la guerre n’aurait pas eu lieu. D’où les incidents en permanence : il suffit de rappeler l’explosion d’une voiture piégée à Benghazi le 11 août 2019, qui a tué trois collaborateurs internationaux de l’UNDSS, Département de la Sûreté et de la Sécurité. Pas étonnant que le siège de la mission se trouve en Tunisie.
Les perspectives sont floues. Certains experts pensent que les élections du chef du nouveau gouvernement en Libye pourraient être sabotées avant même qu’elles ne commencent, avec une perspective de reprise des activités militaires ou d’éclatement du pays. Dans les deux cas cela engendrerait de nouvelles victimes et destructions. La seule chose qui ne fait aucun doute, c’est la prolongation du mandat de la mission de l’ONU créée le 16 septembre 2011 initialement pour une durée de trois mois.
source : http://www.observateurcontinental.fr/
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