Linda Silas est infirmière et présidente de la Fédération canadienne des syndicats d’infirmières et infirmiers qui représente près de 200 000 infirmières, infirmiers, étudiantes et étudiants en sciences infirmières du pays.
Le 3 novembre 2020, l’Agence de la santé publique du Canada (ASPC) a mis à jour ses directives sur les voies de transmission du virus COVID-19 afin de tenir compte de sa transmission potentielle par aérosols. Même si cela a fait peu de tapage, cette mesure importante a été prise pour répondre aux mois de pression exercée par les syndicats et les défenseurs des soins de santé qui ont fortement encouragé l’ASPC à tenir compte des données scientifiques récentes sur la transmission possible du COVID-19 par voie aérienne.
Bien que nous accueillions favorablement le fait que l’ASPC ait récemment reconnu la transmission par voie aérienne du virus, le Canada aurait pu avoir de bien meilleurs résultats si seulement il avait tenu compte des leçons tirées de sa propre expérience du SRAS en 2003. À partir du moment où le virus a été découvert en sol canadien, le principe de précaution aurait dû orienter le plan d’action du pays.
Selon le principe de précaution, en l’absence de certitude scientifique sur le mode de transmission d’une maladie, nous devons privilégier la prudence et adopter des mesures préventives pour protéger les travailleurs de la santé et leurs patients.
Parce que le Canada n’a pas adopté une approche de précaution, les conséquences ont été déplorables pour les travailleurs de la santé. Pendant des mois, ils ont suivi les conseils du gouvernement dans leurs milieux de travail, prenant soin des patients présentant un cas suspect ou confirmé de COVID-19, se tenant à proximité d’eux pendant de longues périodes, souvent dans des unités sans ventilation adéquate.
Nous sommes présentement à un moment décisif. À la lumière de la transmission par voie aérienne du COVID-19, nous demeurons profondément inquiets parce que l’ASPC n’a pas mis à jour ses directives sur les équipements de protection individuelle et autres mesures de protection pour les travailleurs de la santé.
À la suite de la publication du rapport charnière de Mario Possamai, Vivre dans la crainte Comment le Canada a laissé tomber ses travailleurs de la santé par sa mauvaise gestion de la COVID-19 (résumé et recommandations en français), des dizaines d’experts du monde entier – y compris la Fédération canadienne des syndicats d’infirmières et infirmiers – ont signé une déclaration de consensus s’appuyant sur les principales recommandations du rapport. Parmi ces dernières, mentionnons celle selon laquelle les directives relatives à la sécurité des travailleurs de la santé devraient être élaborées en se basant sur le principe de précaution, comme principe fondamental, et avec la participation active des syndicats de travailleurs de la santé.
Parmi les autres signataires de la déclaration, mentionnons Lidia Morawska, Ph. D., et le Dr Donald Milton, coauteurs d’une lettre ouverte signée par 239 scientifiques de 32 pays, et envoyée à l’Organisation mondiale de la santé pour demander avec instance de reconnaître la transmission potentielle par voie aérienne du COVID-19 et d’adopter des mesures préventives pour limiter la propagation.
Au Canada, les travailleurs de la santé représentent près d’un cas sur cinq de COVID-19, soit environ le double de la moyenne mondiale.
Pendant que nous affrontons la deuxième vague, nous avons peu à gagner à pointer du doigt. Nous devrions, collectivement, intensifier les efforts pour protéger les travailleurs de la santé maintenant, et approfondir les leçons tirées de la première vague et des éclosions antérieures d’autres maladies.
À partir de maintenant, toute directive ayant un impact sur la sécurité des travailleurs de la santé doit être élaborée sur une base de précaution par les organismes de réglementation du travail, les syndicats de travailleurs de la santé et les experts en santé et sécurité. Ces décisions devraient constituer la base des directives sur la sécurité des travailleurs de la santé émises par les agences de la santé publique.
L’ASPC n’a pas encore promis de mettre à jour ses directives afin de recommander des protections contre la transmission par voie aérienne pour les travailleurs de la santé. Il est troublant de voir le manque continu de flexibilité de cette agence fédérale quand vient le temps de tenir compte des données émergentes de la science. Cela soulève des questions par rapport à l’approche de l’ASPC relative à la sécurité des travailleurs.
Le coût véritable de ces décisions se mesure au nombre d’infections et de décès chez les travailleurs de la santé et le public canadien qui ont accordé leur confiance à nos leaders et à nos experts de la santé publique pour les aider à traverser cette pandémie.
Il est essentiel de traiter les travailleurs comme des partenaires lors de prises de décisions ayant un impact sur leur sécurité. Il ne faut pas oublier ceci : la sécurité des patients dépend de la sécurité des travailleurs de la santé.
Au cours de la première vague, nous avons reçu les commentaires des travailleurs de la santé. Ils se sont sentis traités comme si leur vie ne valait rien. Sans protection adéquate, ils ont quand même plongé dans cette pandémie et risqué leur vie pour prendre soin des malades et stopper la propagation du virus.
Au moment où le Canada en avait le plus besoin, les travailleurs de la santé ont été là pour nous. Nos décideurs ne peuvent pas les laisser tomber une deuxième fois. Pendant que la deuxième vague prend le pays d’assaut, il faut agir immédiatement pour éviter un plus grand nombre de décès et des blessures plus graves.
Il reste très peu de temps pour agir.
L’Agence de la santé publique du Canada doit, immédiatement, revoir ses directives sur la prévention et le contrôle des infections chez les travailleurs de la santé, et exiger des précautions contre la transmission par voie aérienne pour tous ceux et celles dispensant des soins aux patients présentant un cas suspect ou confirmé de COVID-19.
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