Nous avons rencontré Carl, l’homme derrière le projet de fanzine/artzine Cyclopean Sea Lions from Hyperborea flying above the Abyss of Times.
R/ C’est un véritable incendie qui traverse votre premier numéro. Quelle est la flamme qui anime votre projet ?
Carl/ Cette flamme peut être représentée comme l’expiration immémoriale de ceux qui circulent dans les couloirs les plus profonds du Monde, animés par la volonté brûlante de détruire ce qui a été érigé en principes immuables au fil des âges. Le symbole de la Flamme est essentiel d’ailleurs dans ce projet car il représente le mieux ce que mérite l’époque : le feu purificateur, afin de faire tomber les illusions qui servent de « réalité » à nos contemporains. C’est par sa nature à transfigurer tout ce qui touche l’instant d’un incendie que cet élément me semblait être le vecteur le plus propice pour représenter les arts alternatifs / subversifs dans ce projet de fanzine.
On se situe (je suis seul au départ mais je travaille en collaboration avec ma compagne sur le prochain numéro) bien loin des schèmes de la critique politique et d’autres formes de propagation de foutaises qui aspirent vers le bas, il s’agit là davantage de faire se rencontrer des artistes et rédacteurs inspirés, transgressifs, dans la perspective de proposer une source déviante des autres.
Une source qui mènerait à un lieu de recueil et de développement loin de la surface. Loin des « spotlights » de la TV-humiliation, de l’odeur grillée de l’huile de palme, du libéralisme aux mains de pétrole et des retards de la SNCF.
R/ L’aspect totalement « punk » est présent du titre à la dernière page. La provocation est pour vous une qualité ?
Crypto-punk, clairement, pour ce qui reste du « Punk » aujourd’hui…ses représentants n’ont rien en eux qui puissent provoquer un reflux gastrique ou ne serait-ce qu’un grincement de dents. Je pense que les derniers « Punks » au sens historique du terme étaient Seth Putnam d’ANAL CUNT et GG Allin.
Dans cette perspective-là, oui, j’apprécie beaucoup travailler avec les tripes, je laisse jaillir ce qui vient et souvent ça tâche. Mais tout ceci reste de l’apparat, l’écho qui s’étend à travers ce projet est un long cri provenant des entrailles de la Terre afin d’atteindre au milieu des ruines des strates plus élevées.
Le caractère insolant, arrogant et repoussant pour d’autres de la parure de ce fanzine n’est qu’un outil, je suis ravi qu’il parvienne à repousser, c’était un de mes objectifs premiers : c’est sélectif. Et le nom, justement, ésotérique pour beaucoup de lecteurs, a été composé au beau milieu d’une nuit, dans un état de conscience modifiée afin de représenter l’intrusion d’un certain cynisme jusqu’à l’éclatement, une explosion dans la linéarité du temps terrestre. Le tout formulé par des lions de mer géants (« cyclopéens »), car c’est improbable comme animal et sûrement bien plus « occulte » qu’un énième usage du symbole ophidien, un serpent ça ne survit pas longtemps sur la banquise.
Question provocation j’aurais pu choisir de m’aligner comme ces youtubeurs bien lissés, en rendant accessible mon contenu, assis sur un canapé à poser des questions aléatoires à des personnalités, en profiter pour faire un peu de marketing, un joli petit générique soigné, une bouteille de vin ouverte sur la table, les jambes croisées et un lien Tipeee. Mais est-ce que ce dont on a besoin au final n’est pas de se violenter, sortir de ses propres conditionnements , se rendre imprévisible à soi-même, accepter et accueillir du contenu douloureux et inhabituel ? Ce qui est dit « provocation » est relatif à celui qui se refuge dans une réalité confortable, ne lui permettant pas de se projeter au-delà de ce qu’il accepte de voir, d’où justement ce phénomène de « choc ». L’impact face au mur. Et moi j’aime bien les impacts.
R/ Vous avez réussi à donner un panorama quasi-complet de la créativité alternative ( graphique, musicale, littéraire et idéologique) . Quelle est votre conception de l’art ?
Tout d’abord je te remercie, ce sont des mots encourageants pour l’avenir du projet. Notre conception de l’art est sensiblement différente en fonction des contributeurs, mais l’idée de concevoir de façon subversive ou seulement « parallèle », est quant à elle semblable à chacun de nous, ça ne fait aucun doute je pense, bien que je ne veuille pas parler pour les autres. Je pense par exemple qu’il y a un fossé entre ce que propose les photographies conceptuelles de DVW Photographie / Cécile E. et les collages de Crèves-Remparts Illustrations, aussi bien qu’entre les groupes SATURNUS TERRORISM et RESERVA ESPIRITUAL DE OCCIDENTE, mais rassemblés entres ces pages on y perçoit de suite un socle commun. Les articles, dont celui que tu as écris sur le Bhagavad Gita, permettent aussi d’apporter un « liant » à cet ensemble.
La direction artistique empruntée par le fanzine est donc en adéquation avec l’esprit de ce dernier décrit plus haut, à savoir ce jeu des contrastes entres ténèbres lumineux et lumières sombres, alimentée par des déterminations flamboyantes (je pense que j’aurais passé en revue tout le champ lexical du feu dans cette entrevue, haha). Idéologiquement, comme dit précédemment on ne rentre pas dans le jeu stupide des politiques partisanes et on sort clairement des clivages – un peu comme Rébellion Magazine d’ailleurs – on ne représente personne et on veut que personne ne nous représente. On voit le monde à travers des yeux d’européens, car il n’en est pas autrement, mais ce que l’on vise à atteindre se situe au-delà de la chair.
En ce sens, il s’agit davantage d’écologie profonde, de biocentrisme et de ré-ensauvagement, que de politique, tout cela loin des sublimations romantiques niaises des néopaïens et de l’image d’une nature par l’Homme, c’est la nature dans sa réalité la plus crue que nous voulons, la boue, les biotopes grouillant dans les carcasses, les dauphins qui s’accouplent avec une rare violence, les hiboux qui défèquent des ossements par la bouche, les toxines de défense de certaines plantes,…
R/ On a l’impression que ce numéro est vraiment une photographie qui fige à un instant T une scène artistique en mutation constante. Vous aviez cette idée de collections d’éléments volatiles lors de la réalisation du fanzine ?
Avant de collaborer avec toute cette nébuleuse de contributeurs, j’avais des amis et d’autres connaissances avec qui j’échangeais régulièrement, étant également musicien et impliqué dans la production de groupes / projets. Donc oui, l’idée était de leur permettre une humble diffusion via le fanzine, et vu qu’on avait des visions artistiques et une critique de l’époque similaire, on a tout de suite mis en place nos collaborations !
A savoir en premier lieu avec le Collectif Hydrae autour duquel se rattache le fanzine et nos projets musicaux / extra-musicaux de Montpellier, puis le Tombeau des Muses, Maquerelle, Theusz et Aktion Vide. Ça donne donc une impression assez clanique et des codes qui gravitent autour de thèmes moteurs, sans pour autant devenir répétitif et chiant à lire. La définition de photographie du moment est intéressante, car le fanzine est né aussi du désir de « figer » sur papier des artistes et rédacteurs en un lieu qui leur permette de rassembler leur pulsion artistique avec leur vision du monde sur un format intemporel. »
R/ « Vous évoquez les scènes Black Métal et Dark Folk. L’esprit novateur souffle encore pour vous dans ces mouvances artistiques dont les codes sont devenus un peu étouffants pour l’originalité ?
Indéniablement, ces deux scènes bien distinctes n’ont jamais été aussi prolifiques ! Après le tout reste à savoir si ces tendances à l’ouverture de ces scènes pourtant « hermétiques » à l’origine ont des impacts négatifs ou bien au contraire, pour ça c’est à chacun de l’interpréter à sa manière. Pour ma part je m’attache à une production ou à une œuvre pour ce qu’elle est, ce que je ressens à travers elle, c’est avec cette approche définitivement instinctive que je sélectionne le contenu du fanzine.
Bien trop d’auditeurs et de lecteurs ont tendance aujourd’hui à porter un jugement unilatéral sur une œuvre de par le profil de son public ou la vie privée de tel ou tel musicien, je pense que c’est une divagation handicapante. Si demain je pouvais rédiger une interview approfondie à la fois de $uicideboy$ et d’un obscur label de cassettes sans plate-forme de vente (Mahamvantara Arts Records) à la suite par exemple, je le ferai sans scrupules, si les interviews peuvent apporter une pierre supplémentaire à l’édifice. Le tout étant de conduire l’entrevue de façon à déceler cette part d’originalité en l’exposant par écrit, bien trop de webzines se limitent à poser des questions standards qui ne permettent pas de mettre à nu l’univers artistique et les conditions pour y arriver. C’est un peu le café-philo, j’aime l’idée de discuter avec les intervenants, c’est plus enrichissant que de se cantonner au système des questions classiques !
R/ Pourquoi avoir fait le choix de présenter une partie en anglais ? Voulez-vous faire le lien avec une communauté plus large que l’hexagone ?
L’orientation en anglais est la suite-logique d’interventions étrangères d’une part, puis un choix personnel de ne pas traduire d’une autre. J’ai fait ce second choix car je n’avais pas suffisamment de temps aménagé pour la traduction – une organisation carrément anomique faut dire ce qui est – ayant été seul sur l’organisation intégrale du projet, il n’y a qu’à voir les coquilles et fautes de frappes en français, ce n’est pas non plus du sumérien, mais heureusement que j’ai des lecteurs indulgents, haha.
Pour ce qui est de l’idée de « communauté » je cherche en effet à rassembler (comme précisé plus haut) des idées sur le Monde qui trouvent écho dans ce fanzine, dans un objectif de transgression des barrières géographiques. J’ai travaillé avec vous, mais j’ai aussi travaillé (et je retravaillerai) avec le N.A.M. / Troy Southgate et ce qui s’annonce dans les prochains dessinera avec plus de précision encore les contours du projet.
R/ Je te laisse prononcer le mot de la fin et nous en dire plus sur la suite du projet !
Merci à toi pour ces questions, j’étais déjà passé par Rébellion avec Solar Asceticists Productions, c’est toujours un véritable plaisir ! Le deuxième chapitre sera plus long en matière de contenu (approximativement douze pages supplémentaires), on a réussi à obtenir quelques exclusivités, plus d’articles (dont trois en français) et il y aura bien entendu une édition spéciale avec un « artzine », voire peut-être deux, on met en place tout ça en ce moment. Je tiens encore à remercier ceux qui ont soutenus le projet, dont Rébellion, le premier chapitre a été littéralement « épuisé » en à peine plus d’un mois. À l’heure où j’écris BURIAL HEX vient de confirmer sa présence pour le deuxième volet.
Entretien réalisé par Louis Alexandre
Contact : carledelweiss@gmail.com
Production dispo : https://akashaascend.wordpress.com/
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