La formation accélérée des « préposés en CHSLD », quel bilan en tirer?

L’auteure est présidente de la Fédération des syndicats de l’enseignement

La situation de crise que nous vivons a mis en lumière l’importance qu’il faut accorder aux personnes travaillant dans les services publics en santé et en éducation. Il y a eu une prise de conscience quant à leur valeur, mais aussi du danger de rester en sous-effectifs. On parle maintenant ouvertement de pénurie dans plusieurs professions à prédominance féminine qui prennent soin des autres : il manque notamment de préposées aux bénéficiaires, d’infirmières et d’enseignantes. Mais arrêtons-nous pour le moment à la formation accélérée pour devenir « préposé aux bénéficiaires en CHSLD » et à la réalité des enseignantes qui l’ont prodiguée.

Pour répondre aux besoins urgents de nouveaux préposés aux bénéficiaires en CHSLD, le gouvernement a instauré de courtes formations professionnelles. L’objectif était louable, le caractère exceptionnel et pressant de la situation exigeait une réponse rapide. La population a répondu à l’appel du premier ministre par solidarité, mais aussi parce que les conditions offertes étaient intéressantes. On a compté plus de 80 000 candidatures de gens de cœur, des personnes intéressées à suivre cette formation rémunérée à 760 $ par semaine pour une durée de 12 semaines, et ce, dans le but de gagner les 49 000 $ par année promis pour du travail à temps complet. À titre comparatif, c’est davantage que pour une enseignante ou un enseignant qui commence sa carrière après un baccalauréat de 4 ans. Comme quoi des conditions de travail intéressantes peuvent vraiment attirer des gens dans une profession. On a pu ensuite opérer une sélection rigoureuse des 10 000 candidatures qui semblaient les plus motivées et adaptées à ce travail.

Il faut cependant souligner que les conditions d’apprentissage et d’enseignement n’étaient pas toutes au rendez-vous. Pour répondre à l’urgence, on a coupé la moitié des heures du programme (375 heures au lieu de 870 heures) pour offrir une attestation d’études professionnelles plutôt qu’un diplôme. La moitié de la formation n’a donc été ni donnée ni reçue, ce qui restreint les personnes formées à ne travailler qu’en CHSLD, en plus d’avoir limité la maîtrise des compétences. On a constaté que des notions étaient manquantes lorsque les élèves sont entrés dans les milieux de travail pour compléter leur apprentissage.

De plus, le programme n’était pas prêt lorsque le cours a commencé, et le matériel pédagogique était insuffisant. Ensuite, une partie importante du programme a été offerte à distance, ce qui n’est pas la norme pour un métier à la fois relationnel et physique. Enfin, on a remplacé de l’enseignement en milieu de travail avec un ratio de 1 enseignant pour 6 élèves par un stage traditionnel avec 1 enseignant pour 20 élèves. Pour compenser, les élèves étaient jumelés à une préposée d’expérience. Cette dernière n’était pas toujours consentante et souvent déjà débordée, en plus d’être peu ou pas compensée pour cette surcharge de travail. Certains élèves ont même été jumelés avec des préposés travaillant pour des agences qui ne connaissaient pas les patients et le milieu de travail. Le tout a été donné en format intensif, et certains employeurs ont même exigé que les élèves travaillent une fin de semaine sur deux comme aide de service pendant la formation théorique. Ces conditions difficiles expliquent le départ de certains élèves en cours de formation.

C’est le professionnalisme des enseignantes en santé qui a fait la différence, mais ce ne fut pas sans conséquence. La charge de travail des profs était décuplée avec un programme à implanter, une partie d’enseignement à distance à préparer et les difficultés rencontrées avec les stages. C’est dire combien les profs ont été bousculés. Plusieurs d’entre elles avaient d’ailleurs été « redéployées » ce printemps, parfois obligatoirement, dans le réseau de la santé. Malgré l’épuisement, elles ont sacrifié leurs vacances d’été et répondu présentes. Dans un contexte de pénurie, plusieurs nouvelles ont joint les rangs, mais sans formation ni expérience en enseignement. La situation a été particulièrement difficile dans les régions où il y avait un nombre élevé de personnes à former en même temps. Une prime salariale de 10 % a été accordée afin de s’assurer d’avoir les effectifs nécessaires pour répondre à la situation, mais malheureusement, certaines ont quitté la profession à la suite de cette expérience.

La nouvelle attestation d’études professionnelles (AEP) Soutien aux soins d’assistance en établissement de santé est offerte de nouveau cet automne. On vise les personnes ayant répondu à l’appel du printemps passé et qui travaillent déjà comme aide de service en CHSLD. En parallèle, les détenteurs de l’AEP devront terminer, dans les prochaines années, leur formation menant au vrai diplôme d’études professionnelles (DEP) pour avoir le droit d’exercer dans l’ensemble du réseau public, à l’hôpital ou à domicile.

 Malgré les réussites qui ont pu accompagner la formation d’urgence donnée cet été, nous devons faire le bilan que cette formation-pansement incomplète et temporaire ne doit pas servir de modèle pour répondre aux autres pénuries d’emplois. On ne peut construire notre formation professionnelle sur ce modèle. Il faut pouvoir offrir des formations pleinement qualifiantes pour chaque personne qui en a les capacités et permettre ainsi d’aller chercher un diplôme complet pour progresser dans son métier et dans la vie.

Nous dressons ici un premier bilan de cette expérience. D’un côté, nous constatons les conditions favorables qui peuvent être réunies : bourses d’études importantes, salaire d’entrée attrayant, appel à la population menant à des inscriptions massives et permettant une sélection importante des candidates et candidats; d’un autre côté, il faut éviter de reproduire les conditions défavorables qui ont été vécues : formation construite à la dernière minute, durée coupée de moitié, formation à distance d’un métier avec de fortes composantes sociales et manuelles, conditions de stage difficiles.

Cette expérience nous apprend que, si une formation veut contrer une pénurie, il faut miser sur une publicité efficace, avec des conditions d’études et de travail avantageuses. On ne doit pas attendre qu’il y ait crise pour agir. Dès maintenant, le gouvernement doit mieux faire connaître les différents programmes de la formation professionnelle aux jeunes et aux adultes. Il doit aussi leur donner les conditions pour les y attirer et favoriser leur réussite. Dans un contexte de pénurie, c’est là un levier important pour une relance économique sur l’ensemble du territoire.

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