Alors que la Houppette blonde et Joe l’Indien se crêpent le chignon pour savoir qui occupera le Bureau ovale, le Grand jeu continue de tourner à plein régime.
Nous n’allons pas nous appesantir sur les élections américaines, d’autant que, contrairement à ce que serine notre bonne MSN tellement impatiente de voir Donaldinho déguerpir, le vainqueur final ne devrait être connu que dans plusieurs semaines. Les fraudes Démocrates sont avérées dans le Michigan et le Wisconsin, et si les Etats-Unis ne sont pas encore tout à fait devenus une république bananière, l’invalidation de l’élection dans ces deux Etats devrait logiquement suivre.
Le fidèle lecteur aura cependant noté qu’à la différence d’il y a quatre ans, nos Chroniques n’ont point fait de prédiction pour cette année et sont, de manière générale, restées assez indifférentes au show électoral outre-Atlantique. La faute en incombe partiellement au Donald lui-même qui, sous pression constante durant son mandat, n’a pas pu ou pas voulu « drainer le marais » comme il l’avait pourtant promis.
Sa conversion relative au Deep State, à une de ses franges plus exactement car celui-ci est très divisé comme on l’a vu, a déçu certains de ses plus fervents supporters. Le dégrisement a commencé il y a bien longtemps, dès avril 2017, lorsqu’il fit mine de croire au false flag chimique de Khan Cheikhoun. Ont suivi l’avalanche de sanctions contre l’Iran, le Venezuela, la Syrie, la Chine et même le Nord Stream II. Qu’il y ait été poussé ou qu’il ait pleinement participé au mouvement importent peu finalement. Pour quelqu’un qui devait bousculer la politique étrangère impériale, le bilan est bien maigre…
Aussi, ne sera-t-on pas étonné que, vu de Moscou, le résultat de l’élection américaine laisse totalement froid, à la fois dans les sphères dirigeantes et parmi la population, les deux-tiers des Russes pensant que ça ne fera aucune différence.
Le Kremlin a de toute façon d’autres chats à fouetter en ce moment…
Dans le Caucase, les Turco-azéris sont cette fois entrés de plain pied dans le Nagorno Karabagh ce qui, rappelons-le, n’était pas encore tout à fait le cas il y a quelques jours :
Non seulement l’Arménie stricto sensu ne court aucun danger, sa sécurité étant officiellement assurée par Moscou et officieusement par Téhéran. Mais, en forçant un peu le trait, nous pourrions même dire que le Haut-Karabagh non plus, en tout cas jusqu’à maintenant.
Pour le comprendre, une carte :
Revendiqué comme historiquement arménien, le Haut-Karabagh en soi (en marron) ne représente que la moitié du territoire occupé par les Arméniens au terme de la guerre de 1988-1994. L’autre partie (de couleur orange sur la carte), qui se situe entre l’Arménie et le jardin noir, a été conquise « en passant », afin de parvenir à la région si chère au cœur d’Erevan.
On le voit, la géographie est inextricable mais un point d’importance est à relever. C’est pour l’instant cette zone, appelons-la zone orange, que les Turco-azéris ont partiellement reprise au sud. Techniquement parlant, mis à part quelques kilomètres carrés, le Haut-Karabagh n’a pas été envahi. Pour le moment, Bakou n’a fait que remettre la main sur une partie du territoire que tout le monde, y compris les Arméniens (!), reconnaît comme faisant partie de l’Azerbaïdjan.
La question à un million est : Bakou et son parrain sultanesque s’en contenteront-ils ?
La réponse vient de tomber : non. Les Turco-azéris étaient tout à fait sérieux quand ils parlaient de reprendre tout le Haut-Karabagh et pas seulement les zones tampon que tout le monde reconnaissait appartenir à l’Azerbaïdjan. Ils sont désormais tout près de la ville historique de Chouchi où les combats font rage :
Et là, ça commence à poser un sérieux problème au Kremlin en terme d’image. Si le traité de défense liant Moscou et Erevan ne concerne que l’Arménie stricto sensu et non le Nagorno Karabagh, c’est maintenant une région historiquement arménienne qui est attaquée et non quelques territoires tampon à peu près déserts.
Le prestige croissant dont a bénéficié la Russie ces dernières semaines en Arménie risque de retomber au fil de l’avance turco-azérie dans le cœur de cette terre si passionnément revendiquée par les Arméniens. Et, malgré sa neutralité, elle ne gagnera aucun crédit en Azerbaïdjan qui n’a pour l’instant d’yeux que pour ses chers ottomans…
Les mauvaises langues commencent déjà à murmurer que Poutine a une nouvelle fois été « trop gentil » avec le sultan, même si le Kremlin est en réalité prisonnier de son respect des traités et du droit international dans cette affaire inextricable. Il semble par contre, mais c’est à confirmer, qu’Ankara ait cessé le transfert de ses proxies syriens dans le Caucase après le net avertissement russe. A suivre…
En Moldavie, sans surprise, le premier tour a vu la victoire des deux favoris (le pro-russe Dodon et la pro-occidentale Sandu) qui se retrouvent en lice pour le second tour. Il y a deux semaines, nous avertissions :
Washington qui aurait justement envoyé des équipes « coloristes » à son ambassade de Chisinau pour inciter l’opposition à refuser le résultat des élections et déclencher des manifestations de masse.
Bingo ! si l’on en croit les très inhabituels mouvements aériens de l’empire dans les cieux balkaniques, transportant 150 agents de sociétés militaires privées vers la Bulgarie et la Roumanie, voisines de la Moldavie. Le 15 novembre, jour du second tour, risque d’être sportif…
Les résultats seront à nouveau serrés, même si le premier tour semble indiquer une avance pour les partis pro-russes (Dodon + Usatîi) face aux partis pro-européens (Sandu + Nastase) :
Envolons-nous au Kirghizstan où notre analyse a de nouveau été confirmée par les faits. Le 19 octobre, nous écrivions :
Le Pompée du Potomac a-t-il totalement jeté l’éponge ? Pas tout à fait si l’on en croit le judicieux Bhadrakumar, qui voit dans les événements kirghizes la main de tonton Sam tentant une énième « révolution colorée » dans les steppes. Vous l’avouerais-je ? votre serviteur est pour sa part beaucoup plus circonspect sur ce qui s’est vraiment passé. La conclusion, par contre, est la même : game over pour le Washingtonistan.
D’après l’ex-diplomate indien, les élections contestées du 4 octobre, ont provoqué une insurrection alimentée par les déclarations de l’ambassade US et des habituelles officines type Radio Liberté. C’est là que je diverge : j’ai du mal à y voir autre chose qu’un simple suivisme des événements, teinté de bienveillance certes, mais qui ne va guère au-delà, d’autant que l’influence américaine s’est largement érodée et n’est plus l’ombre de ce qu’elle était au temps des Tulipes révolutionnaires de 2005…
Toujours est-il que, les voyages de l’envoyé du Kremlin aidant, un nouveau personnage a été propulsé en avant et a mis tout le monde d’accord, remplaçant au pied levé le président qui, à la surprise générale, a démissionné après avoir assuré qu’il ne le ferait jamais. Le nouvel homme fort, Sadyr Japarov de son doux nom, n’était pas du tout attendu par l’ambassade états-unienne qui se lamente de la prise du pouvoir par « un gang criminel ». Et Bhadrakumar de conclure que la Russie a court-circuité comme à la parade la tentative de putsch de Washington.
Que cette tentative soit réelle ou non, une chose est sûre : l’ours a un entregent certain dans la région, contre lequel les Américains ne peuvent tout simplement pas lutter.
En plein dans le mille. Le nouveau pouvoir s’est empressé de confirmer que la politique étrangère kirghize ne varierait pas d’un iota. Alors que Japarov affirmait haut et fort que la coopération avec Pékin était « l’une des plus grandes priorités » de Bichkek, son Ministre des Affaires étrangères expliquait quant à lui que la Russie demeurait « un partenaire majeur et un allié ». Dans la steppe, l’ours et le dragon peuvent dormir sur leurs deux oreilles…
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