McGill et le statu quo raciste

McGill et le statu quo raciste

L’auteur est Licentiate and Bachelor of Music 70 de McGill

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Après avoir passé 17 ans à enseigner l’histoire de l’art et de l’esclavage à l’Université McGill, Charmaine Nelson, l’une des seules professeures noires de l’établissement et titularisée, a remis sa démission le 30 septembre dernier pour entrer au Nova Scotia College of Art and Design. Dénonçant inlassablement le passé du fondateur de l’institution, James McGill, et le silence de l’université à ce sujet, seule professeure noire d’histoire de l’art au Canada en 2001 à l’université Western, elle affirme l’être encore en 2020. Il faut l’entendre dans sa vidéo expliquer avec calme les nombreuses raisons de sa démission, où elle reprend d’ailleurs (ou les aurait-elle énoncées en premier?) nos solutions par rapport aux statues de personnages racistes controversés.

Une vidéo institutionnelle censée célébrer les 50 ans de la promotion 70 à laquelle j’appartiens, inclut deux discours de collègues aussi éteints que leur profession de commerce en période covidienne. Les jeunes étudiantEs d’Effusion a Cappella y chantent une belle sélection divertissante, mais hélas aussi désincarnée que le reste de l’hommage mcgillois, que j’ai regardé avec un amusement teinté de consternation. Au début, les remerciements de la chancelière Fortier à l’égard des « divers peuples autochtones Anishinabeg et Handessosaaunee ayant enrichi de leur présence ce territoire qui accueille aujourd’hui bla bla…» ne répond que partiellement à la professeure Nelson à l’effet que James McGill, dont la statue est très menacée, a exploité des esclaves autochtones et noirs, ces derniers « oubliés » par la vidéo. Notons que le drame historique de François Girard, Hochelaga, terre des âmes 2017, se déroule en partie sur le terrain de football des Redmen dont on reporte sans cesse le changement de nom, tandis que l’Orchestre de chambre McGill a opportunément changé son nom en Orchestre classique de Montréal en 2019. En cette année 2020, on ne compte plus les articles, y compris une douzaine de ma plume, en hommage à Black lives matter et aux Wet’suwet’en, aux Mohawks, aux Inuïts et aux Innus persécutés respectivement par la Gendarmerie Royale du Canada, par la Sûreté du Québec (X 2!) et par le personnel soignant d’un hôpital de Joliette.

On ne peut passer sous silence une troisième vidéo d’une heure, animée par trois musulmans sympathiques, car pourquoi diable avoir permis cette scandaleuse intrusion religieuse dans un document généraliste d’une institution de haut savoir scientifique et humaniste? Au moment où je l’ai visionnée, elle était encore attachée en importance égale à celle du Golden Jubilee 1970!

Pour le 200e anniversaire l’an prochain, je n’hésiterai pas à proposer une idée originale, neuve et audacieuse à laquelle sûrement personne n’a jamais pensé : que l’Université McGill reconnaisse enfin au début de son discours de célébration qu’elle est située en territoire …québécois. Imaginez le scandale!

Promo McGill 1970 as imagined by a godamm frog

Voici maintenant mon hommage personnel 2020 rédigé en français, de sorte que les 4/5es des autres promus soient incapables ou refusent de le lire et puissent repartir sans être troublés dans leur inconscience wasp entretenue par leur alma mater retranchée du peuple.


Voici ma propre vision de ce que pourrait avoir été une cérémonie festive sur la promotion McGill 70; je l’aurais dédiée à Douglas « Coco » Leopold car il captait l’essence des années 70, comme semble le démontrer sa notice dans Wikipédia :

Né à Westmount le 1er octobre 1943, il étudia à l’Université McGill en science politique et en musique, puis à La Sorbonne à Paris. À son retour à Montréal, il travaille au Centre d’Art Saidye Bronfman ainsi que pour Les Grands Ballets Canadiens. Ses aptitudes en communication et en relation publique l’amènent à travailler pour Régine Zylberberg et ses franchises « Chez Régine » de bars-discothèques internationales. Présent à la Radio de CKMF 94,3 Montréal de 1979 à 1988, gay et affranchi, il portera comme surnom « Coco », à cause de sa manière d’utiliser ce terme pour désigner affectueusement ses amis. D’ailleurs, il se nommera ainsi pour un caméo dans le téléfilm québécois Scandale en 1982 auprès des acteurs Nanette Workman, Rose Ouellette, Jean-Guy Moreau et Sophie Lorain. Il sera brillamment incarné par Paul Doucet dans le film Funkytown réalisé en 2011 par Daniel Roby, gagnant du Prix Génie de la meilleure direction artistique [film qu’il aurait probablement détesté pour la vulgarité matérialiste avec laquelle on le décrit, lui si cultivé].

Fin des années soixante marquées par le racisme

La fin des années soixante est marquée au Québec par d’immenses manifestations pour la survie du français au Québec, celles contre le bill 63 auxquelles je participe jusqu’à Québec (le gouvernement de l’Union nationale n’avait pas encore appris à traduire bill par projet de loi) et une autre pour un McGill français. Le 28 mars 1969, le collectif Opération McGill tient la plus grande manifestation au Québec depuis la Seconde Guerre mondiale (qui sera dépassée en nombre dès l’automne). Depuis belle lurette, des étudiants de McGill dénonçaient le caractère colonial de leur institution :

 «Queen Victoria is dead and McGill can no longer function as an isolated English-Canadian bastion, run by English-speaking financiers to produce English-speaking businessmen».

En 1969, la situation se corse grâce à «l’affaire Gray», du nom du jeune chargé de cours en science politique de 24 ans ayant formé dès novembre 1967 un groupe de 150 étudiants et professeurs, appelé Students for a Democratic University (SDU). Julius Grey écrira en novembre 1969 un chapitre pour Canadian dimension où il décrit Stanley Gray comme « un chargé de cours expulsé de son département faute d’en arriver à un compromis avec son employeur sur ses activités politiques, dont celle de la Combined Universities Campaign for Nuclear Disarmament », avec Dimitri Roussopoulos.

On lit qu’entre 10 et 15 000 manifestants avaient pris la rue Sherbrooke pour se diriger vers l’entrée principale du campus, où environ 3 000 personnes les attendaient. Craignant que cette manifestation tourne à l’émeute, plus d’une centaine d’agents de la Police de Montréal déployés sur les lieux, en plus de quelque 275 agents de sécurité, sont chargés de protéger les accès à l’université avec 150 agents de la brigade antiémeute de la Sûreté du Québec appelés en renfort. La manifestation houleuse (41 arrestations, 18 blessés emmenés en ambulances) confrontent des manifestants qui fracassent des vitrines, allument des feux à divers endroits et scandent « McGill aux Québécois » ou « McGill en français » à des contre-manifestants qui chantent Ô Canada et God Save the Queen. «Rendu devant McGill, je me suis dit que jamais je n’avais participé à une manifestation aussi grosse, si tendue, électrisée. La tension venait de la peur, on redoutait des affrontements violents. On voyait des centaines de policiers en rangs serrés devant McGill. Très peu de gens voulaient de la casse, mais nous avions tous les poches pleines de mouchoirs pour se protéger au cas où les policiers lâcheraient des gaz lacrymogènes», se rappelle Mark Wilson, à l’époque étudiant-rédacteur en chef du McGill Daily qui avait appuyé la manif par une édition spéciale à 100 000 exemplaires. Peu convaincu pour ma part de la justice intrinsèque de cette cause non encouragée par mes professeurs draftdodgers américains unilingues anglophones ni même par René Lévesque et le nouveau Parti Québécois qui lui reprochaient son intolérance et pour qui je faisais du porte à porte. Je m’employais davantage à manifester contre la guerre au Vietnam ou contre les injustices racistes à l’université Sir George William dénoncées par des manifestants noirs qui en avaient marre d’être victimes d’un racisme qui affectait jusqu’à leurs résultats : ces étudiants avaient protesté avec hélas trop peu de solidarité de la part de leurs collègues de McGill, en occupant les locaux informatiques. Les médias ont préféré souligner les deux millions de $ de dommages, plutôt que leur cause antiraciste, encouragée par des Québécois allumés, dont Pierre Vallières auteur du livre stupidement censuré cet été à Concordia, Nègres blancs d’Amérique, écrit en prison auprès de ses « frères » noirs à New York.

Le contexte aux États-Unis, c’étaient l’emprisonnement d’Angela Davis et, suscitée par le FBI dirigé par le raciste John Edgar Hoover, la mort du révérend Martin Luther King, ainsi que celles de nombreux militants des Black Panthers. 52 ans plus tard, leur réputation reste toujours détruite par la propagande, même s’ils furent appuyés par des Blancs telle l’actrice décédée cette année Shirley Douglas, première femme de Donald Sutherland, mère de Kiefer et fille du père de l’assurance-santé au Canada, Tommy Douglas, ainsi que par la grand-mère Suzanne Meloche de l’Artiste pour la Paix de l’année 2012, Anaïs Barbeau-Lavalette : son succès littéraire québécois la femme qui fuit a suivi de près le film remarqué au Festival de films de Berlin, Inch Allah, sur un scénario de Wajdi Mouawad.

L’année des terrorismes 1970

1970 marque l’année tardive où je découvre la poésie de l’instant vécu de Bob Dylan mais éprouve la mort de mon héros instrumentiste Jimi Hendrix et de Janis Joplin, la meilleure chanteuse blanche de blues (sans qu’elle fût pour autant accusée d’être raciste en usurpant un domaine étranger, cf SLAV de Robert Lepage). Ce furent aussi les morts héroïques d’étudiants courageux ayant entrepris une manifestation sanglante contre la guerre du Vietnam à l’Université d’État de Kent, dans l’Ohio, dont les photos sont désormais affichées sur la plateforme en ligne de l’université pour commémorer le 50e anniversaire de l’événement : voilà une digne et authentique célébration commémorative !

En mars et avril 70, mes occupations comme organisateur en chef dans Ville Mont-Royal (comté Outremont) pour le Parti Québécois de René Lévesque devinrent à temps plein, ce qui m’amena à foxer mes derniers mois de cours à McGill pour organiser de futiles équipes de porte à porte qui se retrouvèrent souvent au poste de police. Mon souvenir de cette période est marqué par le terrorisme manipulateur antidémocratique forgeant la crise des fourgons de la Brink’s, amplifiée par des médias complices de ce misérable chantage économique pour effrayer les Québécois tentés d’accomplir leur destin. Le Devoir remontera quarante ans plus tard avec Mario Beaulieu et Christian Gagnon la piste de cette supercherie que je qualifie de terroriste, jusqu’à sa responsabilité attribuée au gouvernement fédéral de P.E. Trudeau, qui avait de plus rejeté «le rapport de la commission Laurendeau-Dunton, selon lequel 83% des administrateurs et cadres du Québec sont anglophones, les francophones ont un revenu moyen inférieur de 35 % à celui des anglophones et arrivent au 12e rang dans l’échelle des revenus selon l’origine ethnique, tout juste devant les Italiens et les Amérindiens ». La Brink’s sera une autre raison majeure évoquée par Jacques Rose pour tenter de justifier l’injustifiable contre-terrorisme du FLQ : son témoignage est dans le film de cette année, les Rose de Félix Rose, dont la grand-mère est un personnage magnifique, tandis que son père Paul fut accusé du meurtre du ministre Laporte, alors qu’il était absent le jour où sa tentative d’évasion causa sa mort.

 

Débuts discrets avant de partir 9 ans sur divers continents

En 1970, je donnais mes derniers concerts de piano salle Redpath : je me souviens d’un concerto de Beethoven dirigé par Alexander Brott où des auditeurs-étudiants n’avaient trouvé de place que sous mon piano, vu la salle archibondée ameutée par le travail publicitaire exceptionnel de Coco. J’avais refusé son offre enthousiaste de diriger ma carrière jusqu’aux États-Unis, vu mon amour pour Nathalie Campeau fréquentée dans la maison de Paul-Émile Borduas (auteur du Refus global) couverte de toiles fabuleuses et surtout vu que j’estimais alors à 25% ma compréhension de ce que je jouais. J’éprouvais donc le besoin urgent de devenir professionnel sous d’autres cieux, exil que ma peine d’amour avec Hélène Le Beau précipitera : Nat et Hélène, plus brillantes que moi, sont en exils, l’une docteure et conférencière à Miami, l’autre écrivaine à Paris.

Divers concerts contemporains couronnés de succès ont malgré tout motivé l’université de me décerner la médaille d’or du ministre de l’Éducation, dernière accordée en musique, vu la stupéfaction du doyen Helmut Blume et du reste de l’establishment mcgillois, choqués de me voir la remporter. Mes grands alliés, dont je suis toujours reconnaissant vu leurs immenses qualités humaines et musicales, étaient principalement des Juifs : Alexander Brott, les pianistes Rose Goldblatt, Dorothy Morton et Charles Reiner (rescapé d’un camp de concentration autrichien; il m’avait accompagné à pied levé vu l’absence inopinée de mon accompagnatrice attitrée lors d’un examen où je jouais le difficile deuxième concerto de Serguei Prokofiev); mentionnons aussi les profs compositeurs Bruce Mather, Alan Heard, les éphémères draftdodgers américains et Istvan Anhalt qui allait m’engager à l’Université Queen’s (Kingston, Ontario) après mes études supérieures auprès de Rosina Lhevinne à New York et à Los Angeles, d’Ilona Kabos à Londres puis de Dieter Weber et Stanislav Neuhaus à Vienne et à Moscou!

Malgré diverses réalisations, tel le Centre Pierre-Péladeau et les nouveaux locaux du département de musique de l’UQAM sous mon directorat, je n’ai jamais été invité par l’Université McGill au cours des cinquante dernières années pour quelque colloque ou concert. M’étant inscrit comme intéressé à recevoir le document du 50ème puis à le commenter, on verra bien si l’institution aura évolué quant à son mépris face aux non-White-Anglo-Saxon-Protestants, même si je doute bien que cet article ne leur plaira guère. La photo qui termine l’article fut prise lors du premier grand événement célébrant les 50 ans de l’UQAM en fin du concert d’avril 2019 mettant en valeur la Fantaisie pour piano, chœur et orchestre opus 80 de Beethoven en l’Église Saint-Jean-Baptiste. Merci à Honey Dresher dont la rencontre fortuite à Westmount a ranimé ces souvenirs longtemps enfouis… Peace and brotherly love to all!


Pierre Jasmin
 


Le film de Félix Rose m’a fait découvrir récemment les conditions sordides d’emploi de son grand-père et de son grand-oncle, malades des poumons à la Redpath Refinery où ils avaient découvert l’oreille en sang d’un confrère à moitié mangée par un rat, alors qu’il s’était écrasé de fatigue sur des sacs de sucre.

J’attends toujours l’impression dans Ricochet de ma réponse en anglais (disponible sur demande aussi en français), adressée à M. Ehab Lotayev, coordonnateur de la campagne “Non a (sic) la Loi 21” et membre de l’Association des Gouverneurs de McGill (ce qui explique sans doute la présence de la 3e vidéo déplorée en début de cet article). Ma réponse s’indignait de sa prise de position de juin où il dénonçait « l’intolérance » du Premier Ministre Legault semblable selon lui à celles des présidents Trump et Bolsonaro et je déplorais, en tant qu’artiste pour la paix, que le manque de dialogue entre anglophones (qui censurent nos opinions) et francophones laisse se creuser des fossés ou même des murs d’intolérance entre nos diverses communautés. Lire l’outrageant

https://ricochet.media/en/3197/quebecs-discriminatory-law-21-could-start-a-new-chapter-of-violence

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Source: Lire l'article complet de L'aut'journal

À propos de l'auteur L'aut'journal

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