«Il faut être fidèle à la vérité même quand notre patrie est en cause. Tout citoyen a le devoir de mourir pour sa patrie mais nul n’est tenu de mentir pour elle.» (Montesquieu, penseur français auteur de l’Esprit des Lois)
Un coup d’éclair dans le ciel constantinois, Abdelmadjid Merdaci s’est arrêté de se battre ! Dans l’atmosphère actuelle où l’Algérie traverse des étapes capitales pour son devenir. La voix puissante du professeur Abdelmadjid Merdaci manque à l’Algérie. Il est vrai qu’avec son caractère entier, il pouvait au premier abord paraître clivant. C’est je pense le verdict de celles et ceux qui ne prennent pas le temps, voire la peine de voir ou de sonder plus exactement le fond rocheux de l’homme. C’était – je n’arrive pas à parler de lui au passé – comme on le dit une bonne pâte, le cœur sur la main pas rancunier pour un sou mais avec une immense rage et ce faisant un sacerdoce chevillé au corps celui de convaincre que l’Algérie avec son histoire mérite mieux que ce qu’elle subit.
J’ai souvenance d’avoir avec lui animé une émission sur Canal Algérie, il y a trois ans, où nous avions détricoté, chacun à sa façon, l’errance du pays avec naturellement quelques propositions pour une sortie « par le haut du pays ». Nous parlions à l’époque et bien avant la révolution tranquille du 22 février 2019 de la nécessité d’un changement multidimensionnel. Cette émission brûlot n’eut pas l’heur de plaire aux princes du moment. L’émission passa à la trappe, elle ne fut jamais diffusée. Plusieurs fois par la suite, nous eûmes chacun de son côté eu à nous impliquer par nos écrits dans cette belle révolution tranquille du 22 février 2019.
La dernière rencontre avec le professeur Abdelmadjid Merdaci eut lieu en mai 2019 lors d’une conférence-débat que j’ai animée à la Librairie Media Book de l’Enag. Ce fut une rencontre très riche et j’ai pu alors, une fois de plus, mesurer notre proximité en ce qui concerne la nécessité d’aller à la conquête du futur sans rien abdiquer des fondamentaux de l’Algérie vieille de 3 000 ans d’histoire. Il disait toujours que Cirta – sa ville – était la première capitale de l’Etat algérien sous Massinissa il y a plus de 21 siècles à l’époque où l’Europe – exception faite de la Grèce et de Rome – n’avait pas encore émergé aux temps historiques.
Professeur Merdaci en quelques lignes
Une belle contribution de Nouredine Nesrouche retrace à grands traits mais peut-on le faire pour un penseur, un sociologue, un historien, qui comme l’écrit Sartre à propos des intellectuels, «s’occupait de ce qu’il ne le regardait pas» : « lit on vient de perdre une icône, et l’Algérie l’un de ses fils les plus engagés. (…) Il avait 75 ans. La disparition de Abdelmadjid Merdaci ne laisse personne indifférent. L’universitaire constantinois était aussi agitateur d’idées, très présent sur les terrains de la réflexion et de l’opinion. Touche-à-tout, il faisait partie des rares universitaires qui produisaient dans leur domaine et au-delà. Professeur des universités, titulaire d’un doctorat d’Etat en sociologie et d’un diplôme d’études approfondies en « histoire des civilisations », le Pr Merdaci était enseignant à l’Université de Constantine et auteur prolifique, connu pour ses ouvrages consacrés au Mouvement national, à la politique, à la musique algérienne et à l’histoire de la ville de Constantine.(1)
Naturellement étant non conformiste, ce qui ne plaisait pas au pouvoir, il disait sa «vérité» dépouillée, froide, mais qui tient la route et permet de comprendre les ressorts intimes d’une Révolution avec ses non-dits dont nous vivons certaines répliques encore de nos jours. La révolution aussi grande soit-elle, aussi exceptionnelle soit-elle du fait qu’elle fut, aux dires des spécialistes, une aventure humaine qui a marqué avec la révolution vietnamienne en ce sens qu’elle a poussé les limites de la résilience humaine quand il s’agit d’une cause juste.
Ainsi comme l’écrit Nouredine Nesrouche :
« Dans son dernier essai politique, GPRA, un mandat historique, il tente de rendre justice à cette institution, toujours otage d’un imposant silence d’Etat 60 ans après sa naissance, et invite, en conclusion, à « libérer l’histoire des peurs, des mensonges et des occultations ». Elevé avec ses frères et sœurs au quartier mythique de Rebaïn-Cherif, dans le Vieux Constantine, Abdelmadjid est né en 1945 à Mila où son père, Hadj Ahcène, était en poste comme magistrat musulman ».(1)
«Il vient tôt à la politique et fait partie des opposants au coup d’Etat contre Ben Bella en 1965 dans le cadre de l’ORP et réprimés durement par le régime putschiste. Sa trajectoire universitaire sera toujours doublée de sa trajectoire politique. Assumant l’idéal progressiste, l’universitaire a toujours fait en sorte d’intervenir dans les débats sur les questions nationales, affichant un patriotisme farouche. Pour ce faire, il signe en tant que journaliste dans de nombreuses publications, notamment depuis l’avènement du pluralisme médiatique, et produit des contributions écrites toujours remarquées dans la presse algérienne ».(1)
L’enthousiasme de Abdelmadjid Merdaci en direction de la révolution tranquille du 22 février 2019
À l’instar de tous les intellectuels engagés, Abdelmadjid Merdaci n’arrêtait pas de porter la bonne parole de la nécessité d’une rupture avec l’ordre ancien. Il n’était pas rare que nous nous croisions au détour des émissions et des médias qui voulaient bien nous écouter à l’instar de TSA, de Maghreb Emergent, de «L’invité de la rédaction» et du forum El Moudjahid. Abdelmadjid Merdaci n’arrêtait pas de plaider pour un changement de paradigme avec un plaidoyer puisé dans sa vaste connaissance de l’histoire du pays mais aussi d’une sorte de «Benchmarking» avec celle des pays qui ont traversé le même «Rubicon»
Comme nous le lisons sur cette contribution du journal l’Expression, le professeur Merdaci ne ménageait pas sa peine : « Media Book a reçu, hier [15/10/2019 ndlr], l’auteur et professeur Abdelmadjid Merdaci qui a présenté, à la librairie Média Book (place Zabana) son ouvrage intitulé Journal de marches – Chroniques d’outre-silence où il propose un regard libre et exigeant sur l’actualité nationale et le Hirak. Il a répondu à la question de savoir : « Suffit-il que les marches se répètent pour banaliser la marche de l’Histoire ? » L’auteur qui ne se satisfait pas de la posture de l’observateur, croisant mémoire militante et approche académique, propose sa vision des événements actuels qui traversent le pays.(2)
L’Histoire, parlons-en !
Pour avoir moi-même côtoyé à la marge la tentative pour écrire une histoire de l’Algérie, parmi ceux qui ont de mon point de vue contribué à connaître enfin, l’histoire du pays et non pas une histoire en pointillé, qui regorge de non-dits, le professeur Merdaci en tant qu’intellectuel libre a toujours essayé de comprendre les événements, les contextualiser. Je ne l’ai jamais entendu porter un jugement de valeur. Il se contentait de rapporter en honnête courtier, l’histoire, toute l’histoire, rien que l’histoire. On comprend qu’il ne fut pas en odeur de sainteté. Il fut intarissable sur pas mal de zones d’ombre et il avait le génie de tenter d’expliquer les faits non pas en les énumérant de façon froide, mais en les décortiquant et quelque part en se faisant l’avocat de tel ou tel homme politique, quand il prend une décision apparemment erratique, car nous ne connaissons pas le contexte dans lequel a eu l’événement.
Constantine , belle et rebelle
Ah ! Constantine tu viens de perdre un de tes défenseurs intègre et « intellectuellement honnête » ! Constantine ne laisse personne indifférent. Pour l’aimer il faut connaître son histoire plus de deux fois millénaire, il faut connaître ses vicissitudes ; attaquée mille fois, ressuscitée mille fois de par la détermination de celles et ceux qui lui sont fidèles. Le rocher et son histoire sont toujours là et le seront pour les siècles des siècles. Kateb Yacine, à juste titre a eu cette belle sentence : « On ne présente pas Constantine, Constantine se présente et on salue. »
Tout naturellement, le professeur Merdaci écrira de belles pages sur Constantine :
« Féru de musique et son premier amour musical, le malouf, il publie aussi le Dictionnaire des musiques et musiciens de Constantine un outil utile pour les jeunes chercheurs, mais aussi un ouvrage sur le chaâbi, Compagnons de Sidi Gassouma. Contribuant largement à enrichir l’histoire culturelle de sa ville léguée à la postériorité, il écrit aussi Constantine sur scènes – Contribution à l’histoire du théâtre constantinois ; Constantine citadelle de vertige et Tata, une femme dans la ville. La diversité et la consistance de son œuvre ont fait de lui l’intellectuel qu’on regrette aujourd’hui .»(1)
Conclusion
Que peut-on dire en guise d’oraison ? Abdelmadjid Merdaci était un intellectuel éclectique un «honnête homme» au sens voltairien du terme. Comme toute personne ayant fait ses humanités, il élevait le niveau des débats avec cette quête perpétuelle du débat, de l’échange. Il est vrai que la double décennie du mépris que nous avons subie et qui nous a fait rater notre entrée dans le XXIe siècle ne lui a pas permis de dérouler toute la profondeur de son savoir. Il était comme un pompier chargé d’éteindre le feu de la discorde sociale, en essayant, chaque fois qu’il en avait l’opportunité, d’en appeler aux fondamentaux en faisant appel à la raison.
Le professeur Abdelmadjid Merdaci était fasciné par une Algérie unie qui assume son passé, tout son passé avec ses bonnes et mauvaises périodes. Il en appelait à une sorte d’aggiornamento, comme je le comprends, pour enfin, une fois les invariants admis, le projet de société consacré donner une visibilité scientifique, culturelle à l’Algérie. Ceci sans nul doute contribuera à l’épanouissement des Algériennes et des Algériens qui, par un travail assidu, un labeur permanent leur permettra de donner la pleine mesure de leurs talents. Reposez en paix, cher professeur. Nous n’oublierons pas votre éthique d’éveilleur de conscience et votre fidélité à une Algérie débarrassée du carcan des pesanteurs sociologiques qui n’ont plus cours dans un siècle qui ne fait pas de place aux pays installés dans les temps morts.
Professeur Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique Alger
Notes :
1.https://www.elwatan.com/edition/culture/le-pr-abdelmadjid-merdaci-enterre-hier-a-constantine-une-icone-intellectuelle-sen-va-19-09-2020
2.http://www.lexpressiondz.com/index.php/chroniques/de-quoi-jme-mele/le-hirak-s-invite-a-l-agora-du-livre-316801
Article de réference Chems Eddine Chitour :
https://www.lesoirdalgerie. com/contribution/abdelmadjid-merdaci-un-apotre-dune-algerie-fascine-par-lavenir-48852
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