Du contexte demandé pour une œuvre représentant Mussolini

Du contexte demandé pour une œuvre représentant Mussolini

Une pétition de 300 personnalités affirme qu’une fresque montréalaise à la gloire du chef fasciste Benito Mussolini, réalisée en 1931, doit faire l’objet d’une mise en contexte au coeur de l’église exceptionnelle qui l’accueille.

L’immense fresque à la gloire de Benito Mussolini qui orne le plafond d’une église de Montréal mériterait d’être mise en contexte en ces temps troublés, soutient une brochette de personnalités. L’église Notre-Dame-de-la-Défense, située près du marché Jean-Talon, devrait au moins présenter à ses visiteurs des tableaux explicatifs et leur offrir des informations complètes dans un dépliant, le tout rédigé par des historiens compétents, indiquent les pétitionnaires.

Ils sont plus de 300, issus du monde de la culture, des arts, des sciences et de l’éducation, la moitié d’origine italienne, à avoir signé une pétition demandant aux autorités de voir à faire le nécessaire en ce sens pour que le passé fasciste nord-américain ne soit pas banalisé.

Cette œuvre de Guido Nincheri orne, depuis 1931, l’église Notre-Dame-de-la-Défense. À l’époque, « les idées du fascisme trouvent aussi des adeptes à Montréal à cause de l’influence des associations, des journaux et de l’Église catholique », indiquent les signataires. Le père Maltempi, une figure influente dans la communauté italienne du temps, véhiculait d’ailleurs « l’idée qu’un bon Italien est un bon catholique et un bon fasciste ».

Ces pétitionnaires, réunis autour d’un noyau d’intellectuels d’origines italiennes, demandent qu’il y ait désormais dans l’église une plaque à la mémoire de Don Minzoni, tué par les fascistes en 1923.

Ils souhaitent de surcroît qu’on ajoute, sur le terrain de l’église ou dans le périmètre voisin, une plaque ou un monument aux victimes du fascisme.

Dans l’entre-deux-guerres, le Duce recueillait l’estime de beaucoup de monde en Amérique, dans la diaspora italienne, mais aussi dans la population en général. Au nombre de ses admirateurs du Canada français, on trouve des figures ouvertement fascistes, comme Adrien Arcand et Anaclet Chalifoux. Les membres de la Fédération des clubs ouvriers que dirige ce dernier, très inspiré par le Duce, portent une chemise brune obligatoire. Ils font le salut fasciste lorsqu’ils se rencontrent. En 1931, dans une lettre officielle, la Fédération invite même Mussolini à venir célébrer la Confédération canadienne à Montréal le 1er juillet.

Parmi les admirateurs de Mussolini de l’entre-deux-guerres, on trouve aussi le chef conservateur et maire de Montréal Camillien Houde.

La fresque de l’église Notre-Dame-de-la-Défense présente le pape Pie XI, le scientifique Guglielmo Marconi et le dictateur Benito Mussolini. On peut également y identifier quatre fascistes de premier plan : Italo Balbo, Michele Bianchi, Emilio De Bono et Cesare Maria De Vecchi. De ceux-là, Montréal va connaître et apprécier en particulier l’aviateur Balbo.

En juillet 1933, Balbo est accueilli en héros à Montréal. Il se trouve alors à la tête d’une escadre d’hydravions. Ses hommes et lui ont traversé l’Atlantique, une prouesse pour l’époque, dans la volonté de rallier Chicago, où se tient une exposition internationale.

Au cours de son périple en Amérique, Balbo prend l’allure d’un émissaire glorieux de Mussolini. Son escadre fait escale à Shédiac, où les pilotes sont accueillis par 15 000 personnes. Leurs hydravions se posent ensuite sur le fleuve Saint-Laurent, près de Longueuil. Balbo gagne alors Montréal par le pont du Havre, dans un cortège triomphal, accompagné d’une fanfare.

Dans ses mémoires, Balbo écrit que la foule montréalaise venue l’applaudir est contenue « par des cordons de chemises noires italo-canadiennes qui font le service d’honneur ». C’est plus de 500 fascistes, « la plupart en uniformes », qui viennent là pour accueillir les hommes de Balbo, indique Le Devoir de l’époque.

Rue Saint-Denis, au même moment, un antifasciste du nom de Joseph Desrosiers est arrêté pour avoir distribué des tracts contre l’aviateur et le régime qu’il représente. On dira qu’Antonio Spada, un militant antifasciste, a réussi à convaincre le maire, Fernand Rinfret, de ne pas accorder d’entretien au militaire, en plaidant le fait que cet homme a fait assassiner le père Minzoni. En tout cas, au jour de la visite du leader fasciste, le maire est tout bonnement parti à Old Orchard, en vacances.

Un moment crucial

Les professeurs Marta Boni de l’Université de Montréal, Cassandra Marsillo du Collège Dawson, Giuliana Minghelli de l’Université McGill, Marco Piana du Smith College, Luca Sollai de l’Université de Montréal et le cinéaste Giovanni Princigalli sont à l’origine de cette intervention en faveur d’une contextualisation de l’œuvre. Ce faisant, ils interpellent directement l’archevêque de Montréal, Mgr Christian Lépine.

Les pétitionnaires considèrent vivre « un moment historique crucial », puisque « nous assistons à la recrudescence des mouvements nazis, fascistes, racistes et négationnistes ». Il est en conséquence urgent, croient-ils, de s’interroger sur le sens de notre héritage historique et de se demander honnêtement, en tant que communauté italo-canadienne et montréalaise, si ce sont là les racines dans lesquelles nous voulons nous reconnaître ». Ce faisant, il leur apparaît essentiel de « permettre aux citoyens d’évaluer les erreurs historiques de notre passé et le rôle que les représentations artistiques dans l’espace public peuvent jouer dans la transmission d’idéologies négatives. »

La lettre collective a été rédigée par un comité d’intellectuels de la communauté italienne et signée par des citoyens d’origines diverses, de convictions politiques et de confessions religieuses différentes. Parmi eux, on trouve le député Alexandre Boulerice ; l’ancienne ministre Louise Beaudoin ; l’écrivain Marco Micone ; Françoise David, ancienne porte-parole de Québec solidaire ; le musicien Marco Calliari ; le directeur général et conservateur en chef du Musée d’art de Joliette, Jean-François Bélisle ; les cinéastes Paul Tana et Bruno Ramirez.

Reconsidérer le passé

Cette démarche s’inscrit, selon leurs dires, dans la mouvance d’un mouvement critique populaire « qui considère qu’il est nécessaire de rebaptiser les rues et de retirer les monuments dédiés aux personnalités racistes et antidémocratiques ».

Croient-ils qu’il faudrait tout simplement détruire cette œuvre ? « Comme la présence de Mussolini dans cette fresque fait partie d’une œuvre plus vaste et plus complexe, nous considérons une voie alternative, c’est-à-dire celle d’expliquer, de contextualiser et d’éduquer. »

« Parallèlement à la contextualisation historique, nous proposons d’entamer un parcours commémoratif pour revisiter l’héritage du fascisme à travers une série d’initiatives. »

Comme la présence de Mussolini dans cette fresque fait partie d’une oeuvre plus vaste et plus complexe, nous considérons une voie alternative [au remplacement ou à la destruction de l’oeuvre], c’est-à-dire celle d’expliquer, de contextualiser et d’éduquer

 

Joint par Le Devoir, l’archevêché de Montréal voit a priori d’un bon œil la démarche du groupe. L’attachée de presse de l’archevêque indique que les demandes présentées dans la pétition « nous paraissent très raisonnables ». Mais « qu’il y ait dans l’église une plaque à la mémoire de Don Minzoni, tué par les fascistes en 1923, symbole des nombreux catholiques et prêtres antifascistes », reste à évaluer. Il faudra aussi, dit l’archevêché, que la Ville soit consultée pour qu’un éventuel monument soit installé à proximité.

L’église Notre-Dame-de la-Défense a été désignée « lieu historique national du Canada » en 2002. Elle est aussi présente au répertoire du ministère de la Culture et des Communications du Québec. C’est dans cette église, en 2013, que les proches du parrain de la mafia Vito Rizzuto s’étaient réunis pour lui offrir un dernier hommage.

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À propos de l'auteur Le Devoir

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