L’Oruç Reis est enfin rentré au port mais le ministre Turc des affaires étrangères a prévenu : « N’y voyez surtout pas un pas en arrière ».
Dernier chapitre d’une longue série de bravades, voilà près d’un mois que ce navire de recherche d’hydrocarbure déployé par Ankara dans les eaux territoriales helléniques attisait les tensions entre la Grèce et la Turquie, pourtant supposées alliées puisque toutes deux membres de l’Otan.
Forages illégaux dans les eaux chypriotes, survol d’îles grecques par des chasseurs-bombardiers, le président Erdogan n’en est pas à ses premiers méfaits dans le secteur. Et celui qui avait déjà invectivé Emmanuel Macron en novembre dernier (« en état de mort cérébrale », 28/11/2019) n’hésite plus maintenant à le menacer directement (« Vous n’avez pas fini d’avoir des ennuis avec moi », 12/09/2020) pour mieux s’affirmer aux yeux du monde.
Fort d’un « régime de terreur » – pour reprendre les mots du prix Nobel de littérature Orhan Pamuk – instauré graduellement depuis son accession au poste de premier ministre en 2003, le réactionnaire Recep Tayyip Erdogan poursuit ses desseins impérialistes, après avoir purgé armée et administration publique, rempli ses prisons d’opposants (notamment les Kurdes qui sont traités comme des terroristes) et muselé la presse.
S’appuyant sur une rhétorique nationaliste néo-ottomane très agressive, la Turquie cherche avec lui à retrouver un rôle d’acteur de premier plan au niveau régional mais aussi sur la scène internationale, n’hésitant plus à défier les grandes puissances avec des positionnements audacieux sur des terrains explosifs tels que la Syrie, la Libye ou en Irak. Elle s’autorise à intimider des frégates françaises avec sa marine, violer l’embargo de livraisons d’armes en Libye, maintenir des mercenaires sur plusieurs théâtres d’opérations… Entre provocation et témérité affichée, la politique étrangère de voyou menée par Erdogan joue continuellement avec le feu au point d’agiter aujourd’hui le spectre de la guerre avec la Grèce.
En s’appuyant sur la brutalité, le chantage, la politique du fait accompli et le mépris du dialogue international, Erdogan se risque à jeu dangereux qui met en péril la stabilité régionale et exacerbe la crise que traversent les relations internationales.
L’Otan nous prouve pour la nième fois sa soumission totale aux intérêts étasuniens et son inutilité. Quant à la France et l’UE, elles payent à présent le prix d’un silence complice face à la dérive d’un dirigeant qu’on a laissé faire pendant des années en échange de la fermeture du « robinet migratoire ». C’est renforcé par une indulgence coupable des Européens et des Etats-Unis que celui qui a tant martyrisé son peuple peut s’afficher désormais avec tant de véhémence. Et comment pourrait se faire entendre l’UE face à lui ? Fondée sur la concurrence, n’a-t-elle pas mis elle-même la Grèce à genoux ? La France, qui n’a pas joué un moindre rôle dans cette affaire, court maintenant à sa rescousse… et se félicite de la commande de 18 Rafales par Athènes ! « Excellente nouvelle pour l’industrie aéronautique française » a tweeté la ministre des Armées Florence Parly. « Dans le même temps », l’administration française vient de livrer cette semaine le Kurde Mehmet Yalcin à Ankara, en claire violation des procédures et des droits de ce demandeur d’asile.
L’ombre de la guerre souligne bien le cynisme des grandes puissances, qui n’ont pas été capables d’instaurer une vision nouvelle et équilibrée des relations internationales. Comment attendre des puissances émergentes un comportement coopératif si la voie qui leur a été montrée pour peser dans le concert des nations a été celle de la force et du calcul égoïste ?
Patrick LE HYARIC
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir