Le plan de relance de l’UE et la monétisation de la dette

Le plan de relance de l’UE et la monétisation de la dette

Par Gérard Bad. Sur Spartacus : Le plan de relance de l’UE et la monétisation de la dette

Contrairement à ce qui a été dit le plan de relance européen n’a pas grand chose à voire avec le plan Marshall de reconstruction de l’après seconde guerre mondiale. Il est bien plutôt une relance basée sur ce qui fut fait aux USA après la crise du subprime, avec une impression de billets mettant au pilori les monétaristes anti-inflation qui avaient bien servi la classe capitaliste. Après avoir euthanasié le keynésianisme voilà qu’il faut maintenant euthanasier le monétarisme, liquider les liquidateurs et pourfendre les accords de Maastricht et Lisbonne hier adulés: «Nous avons violé toutes les règles des traités car nous voulions sauver la zone euro», a reconnu la ministre française de l’Economie, Christine Lagarde, au Wall Street Journal le 17 décembre 2010. C’ est fait, la banque centrale européenne va prendre la main et monétiser la dette (1) en utilisant la machine à produire du Quantitative easing (QE) comme au japon entre 2001 et 2006, au Royaume uni et aux Etats-Unis en 2008, dans la zone euro en 2015. Ces mesures politiques dites non conventionnelles, n’ont à ce jour fait que masquer en partie la récession mondiale et la déflation. Depuis la crise de 2008 c’est à dire depuis 12 ans, les différents arrosages de monnaie hélicoptère2 ne sont arrivés qu’ à une solution poursuivre l’arrosage monétaire et monétiser la dette.

Quand la politique « non conventionnelle » devient la règle

Voici un extrait de la revue Banque qui a le mérite de montrer comment l’ ensemble de l’ économie est maintenant en manque de cash et qu’il faut s’attendre à une véritable monétisation de la dette que le QE essaye encore de cacher.

 « Lorsque cette recherche de liquidité est confinée au secteur financier, la réponse normale des banques centrales est simplement de noyer ses contreparties directes (les banques) sous des tombereaux de monnaie centrale – comme elles l’avaient fait lors de la crise de 2008-2009. Pour faire face aux conséquences de la pandémie, la Fed a réactivé sa « Primary dealer facility » pour ouvrir grandes les vannes de la monnaie centrale et la BCE a offert des conditions extraordinairement généreuses à ses injections de liquidité à long terme (les T/LTROs), avec succès puisque les montants de liquidités levés via cet instrument ont atteint fin mars leur plus haut niveau depuis 2013. Mais cette fois-ci les banques ne sont pas à la source du problème. C’est l’ensemble des agents économiques qui s’engageaient dans la « course au cash ». Sans intervention de la Fed et de la BCE sur le marché obligataire souverain, à l’impact de la pandémie sur l’activité économique se serait ajouté celui d’un durcissement des conditions financières par élévation des taux d’intérêt de marché. »La monétisation qui s’annonce

La crise financière de 2008 dite des subprimes avait touché de plein fouet le centre du capitalisme mondial, démontrant une fois de plus que le capital fictif ne pouvait plus fonctionner éternellement à fonds perdus. Comme le capitalisme réagit le plus souvent au coup par coup évoluant dans ses prévisions à court terme, il se heurte régulièrement à ses propres contradictions. Aussi nous le voyons s’ élever contre le keynésianisme qu’il faut euthanasier et en revenir des 1979 au libre échange et à la contraction de la création monétaire. Les monétaristes de l’ école de Chicago et de leur leader M.Friedman vont lancer leur croisade contre l’inflation et les dépenses publiques, jusqu’ à ce que le système se retrouve en face de lui même, manque de liquidités et manque de crédit pour faire fonctionner la machine. Le « consensus de Washington » avait vécu, il était grand temps d’ouvrir la trappe à liquidités, le keynésianisme reprenait des couleurs et les banques centrales vont se mettre à injecter de la monnaie à tout va pour relancer le moteur qui s’était noyer, selon eux par manque de crédit en réalité de capital fictif.

 L’impossible normalisation monétaire

 Alors que les États-unis donnaient l’impression qu’ils allaient pouvoir relever leur taux directeur, ceux-ci seront contraints de le baisser et de le maintenir dans une fourchette de (2%- ,2,5%) les obligeant à recourir de nouveau au QE. L’UE quant à elle se trouvait confrontée à sa crise souveraine de 2012 et le sauvetage de l’euro. Elle n’avait pas d’autre solution que de faire fonctionner la pompe à finance au rythme mensuel de 80 milliards d’euros pour relancer l’ activité bancaire et la consommation. Le résultat fut qu’ entre mars 2015 et décembre 2018, la BCE a acheté des titres pour un montant de 2600 milliards d’euros.

 Mais ces rachats ne seront pas suffisants, et en mars 2020 éclate au grand jour la crise dite du coronavirus. La paralysie de l’économie tant souhaité par les gilets jaunes et une grande partie de l’extrême gauche est paradoxalement réalisée par la macronie et d’ autres à l’ échelle mondiale. Comme quoi la grève générale et le blocage de l’ économie ne sont pas suffisants pour faire tomber un gouvernement et encore moins le capitalisme.

 A ce stade, il faut se demander comment le capitalisme peut résister à une paralysie de l’ extraction de la plus-value et se permettre de débloquer des milliards d’ euros pour financer ( entreprises et salariés en jachère) ? Le trio Emmanuel Macron, Christine Lagarde et Angela Merkel n’ont pas d’ autre choix pour contrer les souverainistes que de procéder à un coup de force au sein même de l’UE en annonçant un plan de relance de 750 milliards d’ euros. Emmanuel Macron, déclare son «Plein soutien aux mesures exceptionnelles prises ce soir par la BCE»«A nous Etats européens d’être au rendez-vous par nos interventions budgétaires et une plus grande solidarité financière au sein de la zone euro. Nos peuples et nos économies en ont besoin», a-t-il ajouté. 

Ce plan de sauvetage va déclencher une mini crise au sein de l’ UE entre ceux en Allemagne et certains pays du nord dits « radins » ou « Etats frugaux » veulent s’ en tenir aux critères des accords de Maastricht et Lisbonne, c’est à dire ne pas éponger les dettes des pays du sud1, au final après de dures négociations et maquignonnage le plan de relance va passer. Macron exulte et pense avoir ramené les brebis au bercail.

« La Banque centrale européenne (BCE) a accru l’intensité de son tir de barrage à un niveau sans précédent afin d’essayer de limiter les dégâts économiques du coronavirus. Dans la nuit de mercredi à jeudi, elle a décidé d’injecter dans le système 1 050 milliards d’euros d’ici la fin de l’année en rachetant les dettes émises par les États et les entreprises. Il s’agit d’une limite basse, car «il n’y a pas de limite à notre engagement envers l’euro», a tweeté dans la nuit Christine Lagarde, la présidente de la BCE : «Les temps extraordinaires nécessitent une action extraordinaire.» Décryptage. »Libération  19 mars 2020 à 20:18

 Si en 2015 la BCE prétendait que le QE n’était en rien une monétisation de la dette que les règles strictes encadraient le QE. La Cour de Justice européenne ayant en 2018 déclaré que le principe d’interdiction de la monétisation était respecté. Il n’en est plus de même actuellement.

Tout état peut dorénavant se financer gratuitement auprès de la banque centrale, le QE n’ a plus comme objectif de contenir l’ inflation de la zone euro à 2% mais d’intervenir sur la dette publique en rachetant des quantités illimitées

«Nous sommes totalement prêts à augmenter la taille de nos programmes d’achats d’actifs et à ajuster leur composition, autant que nécessaire et aussi longtemps que nécessaire.» Christine Lagarde au Financial Times,

 La boite de pandore est ouverte, qui va éponger cet arrosage financier

 Bien entendu les médias ne s’aventurent pas à dire que la BCE vient de permettre à 742 banques européennes d’obtenir des prêts à long terme LTRO , à des taux négatifs à-1% mettant en exergue que la dette devient un produit financier à grande échelle.

Nous savons historiquement que la monétisation de la dette va au final par le truchement de taxes de dévalorisation financières… retomber pour parler comme les économistes sur les ménages et les contribuables, il est déjà question d’ impôts européens. En France du gonflement du trou de la sécurité sociale par la prise en charge pour le compte des Cies d’ assurances de l’ assurance dépendance et de la pandémie à la hauteur de 136 milliards d’euros  (2). 

Pour masquer cette réalité finale, le gouvernement et ses experts se veulent rassurants, les GAFAM vont payer, ils savent très bien que les GAFAM qu’ils soutiennent dans le développement du numérique sont intouchables.

Au niveau de l’ UE la nomenclatura insiste beaucoup pour que l’ UE développe ses propres ressources, il faut entendre par là, trouver les finances pour rembourser « l’emprunt communautaire censé provoquer la relance ».

 « A ce stade, ils ont juste acté le lancement dès 2021 d’une taxe sur les plastiques à usage unique, en lien avec le « pacte vert ». Les débats sur la taxe Gafam, sur une taxe carbone aux frontières (pour préserver la compétitivité des industries européennes appelées à diminuer leurs émissions) et sur une réforme des actuels « marchés à polluer » (Emission Trading System, ETS) attendront 2021, quand la Commission européenne détaillera ses propositions.

Cette dernière estime que l’UE pourrait accroître ses revenus de plus de 30 milliards d’euros par an via de tels dispositifs visant aussi à « soutenir sa souveraineté ». L’objectif affiché est d’avoir implanté la taxe Gafam et la taxe carbone d’ici 2023 au plus tard. Une relance de la Taxe sur les transactions financières (TTF), serpent de mer européen, est aussi en débat. La Commission européenne et les pays appelant à de fortes ressources propres, comme la France, espèrent que la perspective d’alléger la note de l’emprunt pour les États convaincra les réticents à se lancer sur ce sujet qui provoque aussi des divisions avec les pays du Nord, culturellement rétifs à l’idée de tels « impôts européens ».sources

Nous voyons très clairement que la nomenklatura européenne est taraudée par le remboursement de l’ emprunt. Même si par ailleurs un magicien comme Patrick Artus, chef économiste de Natixis, nous explique en long et en large comment faire disparaître la dette.

 « De très nombreux économistes ou hommes politiques sont intervenus pour réclamer soit l’annulation de la dette publique détenue par les Banques Centrales, soit l’émission par les États de dette publique de maturité très longue ou même perpétuelles, l’idée étant de réduire autant que possible le champ de la dette publique après la crise du coronavirus. Il faut comprendre que ces propositions n’ont pas d’intérêt puisqu’une dette publique irréversiblement achetée par une Banque Centrale est de facto annulée.« 

L’annuler explicitement est une complication inutile et de plus pourrait créer un mouvement de panique chez les investisseurs.

Quel est le mécanisme ? Les Banques Centrales reversent tous leurs profits aux États. Si une Banque Centrale détient de la dette publique du pays (pour la France, c’est bien la Banque de France qui achète la dette publique de la France pour le compte de la BCE), elle reverse à l’État les intérêts sur cette dette publique qu’elle reçoit : la dette publique détenue par la Banque Centrale est gratuite pour l’État. De plus, si la Banque Centrale s’engage à ne jamais réduire la taille de son bilan, cette dette publique devient non remboursable. En effet, la Banque Centrale ne revend jamais la dette détenue et la renouvelle à l’échéance. Une dette publique gratuite et non remboursable est évidemment de fait annulée. » sources

 Le système de la dette perpétuelle ne fait que reporter la dette

 Dans le sillage de Patrick Artus nous avons la proposition du groupe Mélenchon résolution nº 2914 déclarant la nécessité du rachat de la dette publique par la Banque centrale européenne et de sa transformation en dette perpétuelle.

 « La solution que nous proposons est pragmatique. D’abord la transformation de la dette actuelle des États par la banque centrale européenne en dette perpétuelle à taux nul. Aujourd’hui, 18 % de la dette publique française est stockée à la banque centrale. Sa transformation en dette perpétuelle permettrait d’effacer pour notre pays le cout de la crise sanitaire. Cela peut se faire immédiatement. La Banque centrale européenne pourra ensuite augmenter sa politique de rachat des dettes publiques sur le marché secondaire pour les geler petit à petit. Cette opération ne nécessite pas de changer les traités européens. » (…)« Monétiser la dette par la banque centrale est la solution la plus raisonnable, la seule sérieusement envisageable. Elle est plus pertinente que jamais. Sinon quoi ? Va t on pendant les cent prochaines années n’avoir d’autre projet de société que de payer une dette contractée pour payer les dégâts de l’ère productiviste à l’heure où il faut investir pour sortir de cette façon de produire et d’échanger. » ( extraits de la résolution nº 2914)

 Il est maintenant parfaitement clair que les pays de l’ OCDE ont adopté la Théorie Monétaire Moderne. Cette théorie qui vient des États-Unis gagne en popularité auprès de représentants de la gauche, l’ économiste Stephanie Kelton c’est faite le porte drapeau et conseillère économique de Bernie Sanders ( aile gauche du parti démocrate) c’ est à dire La gauche de la dévalorisation . Les partisans de la MMT pensent que la monnaie est un monopole public dont ils peuvent user à leur guise « sans limite ».  En France Mélenchon va suivre P. Artus dans sa démarche, qui explique pourquoi la création monétaire (MMT) n’ est pas un facteur d’ hyper-inflation, je cite

 Monétisation des dettes publiques et la Théorie Monétaire Moderne

Une dette publique est monétisée quand elle est achetée par la Banque Centrale, qui paye en créant de la monnaie. Il faut comprendre que cette opération ne change ni l’épargne, ni la richesse. Elle remplace seulement, dans la richesse des agents économiques privés (ménages, entreprises, intermédiaires financiers), la dette publique par la monnaie. Cette politique est donc efficace seulement si la détention de monnaie conduit à des comportements différents de ceux qui résultent de la détention d’obligations. Détenir davantage de monnaie peut peut-être pousser les ménages à consommer davantage, pousser les banques à distribuer davantage de crédit. C’est la condition de l’efficacité des politiques de Quantitative Easing des Banques Centrales.

Pour les partisans de la Théorie Monétaire Moderne (Modern Monetary Theory, MMT) la monétisation des dettes publiques permet d’éviter l’éviction de la dépense privée. Selon la Théorie Monétaire Moderne, l’État ramène l’économie au plein emploi en mettant en place le déficit public qui est nécessaire, quel que soit sa taille, et la Banque Centrale monétise les dettes publiques correspondantes pour éviter la hausse des taux d’intérêt à long terme qui réduirait l’investissement des entreprises et la dépense des ménages. Il est clair que les pays de l’OCDE, dans la crise du coronavirus, ont adopté la Théorie Monétaire Moderne : déficit public massif, achat par la Banque Centrale contre création monétaire des obligations des États émises. P ARTUS

 La lutte contre le chômage est à mon sens veine du seul fait de l’hyper-machinerie qui expulse les individus du monde du travail via la création d’ un océan de surnuméraires qu’il faudra nourrir ou faire crever. Pour moi la MMT est une impasse qui ne sera même pas capable de mener à un capitalisme d’État ( les dites nationalisations). Les relocalisations, nous aurons l’occasion de le prouver ne sont que de la poudre au yeux, elles ne peuvent se faire que par un investissement en nouvelles technologies prédatrices d’ emplois.

 Gérard Bad septembre 2020


Notes

1-Lors du lancement de son QE en mars 2015, la BCE avait expliqué que ce QE n’était en rien une monétisation de la dette.

2-Le concept de monnaie hélicoptère a été défini pour la première fois par l’économiste américain  Milton Friedman. Il y développait une métaphore : les autorités monétaires impriment des billets et les jettent d’un hélicoptère dans les rues. Les gens les ramassent et les dépensent, ce qui permet de faire repartir l’inflation en territoire positif.

Source: Lire l'article complet de Les 7 du Québec

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