Rentrée scolaire : des vertes et des pas mures

Rentrée scolaire : des vertes et des pas mures

Un texte de Catherine Daigle

Depuis quelques mois, plus d’un frémit à l’idée d’une rentrée scolaire en temps de pandémie. On a peur, on critique le système, on craint le pire. On se réjouit de revoir nos proches, on respire mieux, on habite le moment présent. Peu importe notre position, la roue continue de tourner et la vie scolaire reprend du service. Enseignants et élèves regagnent donc les bancs d’école, déchirés entre une joie indicible de revivre et un sentiment amer d’impuissance. Voici mon journal de pédagogue. 

Le vendredi 21 aout 

C’est la rentrée des enseignants. L’école a bien changé. Par terre, des flèches indiquent le sens à suivre. Des bornes sanitaires ornent les corridors encore déserts. L’ambiance est fébrile. 

Alors que certains semblent confiants devant l’inconnu, d’autres craignent déjà une deuxième vague et un reconfinement. De mon côté, j’observe et j’écoute. 

À travers les « il était temps qu’on revienne à l’école ! » et les « comment s’est passé ton confinement ? », je détecte une joie collective forcée, factice. On a maintenant peur des autres. Attraper la covid-19 effraie réellement. On respecte diligemment les recommandations de la santé publique. 

Derrière mon masque, je souffre en silence. Je peine à rétablir ce contact humain qui me nourrissait tant. Les poignées de mains assurées, les sourires sincères, les câlins spontanés. Cette relation authentique aux autres me manque. Mais à quoi bon m’inquiéter ? On me répète que « ça va bien aller »…

[…] je détecte une joie collective forcée, factice. On a maintenant peur des autres. Attraper la covid-19 effraie réellement.

Le jeudi 27 aout 

C’est la rentrée des élèves. On n’est pas prêts pour les accueillir. Avant d’avoir commencé, le corps enseignant est déjà épuisé. Certains sont même partis en congé maladie pour calculer la possibilité de devancer leur retraite. 

Un à un, adolescents et adultes pénètrent les portes du nouveau pénitencier. On note leurs allées et venues. On s’assure que les règles soient respectées. 

Je suis profondément heureuse de retrouver les élèves. Ils sont ma raison d’être, la flamme d’espoir qui m’anime encore. 

Pourtant, derrière le masque et la visière qu’on m’impose, j’étouffe. Je déambule rapidement dans les couloirs. J’évite de croiser des regards. Je ne me reconnais plus. Je me sens perdue. 

« Ajustements, renoncements et adaptation seront gages de la réussite scolaire 2020-2021 », nous a-t-on dit. Je ne crois pas tenir le coup bien longtemps. Mais à quoi bon m’inquiéter ? On me répète que « ça va bien aller »…

Le vendredi 28 aout 

C’est le deuxième jour d’école. Changements majeurs au programme. La direction convoque une réunion d’urgence. De nouvelles directives ministérielles nous obligent à revoir les horaires. Les « groupes-classes » ne doivent plus se côtoyer. Quel casse-tête absurde ! Des options sont supprimées. Des élèves sont déçus. Plusieurs parents sont révoltés. 

Toujours armée de mon masque, je tente de remonter le moral des troupes qui pestent contre la réalité scolaire devenue dictature. Ce masque, je ne le porte pas que physiquement. Je suis déchirée intérieurement. 

Lorsque les élèves réfléchissent et argumentent intelligemment, je les contredis en me solidarisant à contrecœur avec les autorités provinciales. Ma relation avec ce monde incohérent s’écroule peu à peu. 

Autour de moi, je vois des gens à bout de souffle, j’entends des cris du cœur véhéments, je ressens un malaise ambiant. Mais à quoi bon m’inquiéter ? On me répète que « ça va bien aller »…

Le vendredi 11 septembre 

Deux semaines d’école se sont écoulées depuis la rentrée. Au total, six changements d’horaire, deux enseignants qui démissionnent, plusieurs montées de lait et trop de larmes versées. C’est brutal. Ça fait mal. 

Déjà ponctuée de difficultés, la nouvelle année scolaire promet son lot de surprises. Personne ne sait vraiment où on s’en va. C’est à l’aveuglette que les enseignants planifient les activités éducatives. C’est sans savoir s’ils reviendront demain que les élèves acceptent de se conformer aux nombreuses règles.

Les relations qu’on entretient avec les autres, avec soi-même et avec le monde sont en mutation. À mesure que les jours avancent, on vit plus confortablement avec l’inconfort.  

Avec du recul, j’arrive à percevoir le calme au milieu de la tempête. Mon espérance en l’avenir me pousse hors du lit le matin. Ma foi en Dieu demeure mon pilier au quotidien. Mon amour pour les jeunes me fait vivre. Je ne m’inquiète plus. Je sais que « ça va bien aller ».


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Enseignante passionnée de langues, coiffeuse talentueuse, pianiste chevronnée, étudiante en théologie, reine incontestée des smoothies matin… Catherine ne cesse d’ajouter des cordes à son arc ! Et c’est sans parler de ses harmonieuses cordes vocales, qui ont fait verser plus d’une larme d’émotion. Âme artistique, esprit logique, œil contemplatif : Catherine se sert de tout ce que Dieu lui a donné pour aimer, commenter et expérimenter le monde.

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À propos de l'auteur Le Verbe

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