L’auteure est ing., Ph.D., professeure à Polytechnique Montréal, Titulaire de la Chaire Mobilité
L’automobile est un témoignage patent de l’ingéniosité humaine. Pourtant, elle n’a pas réussi à réduire les temps de transport. Au contraire, la vitesse accrue a permis d’aller plus loin, d’étaler les lieux de résidence et d’activité, d’augmenter le kilométrage. Initialement, son développement a été considéré comme une véritable révolution; néanmoins, les multiples impacts négatifs associés à sa démocratisation n’ont certes pas été bien anticipés. L’automobile est devenue omniprésente: 1) elle s’approprie l’espace public (78% de la voirie est dédiée à l’automobile sur l’île de Montréal, endroit au Québec où le pourcentage de déplacements en automobile est pourtant le moins élevé[1]), 2) elle prolifère (le nombre de véhicules a crû presque deux fois plus que la population de 15 ans et plus de 2001 à 2018[2]), 3) elle grossit et devient plus dangereuse pour autrui (la part de VUS dans les véhicules est passée de 19.8% à 40.2% de 2000 à 2018 dans la région de Québec[3]), 4) elle se vide et réduit progressivement la capacité des réseaux routiers (le taux d’occupation est d’à peine 1,2 personne par véhicule en pointe du matin dans la région de Québec[4]) et 5 ) son usage n’est pas équitable (dans la région de Montréal, 44% des conducteurs – 24 % des adultes – sont responsables de 80% des kilomètres parcourus[5]), ceux en bénéficiant n’héritant pas directement de ses impacts négatifs.
Résoudre les problèmes de mobilité et minimiser leurs impacts négatifs exige de questionner les besoins de déplacements et les facteurs qui les déterminent. Avant d’inciter un conducteur à opter pour un autre mode de transport, il faut questionner les raisons des déplacements. Cette logique hiérarchisée est adoptée dans le Politique de mobilité durable du Québec (Transporter le Québec vers la modernité[6]) dont le plan d’action s’articule sous l’approche RTA (Réduire-Transférer-Améliorer). Il faut avant tout s’activer à réduire le kilométrage parcouru en auto-solo, soit en réduisant la fréquence des déplacements, soit en réduisant leur longueur. Ceci exige d’aborder les enjeux de mobilité sous la perspective de la transformation de la demande de déplacements et d’amorcer dès maintenant des changements structuraux.
Phase 1. Pour réduire durablement le bilan GES des déplacements, il faut s’intéresser aux localisations, aux liens entre domicile et lieux d’activités, à la structure de la semaine d’activités et à la possession automobile. Ce sont les stratégies prioritaires à implanter puisqu’elles auront un impact structurant et durable et les autres stratégies (transférer, améliorer) doivent être complémentaires.
Favoriser la proximité. À l’instar du concept de « ville du quart d’heure »[7], il faut contracter l’espace d’activités des citoyens, favoriser la localisation à proximité du lieu d’emploi et tenir compte des distances dans le choix des garderies et écoles. Des gains significatifs à l’échelle collective sont possibles par une allocation optimisée des enfants aux écoles (- 40% des distances domicile-école possible à Montréal)[8]. Cette proximité augmente conséquemment le potentiel de la marche et du vélo, contribuant à rehausser le niveau d’activité physique chez les jeunes. Il faut aussi offrir des services de proximité (épicerie, pharmacie, garderie, etc.) pour réduire les distances et favoriser la démotorisation.
Innover dans l’organisation spatio-temporelle de l’emploi. Les problèmes de congestion (routes, transport en commun), résultent d’une forte concentration des déplacements dans le temps et l’espace. Pourtant, à certaines heures, nos réseaux de transport ont une capacité inutilisée. Il faut développer des incitatifs pour améliorer l’efficience de nos systèmes de transport et réduire les phénomènes de pointe. Si quotidiennement, 20% des travailleurs faisaient du télétravail, on réduirait de quelque 10% les émissions de GES annuelles à Montréal[9]. La période de confinement a clairement démontré la faisabilité du télétravail : des scénarios à 2-3 jours par semaine sont envisageables pour plusieurs travailleurs.
Soutenir les services d’autopartage. La possession d’un véhicule est le plus important déterminant du choix du mode de transport : les autres modes disponibles pour faire un déplacement sont peu considérés par un propriétaire de véhicule privé. Pourtant : un véhicule privé reste stationné 95% du temps, perd de la valeur dès son acquisition et coûte cher. L’autopartage (système de location de véhicules en stations) est une alternative pertinente tant pour les ménages que la collectivité. Une analyse a d’ailleurs déjà démontré que même un usager fréquent de l’autopartage utilisera toujours plus les autres alternatives qu’un propriétaire de véhicule[10]. Transformer la possession privée par le recours à un véhicule partagé permet de réduire le nombre total de véhicules et le kilométrage parcouru en automobile.
Ensuite, pas avant, on identifie les stratégies de transfert des déplacements vers des modes plus durables et d’amélioration de l’empreinte carbone de chaque kilomètre parcouru en auto.
[2] Région de la Capitale nationale – données SAAQ et ISQ
[3] Selon statistiques de la SAAQ
[4] Calculs Chaire Mobilité – matrices de déplacements OD 2017 Québec
[5] Calculs Chaire Mobilité avec OD 2013 montréalaise
[8] Pépin, F. (2012). Mobilité quotidienne des enfants : déterminants, caractéristiques et évolution (Mémoire de maîtrise, École Polytechnique de Montréal). Tiré de https://publications.polymtl.ca/994/
[9] Calculs Chaire Mobilité à partir de l’enquête OD 2013 montréalaise
[10] Sioui, L, Morency, C, Trépanier, M. (2013). How Carsharing Affects the Travel Behavior of Households: A Case Study of Montréal, International Journal of Sustainable Transportation, Volume 7, 2013 – Issue 1: Shared-Use Vehicle Services for Sustainable Transportation.
Illustration : Brignaud
Source: Lire l'article complet de L'aut'journal