Pour l’intellectuel ou le philosophe, il est parfois de ces moments de grâce où se condensent en un seul objet des pages et des pages de pensées complexes. En l’offrant à la sagacité de ses élèves, cet objet le dispense de toute description supplémentaire.
La vidéo que vous allez visionner possède cette valeur apophtegmatique. Elle se présente comme un concentré pur d’une critique profonde de notre monde. Elle révèle en un éclair tout ce que nous ont appris des Günther Anders, des Daniel J. Boorstin, des David Riesman, des Guy Debord ou des Christopher Lasch. C’est un objet pur qui fascine l’esprit et l’entraîne dans des vertiges insondables lorsqu’on saisit qu’il ne s’agit pas d’une parodie potache.
Diane Goldstein, dont on apprend incidemment que « dans la famille Goldstein, on se transmet les bijoux de mère en fille » (Vogue, 16 juillet 2020), est une synthèse miraculeuse de pauvreté syntaxique (le « mystisme » – [sic !], « un navre de pet » – [re-sic !], « je pratique le yoga quotidiennement tous les jours si ce n’est tous les deux jours »), de bric-à-brac idéologique (« citoyenne du monde », « le mélange des genres, c’est quelque chose que j’affectionne tout particulièrement »), de fourre-tout culturel (« coussins d’Ouzbékistan », « un grigri d’un mélange amérindien et grec », « la Californie mélangée avec l’Inde »), d’imprécisions historico-géographiques (« le désert navajo » – comprendre probablement le désert en territoire des Navajos – « situé entre la frontière mexicaine et Dallas » [sic !]), de délires mystico-new-age (« j’ai été initiée au yoga iyengar », « des pièces de mon appartement connectées spirituellement », « l’astrologie et le tarot »), de propositions dénuées de sens logique (« ma relation à la mode est intimement liée à moi-même et à ma relation avec ce que j’ai voulu faire dans mon appartement »), etc.
Où l’on découvre ce que le narcissisme d’une femme bourgeoise et oisive, dont les revenus réels sont probablement assurés par le mari et/ou par l’héritage, peut engendrer comme parodie spectaculaire, comme inutilité sociale, mais aussi comme prédation culturelle. Car en effet la satisfaction égocentrique que lui procure son capharnaüm d’arts ethniques chinés à Jaipur ou en terres navajos se chiffre souvent en désastre locaux économiques, culturels ou écologiques. Les œuvres d’art locales disparaissent pour prendre la poussière dans les salons bourgeois de Paris, New York ou Londres. La spéculation sur des produits naturels régionaux (par exemple ici le palo santo) génèrent des pénuries chez les populations indigènes, détruisent des écosystèmes humains ou naturels, voire favorisent des guerres locales. Enfin, l’utilité sociale de notre quadra désœuvrée constituant son loufoque patchwork est pour le moins sujette à caution.
Comme dirait Alain Soral, un plombier ou un facteur, une institutrice ou une infirmière, au moins on sait à quoi ça sert.
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