Les Arméniens et l’esprit révolutionnaire juif (III-IV)

Les Arméniens et l’esprit révolutionnaire juif (III-IV)

par E. Michael Jones.

[Suite de la traduction  d’un long récit historique intitulé « Qui a tué les Arméniens ? »,  à paraître prochainement, dans la deuxième édition de L’esprit révolutionnaire juif et son rôle dans l’histoire du monde ; (la première édition est parue en français aux éditions Saint-Rémi en 2019] 

*

III

C’est alors que les responsables tsaristes prirent la décision fatidique de soutenir l’activité révolutionnaire en Turquie tout en essayant de la réprimer en Russie, apparemment sans savoir que l’esprit révolutionnaire juif était le dénominateur commun qui unissait les deux groupes. Les fonctionnaires russes de l’Okhrana, la police secrète du tsar, étaient bien conscients des racines juives de l’activité révolutionnaire en Russie, car ils le savaient :

il serait trompeur […] de décrire le rôle des Juifs dans Narodnaïa Volia en termes de « fonctions secondaires » et surtout de prétendre, comme Tscherikower, que leur rôle était modeste (besheydène) puisque les Juifs « se trouvaient essentiellement parmi les dirigeants du parti et les auteurs directs des actes terroristes ». « La force du révolutionnaire juif », affirme-t-il, « se situait dans des domaines différents : c’était un pionnier dans la construction d’un parti, un grand praticien et un technicien de la révolution ». Une grande partie de cette affirmation est bien sûr vraie. Mais, en tant que tel, le rôle d’un révolutionnaire juif n’était ni « modeste » ni toujours « secondaire ». . . . En tant qu’intermédiaires entre le comité exécutif du parti et la base, les Narodovoltsy juifs occupaient une position importante dans la propagation et l’organisation du terrorisme politique. 

Le gouvernement tsariste « avait manifestement des raisons de blâmer les « nihilistes juifs » pour la vague de terrorisme qui avait secoué le navire de l’État depuis 1878-79 et s’était même revendiqué son capitaine en 1881″. En fait, ces responsables gouvernementaux « avaient une appréciation plus juste du rôle des Juifs dans le mouvement terroriste que les révolutionnaires eux-mêmes ou que les historiens qui se sont joints à eux pour minimiser la contribution juive ».  Les soupçons de ces fonctionnaires se confirmèrent lorsqu’ »un autre Juif, Hippolyte Osipovitch Mlodetskii (1856-80), fut appréhendé à Saint-Pétersbourg pour avoir tenté d’assassiner le comte Loris-Melikov, le nouveau « gestionnaire de crise » de l’empire ». Après l’exécution de Mlodetskii le 22 février 1880, Novoe vremia  estimait que « ces Juifs, qui ont été de tout temps les représentants de l’esprit révolutionnaire, se trouvent maintenant à la tête des nihilistes russes ».

L’exécution de Mlodestskii eut lieu au début de la période fatidique de l’histoire russe qui commença en 1879 lorsque Semlia I Volia  donna naissance à Narodnaia Volia et à Tchernyi Peredel. Les Juifs étaient très actifs à tous les niveaux du travail révolutionnaire dans les deux groupes :

Narodnaïa Volia maintenait en vie la tradition populiste-libérale qui, une décennie plus tard, sera à l’origine du Parti des démocrates constitutionnels (Kaders) et du Parti des socialistes révolutionnaires (PSR). Se séparant du populisme orthodoxe au milieu des années 80, Tchernyi Peredel s’inscrivait dans le courant du socialisme marxiste européen et devint le point de départ du marxisme russe et de la formation du Parti ouvrier social-démocrate russe (RSDWP). Les juifs Narodovoltsy et Chernoperedeltsy ont été les pionniers de ces nouvelles évolutions, qui mûrissaient au début du siècle et se sont épanouis pendant la révolution de 1905.

« Les Juifs », nous dit Erich Haberer, « se trouvaient dans les deux factions et ont joué un rôle important dans la formation et l’activité des deux organisations ». Les Juifs n’avaient pas réussi à mobiliser les paysans russes parce qu’ils étaient toujours considérés avec suspicion comme un élément étranger à la société russe. En conséquence, les Juifs gravitèrent vers la « désorganisation », leur mot pour le terrorisme, parce qu’elle leur offrait un meilleur exutoire pour leurs capacités naturelles.

Pipes est d’accord avec l’explication de Haberer sur les raisons pour lesquelles les Juifs se sont tournés vers le terrorisme, mais sans faire référence aux circonstances spécifiquement juives qui les ont poussés dans cette direction. « Le recours à la terreur », selon Pipes « était un aveu d’isolement : comme l’un des dirigeants de la Volonté du peuple le reconnaîtra plus tard, le terrorisme n’exige ni le soutien ni la sympathie du pays. Il suffit d’avoir des convictions, de ressentir du désespoir, d’être déterminé à périr. Moins un pays veut la révolution, plus le militant se tournera naturellement vers le terrorisme qui veut, quoi qu’il arrive, rester révolutionnaire, s’accrocher à son culte de la destruction révolutionnaire ».

Haberer est d’accord, mais il met davantage l’accent sur la « participation juive » au terrorisme que Pipes : « Malgré la présence évidente de Juifs à Chernyi Peredel, on a fait valoir que les Juifs en tant que Juifs étaient plus attirés par Narodnaia Volia parce que le terrorisme politique était plus proche de la participation juive que de la théorie et de la pratique du populisme traditionnel ».  Contrairement au populisme qui nécessitait une persuasion et une rencontre entre l’esprit juif et l’esprit chrétien russe :

l’activité terroriste centrée sur les villes a considérablement « élargi l’éventail des possibilités des révolutionnaires juifs – tant sur le plan psychologique que sur celui des faits ». Sur le plan des faits, elle a donné aux Juifs l’occasion sans précédent d’être actifs dans un environnement urbain beaucoup plus propice à leurs capacités naturelles et à leurs caractéristiques nationales : au lieu d’agir comme des propagandistes au nom d’une idéologie étrangère dans un environnement paysan étranger, ils pouvaient désormais participer à des activités où leur judéité était moins un handicap qu’auparavant. Sans ressentir un sentiment d’infériorité, sans nécessairement se départir de leurs traits juifs, en tant que Narodovoltsy, ils pouvaient participer pleinement et efficacement au type de travail auquel ils étaient idéalement adaptés en tant que Juifs. . . . Bref, leurs capacités pour « l’organisation clandestine » et leur « savoir-faire technique » étaient un véritable atout, facilement apprécié et recherché par leurs camarades russes. Sur le plan psychologique, Narodnaïa Volia fournissait aux Juifs une justification politique de l’action révolutionnaire qui était beaucoup plus en accord avec leur expérience de l’absence de droits pour les Juifs qu’avec les abstractions populistes de la révolution sociale.

Comme pour les Arméniens, les griefs ethniques étaient un moteur de l’esprit révolutionnaire juif. Haberer identifie « la véritable force psychologique » qui poussait tant de Juifs à embrasser le terrorisme révolutionnaire comme étant « di yidishe rekhtlozikeyt« , ce qui motivait les Juifs dans la Zone de résidence à la fin du XIXe siècle, tout comme le terme « antisémitisme » les fait réagir aujourd’hui. Comme les Arméniens, les Juifs « étaient motivés par la souffrance et les efforts d’émancipation de leur propre peuple ».[2] Aron Zundelevich, « le plus juif des révolutionnaires juifs », selon Tscherikower, avait choisi comme nom pour le parti « Moishe », parce qu’il se considérait comme le leader de son peuple, qu’il libérait de l’esclavage du pharaon/tsar par l’activité révolutionnaire. Dans le portrait de Sergei Kravchinskii que brosse Zundelevich dans son roman a clef La carrière d’un nihiliste, le personnage de Zundelevich tente de concilier l’internationalisme révolutionnaire et l’intérêt personnel juif :

« Non, je ne suis pas attiré par votre peuple », dit-il enfin, d’une voix lente et triste. Pourquoi le serais-je ? Nous, les Juifs, nous aimons notre race, qui est tout ce que nous avons sur terre. Je l’aime profondément et chaleureusement. Pourquoi devrais-je aimer vos paysans, qui haïssent et maltraitent mon peuple avec une barbarie aveugle ? qui demain, peut-être, pilleront la maison de mon père, un honorable travailleur, et l’agresseront brutalement, comme ils l’ont fait dans le cas de milliers d’autres pauvres juifs travailleurs ? Je peux avoir pitié de vos paysans, mais comment ne pas mépriser des gens aussi lâches ? Non, il n’y a rien dans votre Russie qui mérite qu’on s’en préoccupe. Mais je connaissais les nihilistes, et je les ai aimés encore plus que ma propre race. Je les ai rejoints et j’ai fraternisé avec eux, et c’est le seul lien qui me lie à votre pays. Dès que nous en aurons fini avec le despotisme de votre tsar, je m’expatrierai pour toujours et je m’installerai quelque part en Allemagne… L’Allemagne est le seul pays où nous ne sommes pas de parfaits étrangers. 

Léon Trotsky va ensuite universaliser l’ethnocentrisme juif sous le nom de communisme. Theodor Herzl canonisera la chose au nom du sionisme. Au cours des années 1880, le mouvement révolutionnaire en Russie devint de plus en plus violent et de plus en plus juif à mesure qu’il se déplaçait vers le sud et s’enfonçait dans le territoire juif :

Travaillant sur un terrain familier, dans des villes comme Minsk et Taganrog qui étaient encore mal surveillées, ces individus furent pendant un certain temps relativement libres de propager le socialisme et d’organiser des cercles qui étaient souvent à prédominance juive dans leur composition. Leur judaïcité, ainsi que leur capacité à opérer dans un environnement indigène, leur permettait d’établir facilement des contacts avec les intellectuels et les travailleurs juifs. L’effet net de tout cela est que, bien que le parti centralisé ait été détruit en 1881-1882, de nouveaux centres provinciaux de subversion révolutionnaire se recréèrent constamment de façon autochtone grâce à l’action de la Narodovolrsie juive en 1883-1987.

Le virage vers le terrorisme qui avait commencé en 1879 avec la création de Narodnaïa Volia déclencha une série d’atrocités violentes qui culminèrent avec l’assassinat d’Alexandre II en 1881.  L’assassinat du tsar n’apporta aucun bénéfice politique. Le « peuple » ne se leva pas pour soutenir les révolutionnaires de cette soi-disant « Volonté du peuple » qui parlait en son nom.  À la suite de la réaction horrifiée qui fut la plus courante à la mort du tsar, « la cause radicale perdit beaucoup de soutien populaire » et le gouvernement « réagit par diverses mesures répressives et des opérations de contre-espionnage qui rendaient l’activité des révolutionnaires de plus en plus difficile », en reconnaissance du fait que les révolutionnaires juifs avaient joué un rôle crucial dans cet assassinat. Si « Moishe » Zundelevich n’avait pas perfectionné l’utilisation de la dynamite comme arme terroriste, elle n’aurait pas pu être utilisée pour tuer le Tsar. Selon Haberer :

Le rôle de Zundelevich dans l’utilisation de la dynamite à des fins révolutionnaires a été confirmé par plusieurs de ses contemporains. Grigorii Gourévitch déclare que lui et ses camarades du cercle de Berlin « savaient qu’Arkadii avait acheté de la dynamite quelque part et l’avait apportée à Saint-Pétersbourg ». C’est, dit-il, « la première dynamite que les révolutionnaires aient reçue en Russie ». Lev Deich va jusqu’à attribuer à Zundelevich seul l’idée d’utiliser l’explosif nouvellement inventé à des fins terroristes. « A Zundelevich, écrit-il, appartient l’initiative de remplacer les couteaux et les revolvers par de la dynamite et des bombes qui, grâce à ses efforts, commencèrent à être produites selon des méthodes artisanales en Russie ». . . C’est Sergei Kravchinskii qui, à sa demande, avait mené des expériences dans les montagnes suisses pour tester l’efficacité de la dynamite et d’autres explosifs. En communiquant ses résultats, Kravtchinskii confirmait la préférence de Zundelevich pour la dynamite qui, lui avait-il dit, « correspond le mieux aux cibles visées par les actes terroristes ». Convaincu que le dynamitage était « la bonne chose à faire », Zundelevich avait utilisé ses contacts en Suisse pour obtenir des échantillons pour le « laboratoire » des terroristes à Saint-Pétersbourg. Ainsi, non seulement Zundelevitch promut l’introduction de la dynamite dans la lutte révolutionnaire, mais il contribua également à lancer la production artisanale des « bombes élégantes et élancées ». 

D’une certaine manière, et malgré leurs exagérations, les fonctionnaires de police russes avaient « une appréciation plus précise du rôle des Juifs dans le mouvement terroriste que les révolutionnaires eux-mêmes ou les historiens qui se sont joints à eux pour minimiser la contribution juive ».  Après l’arrestation d’Arkadii Finkelshtein en 1872, le gouverneur de la province de Vilna déclara à une assemblée de notables juifs « À côté de toutes les autres bonnes qualités que vous, les Juifs, possédez, la seule chose qui vous manque, c’est de devenir aussi des nihilistes. » Trois ans plus tard, le chef de la police de Vilna fut plus explicite. À propos de la destruction du premier cercle de Vilna en juin 1875, il déclara : « Jusqu’à présent, nous ne vous considérions, vous les Juifs, que comme des escrocs ; désormais, nous vous considérerons aussi comme des rebelles. Mais même ces fonctionnaires ne voyaient pas l’ampleur des forces révolutionnaires qui les visaient, car ils « n’attribuaient pas encore de signification politique à la présence de « nihilistes juifs » dans le mouvement révolutionnaire russe ».

Privés de catégories comme l’esprit révolutionnaire juif, ces mêmes fonctionnaires étaient incapables d’identifier l’ennemi et, par conséquent, ils étaient voués à mener une bataille perdue d’avance contre quelque chose qu’ils ne pouvaient pas comprendre. Cette situation changea en 1880, lorsque « la manie de la conspiration révolutionnaire juive omniprésente prit pied dans la société russe et commença à influencer la politique sociale contre les Juifs, ou plus spécifiquement contre les révolutionnaires juifs. . . . En mai 1880, Isaak Gurvich, un Chernoperedelets de Minsk emprisonné à Saint-Pétersbourg, s’entendit dire par un responsable du pénitencier qu’il ne devait pas s’attendre à être libéré parce que les Juifs étaient considérés comme particulièrement subversifs ».

La forte proportion de Juifs dans l’Organisation russe du Sud n’était pas sans signification idéologique. Elle donnait au groupe une orientation politique beaucoup plus radicale qu’il n’aurait pu en être autrement. Cela apparut clairement lors d’une de leurs premières réunions, où les désaccords sur le terrorisme provoquèrent une division entre les délégués juifs et païens, « les seconds s’opposant au terrorisme comme étant préjudiciable à la cause de la propagande socialiste, et les premiers plaidant pour « la répétition systématique et ininterrompue des actes terroristes » comme étant le seul moyen de détruire le tsarisme ».  Orzhikh et Shternberg étaient les plus ardents défenseurs de cette position, qui reposait sur l’engagement général des Juifs révolutionnaires en faveur d’objectifs politiques plutôt que socialistes.

Le 24 juillet 1878 eut lieu à Odessa un événement capital qui, dans les annales de l’histoire révolutionnaire russe, est appelé la « première manifestation armée ». Les Juifs jouaient un rôle majeur dans l’organisation de cette manifestation :

Salomon Efremovich Lion (1857-19 ?), chef du cercle des Lavrovistes d’Odessa, et Salomon Iakovlevich Vittenberg (1852-79), chef du cercle de Nikolaev, étaient parmi les principaux organisateurs de la manifestation. Au premier rang des manifestants se trouvaient six femmes juives – Viktoriia Gukovskaia, Fanny Moreinis, Khristina Grinberg, Sofia Orzhikh, et les sœurs Anastasiia et Sofia Shekhter. À l’exception de Gukovskaia, elles étaient toutes membres du cercle du Lion ou avaient été liées au défunt cercle Kovalskii. 

Solomon Lion se convertit au terrorisme alors qu’il était en prison pour le rôle qu’il avait  joué dans la manifestation de Kovalskii. Évitant la « propagande pacifique », Lion « exhorta ses anciens amis lavrovistes à rester dévoués à la cause révolutionnaire qui exigeait désormais « la terreur et le tsaricide » ». Son collègue Vittenberg, qui « avait déjà fait ses débuts en tant que terroriste lors de la manifestation de Kovalskii, lorsqu’il avait  tiré sur des soldats qui avançaient et avait ainsi transformé cet événement en une manifestation armée », était maintenant impliqué dans des plans visant à faire exploser le train du tsar lors de son passage à Nikolaev. À l’exception du « bras droit » de Vittenberg, le marin ukrainien Logovenko, tous ceux qui s’étaient impliqués « avec beaucoup d’enthousiasme » étaient des jeunes juifs de la communauté radicale de Nikolaev.  Ensemble, avec leur personnel de soutien, « Vittenberg et Logovenko travaillèrent sans relâche à la construction de la mine qu’ils avaient l’intention de cacher sous la route que devait emprunter Alexandre II pour traverser ikolaev ». Ces plans tournèrent mal lorsque Solomon Vittenberg fut arrêté le 16 août 1878 après que la police eut découvert son adresse sur une personne envoyée d’Odessa pour aider à la tentative d’assassinat. Vittenberg fut pendu le 10 août 1879 dans la même ville où il espérait tuer le tsar.

Lorsque le général N. I. Shebeko publia son rapport détaillé sur la subversion révolutionnaire en Russie pendant la période 1878-1887, il avertit que durant la même période, « la profession d’idées destructrices était généralement devenue, peu à peu, la propriété de l’élément juif, qui figurait très souvent [en bonne place] dans les cercles révolutionnaires ». Pour étayer son argumentation, il ajoutait entre parenthèses qu’ »environ 80 % des socialistes connus dans le Sud [de la Russie] en 1886-1887 étaient juifs ».

L’étude de Shebeko a montré « que le gouvernement tsariste avait en effet de bonnes raisons de se méfier des socialistes juifs et d’être convaincu que « les Juifs étaient la composante la plus dangereuse du mouvement révolutionnaire » ». Le contrôle juif des milieux étudiants a occulté « la base factuelle qui sous-tendait la phobie des cercles officiels et réactionnaires selon laquelle le Juif était sur le point de détruire la Russie tsariste sacrée ».

*

IV

Déçu par l’échec des grandes puissances à mettre en œuvre la disposition pour l’autodétermination de l’Arménie contenue dans le Traité de Berlin, un groupe d’étudiants arméniens de Genève, en Suisse, organisa le Parti révolutionnaire hunchakien en août 1887 après être tombé sous l’influence de Mekertitch Portugalian, dont la revue Armenia encourageait une combinaison de socialisme et de nationalisme.  Le Parti révolutionnaire hunchakien était le fruit de l’imagination d’un jeune couple : Avetis Nazarbekian, qui avait écrit certains des articles les plus révolutionnaires d’Arménie, et sa fiancée Mariam Vardania, plus connue sous le nom de Maro. Nazarbekian, un bel homme, était le neveu d’un riche capitaliste arménien de Tiflis qui finançait ses études. Maro était une Arménienne russe de Tiflis. Après avoir obtenu son baccalauréat, Maro s’était inscrite comme étudiante en sciences sociales à l’université de Saint-Pétersbourg, où elle devint « membre d’un groupe révolutionnaire russe secret ».  Maro et Nazarbekian étaient tous deux tombés sous le charme de Narodnaïa Volia pendant leur séjour à l’université, ce que Narbandian ne trouve pas surprenant puisque tous les étudiants arméniens qui avaient fondé le parti révolutionnaire Hunchak :

étaient nés en Russie ou y avaient fait leurs études, et tous connaissaient bien l’idéologie révolutionnaire russe. Mariam Vardanian (Maro), membre du comité qui rédigea les plans de l’organisation révolutionnaire, avait travaillé avec les révolutionnaires russes à Saint-Pétersbourg et, selon feu Mushegh Seropian, elle était en fait l’intellectuelle du groupe.  . . . Les étudiants genevois s’associèrent de même, étant en bons termes avec les sociaux-démocrates russes G. V. Plekhanov et Vera Zasulich, qui se trouvaient alors à Genève. Tous deux avaient été d’anciens membres des sociétés révolutionnaires russes secrètes Zemlya i Volya (Terre et Liberté) et Tcherny Peredyel (Distribution de la Terre Noire), et au moment de la fondation du Parti Révolutionnaire Hunchakien, Plekhanov était connu comme le principal représentant russe du marxisme.

La nationalité joua un rôle crucial dans l’émergence de la terreur révolutionnaire, tant en Russie qu’en Arménie. En Russie, les Juifs étaient le groupe ethnique qui dominait la propagation du « virus de la terreur » du sud vers les capitales culturelles et politiques du nord comme Saint-Pétersbourg. Le fait que les Russes ethniques ne représentaient que 31 % des groupes révolutionnaires déjà mentionnés confirme que « la nationalité apparaît comme un facteur explicatif de la genèse du terrorisme du sud » et que « les Juifs constituaient un élément national important, sinon crucial, pour faire de la région un foyer de violence terroriste ».

Tant les Juifs que les Arméniens adoptèrent une forme d’ethnocentrisme révolutionnaire, alors que leurs principaux ennemis – les empires russe et ottoman respectivement – prêchaient une sorte de transnationalisme basé sur la langue et la religion. Le clivage entre le nationalisme sioniste et l’internationalisme communiste était latent à ce moment-là et ne devint apparent qu’avec l’émergence de figures comme Herzl, qui orienta l’esprit révolutionnaire juif dans la première direction, et Trotsky, qui l’orienta dans la seconde.

Parmi les Juifs, « l’esprit du temps exigeait de choisir entre la loyauté « nationale juive » et la loyauté « révolutionnaire russe ». Le processus de prise de parti fut extrêmement tortueux et beaucoup hésitèrent avant de décider si leur loyauté s’adressait au peuple juif ou, en fin de compte, au mouvement révolutionnaire russe », mais pour les groupes révolutionnaires arméniens comme les Hunchaks et les Dachnaks, il ne semblait y avoir aucune contradiction, et l’activité révolutionnaire s’est donc répandue rapidement pendant les années 1890 en Arménie, d’une manière qui n’a pas eu lieu en Russie.  Contrairement à leurs homologues juifs russes, les Hunchaks ne voyaient pas de contradiction entre les aspirations nationales et le socialisme universel.  Pour les Hunchaks, « le nationalisme et le socialisme étaient mutuellement compatibles et pouvaient se développer harmonieusement ensemble », le nationalisme étant la force motrice du terrorisme révolutionnaire et le socialisme la base de la gouvernance une fois que la révolution aurait triomphé.

Le contact avec la fine fleur du socialisme révolutionnaire dans les universités européennes laissa Maro et Nazarbakian insatisfaits du leadership de Portugalian. Lorsqu’ils renoncèrent à obtenir sa coopération, ils se lancèrent seuls, convaincus que « l’état actuel des choses devait être détruit au moyen d’une révolution » afin qu’un nouvel ordre puisse naître des cendres de l’ancien, fondé sur les « vérités économiques » et la « justice socialiste ».  Les Hunchaks se concentrèrent sur la situation en Arménie turque, et la terreur était considérée comme une partie intégrante de leur nouveau programme, nécessaire pour « élever l’esprit du peuple ».   Dans le cadre des délires que les étudiants arméniens reprenaient à leur compte lors de leurs discussions à l’université, les Hunchaks estimaient que la terreur pouvait être utilisée « comme une méthode pour protéger le peuple et gagner sa confiance dans le programme Hunchak » alors qu’en fait c’est le contraire qui se produisait. La majorité du peuple arménien n’a jamais sympathisé avec le terrorisme, ce qui a invariablement provoqué une réaction du gouvernement ottoman qui a puni les personnes les plus accessibles, les plus visibles, les plus vulnérables et les moins responsables des actions des terroristes. Les Hunchaks, ne se laissant pas décourager par ce genre de réserves :

avaient pour but de terroriser le gouvernement ottoman, contribuant ainsi à abaisser le prestige de ce régime et à œuvrer à sa désintégration complète. Le gouvernement lui-même ne devait pas être l’unique cible des tactiques terroristes. Les Hunchaks voulaient anéantir les plus dangereux des individus arméniens et turcs qui travaillaient alors pour le gouvernement, et démanteler le réseau des espions et des informateurs. Pour les aider à mener à bien tous ces actes terroristes, il fallait que le parti organise une branche exclusive, spécifiquement consacrée à la réalisation d’actes de terrorisme. 

Les paysans et les travailleurs, selon le plan hunchakien, formeraient des bandes de guérilla itinérantes qui répandraient la terreur en prévision de la prise du pouvoir, et en attendant de gouverner selon les principes démocratiques, les détails devant être réglés ultérieurement.  « L’objectif immédiat était l’indépendance de l’Arménie turque ; l’objectif futur était le socialisme ».  La combinaison du socialisme et du nationalisme comme objectifs « reflétait l’influence de la pensée révolutionnaire russe » en général, mais l’accent mis sur le terrorisme comme méthode reflétait l’influence de Narodnaïa Volia en particulier.  Le moment le plus opportun pour déclencher la rébellion générale serait lorsque la Turquie serait engagée dans une guerre. Comme leurs mentors juifs à Narodnaïa Volnia :

les Hunchaks adoptèrent la terreur politique comme moyen d’éliminer les opposants, les espions et les informateurs. L’article 6 du programme du parti Hunchak stipule « Le temps de la révolution générale [en Arménie] sera celui où une puissance étrangère attaquera la Turquie de l’extérieur. Le parti se révoltera à l’intérieur ». . . . Afin d’atteindre ces objectifs « par le biais de la révolution », les bandes révolutionnaires devaient « armer le peuple », mener « une lutte incessante contre le gouvernement [turc] » et « démolir et piller les institutions gouvernementales ». Ils devaient « utiliser l’arme de la terreur contre les fonctionnaires corrompus, les espions, les traîtres, les escrocs et toutes sortes d’oppresseurs ». 

Cinq ans après la création des Hunchaks, un autre groupe de révolutionnaires, connu sous le nom de Dachnaks, créa la Fédération révolutionnaire arménienne à Tiflis en 1892. Leur but était « d’amener par la rébellion l’émancipation politique et économique de l’Arménie turque ».  Les deux groupes étaient inspirés par Narodnaya Volya.

Comme leurs homologues juifs de Narodnaïa Volia, les Hunchaks et les Dachnaks s’engagèrent à « utiliser la terreur » pour atteindre leurs objectifs, souvent contre leur propre peuple.  La stratégie révolutionnaire consistait à commettre des actes terrifiants et à provoquer ainsi des représailles de la part du gouvernement ottoman, représailles qui allaient ensuite radicaliser la population arménienne en général, la rendant plus susceptible de jeter son dévolu sur les terroristes. Non contents d’utiliser la terreur pour radicaliser la population en général, les Hunchaks espéraient également « provoquer les Turcs à commettre des excès qui attireraient l’attention du monde chrétien et provoqueraient une intervention européenne ».  Nous pouvons maintenant distinguer les traces du rôle que les Hunchaks et les Dachnaks jouèrent dans le génocide arménien. Les exploits des groupes de guérilla arméniens inspirèrent un « culte du héros », qui « se poursuit encore aujourd’hui », mais cela a occulté le fait que :

« les révolutionnaires n’étaient pas seulement récusés par l’ensemble de la population arménienne et de ses dirigeants ecclésiastiques, mais ne représentaient en fait qu’une très petite partie de cette population ». C’est pourquoi ils étaient souvent été poussés à recourir à la terreur contre leur propre peuple. Les rapports consulaires britanniques mentionnent plusieurs tentatives d’assassinat de patriarches arméniens et de nombreux cas d’Arméniens abattus pour ne pas avoir contribué à l’impôt révolutionnaire ou accusés d’être des traîtres ou des espions.

Ne se laissant pas décourager par les conséquences de leurs activités sur leur propre peuple, les groupes révolutionnaires arméniens proliférèrent en exil au cours des années 1880. Les réfugiés arméniens et les émigrés de Turquie constituèrent une cellule révolutionnaire à Tiflis au début des années 1880. Beaucoup d’étudiants arméniens qui avaient étudié dans les universités russes « s’assimilèrent à la vie russe et perdirent tout intérêt pour leur propre peuple », mais beaucoup d’autres s’étaient radicalisés à partir de la même expérience, rejoignirent des groupes révolutionnaires comme Narodnaïa Volia, puis ramenèrent le virus révolutionnaire en Arménie, où il s’infiltra dans la clandestinité en attendant le bon moment pour émerger. En 1884, l’une des cellules souterraines fut reprise par Christopher Mikaelian, « un membre de Narodnaïa Volia, qui devint plus tard l’un des fondateurs de la Fédération révolutionnaire arménienne ou Dachnaktsuthiun ».  Des revues en langue arménienne comme le Herald of Freedom, qui avait vu le jour un an avant l’Armenia de Portugalian, publièrent des articles qui « montraient l’influence de la pensée révolutionnaire et des idées socialistes européennes et russes » et faisaient la promotion « des mêmes méthodes préconisées par Narodnaïa Volia – propagande, agitation, bandes organisées et terreur ».

Les étudiants qui avaient quitté les universités de Moscou et de Saint-Pétersbourg et s’installèrent en Transcauscasie pour former des cercles révolutionnaires dans des endroits comme Tiflis commencèrent à franchir la frontière russo-turque alors qu’au même moment, des agitateurs arméniens franchissaient la même frontière dans l’autre sens, apportant des nouvelles de l’activité révolutionnaire de la région arménienne autour de Van, principalement. L’étroite collaboration avec les révolutionnaires russes conduisait leurs collègues arméniens à croire qu’une « révolution organisée en Turquie était à portée de main ».  Le succès que les révolutionnaires grecs et bulgares avaient obtenu pour se séparer de l’Empire ottoman avait convaincu les Arméniens que leur nation pouvait elle aussi être libérée par une activité concertée et autonome. En conséquence, les révolutionnaires arméniens agirent selon ce qu’ils avaient appris de leurs mentors juifs et entreprirent de former leur propre mouvement révolutionnaire ethnique :

De nombreux intellectuels et jeunes étudiants qui avaient travaillé pour les réformes en Russie par le biais de sociétés russes secrètes (Zemlya i Volya, Narodnaïa Volia et Tchernyi Peredel) se mirent à former des groupes principalement intéressés par la politique arménienne. L’influence et les idées des Arméniens qui travaillaient dans les cercles révolutionnaires russes s’appliquèrent également aux affaires arméniennes. La force des théories révolutionnaires russes contribua grandement à rendre les Arméniens plus avides d’action révolutionnaire. Cette influence idéologique se manifestait dans les organisations révolutionnaires arméniennes créées après la guerre russo-turque. Presque toutes ces organisations arméniennes en Russie étaient dirigées par des personnes qui étaient membres ou proches associés des Narodniks russes. Parmi elles, on trouve des adeptes des théories sociologiques de Mikailovsky et de Lavrov ainsi que des membres et des adhérents des sociétés révolutionnaires russes, en particulier la Narodnaïa Volia.

Après une accalmie momentanée provoquée par la révulsion générale que la majorité ressentit lors de l’assassinat du tsar Alexandre en 1881, l’activité révolutionnaire s’accrut dans les années 1890 tant en Turquie qu’en Russie. En 1887, année où Maro et Nazarbekian fondent les Hunchaks, Alexandre Oulianov est arrêté alors qu’il transporte une bombe qui doit servir à l’assassinat du nouveau tsar. Oulianov, dont le frère cadet Vladimir, connu plus tard sous le nom de Lénine, allait devenir célèbre en tant qu’auteur du renversement de l’Empire russe, avait rejoint Narodnaïa Volia dans les années 1880, alors qu’il était, comme Maro, étudiant à l’université de Saint-Pétersbourg. Le procès d’Alexandre et son exécution ultérieure marquèrent un tournant dans la vie de Lénine. Chassé de la bourgeoisie respectable par l’action de son frère, Lénine fit le vœu de détruire la société qui l’avait rejeté. Contrairement à son frère, Lénine était motivé par la haine, et non par l’idéalisme :

Durant cette période, Lénine avait beaucoup lu. Il avait parcouru les journaux et les livres « progressistes » des années 1860 et 1870, en particulier les écrits de Nicolas Tchernychevskii, qui, selon son propre témoignage, eurent sur lui une influence décisive. Pendant cette période difficile, les Oulianov furent ostracisés par la société de Simbirsk : les gens évitaient d’être associés aux proches d’un terroriste exécuté, de peur d’attirer l’attention de la police. Ce fut une expérience amère qui semble avoir joué un rôle non négligeable dans la radicalisation de Lénine. 

À l’automne 1888, lorsqu’il s’installe avec sa mère à Kazan, Lénine est un radical à part entière, rempli d’une haine sans bornes pour ceux qui ont mis fin à sa carrière prometteuse et qui ont rejeté sa famille, à savoir l’establishment tsariste et la « bourgeoisie ». Contrairement aux révolutionnaires russes typiques, tels que son frère décédé, qui étaient animés par l’idéalisme, l’impulsion politique dominante de Lénine était et restait la haine. Lénine, qui était né en 1870, avait obtenu son baccalauréat  l’année même où son frère fut exécuté.

À l’été 1894, les révolutionnaires Hunchak étaient actifs dans toutes les provinces de Turquie, et leurs actions provoquaient des représailles de la part des autorités turques. Ces activités débouchèrent sur une insurrection armée dans le village arménien de Sassun, lorsque la population arménienne locale, « sous l’impulsion des révolutionnaires arméniens, refusa de payer le tribut habituel aux chefs kurdes ».  Lorsque les Arméniens, avec l’aide des Hunchaks, prirent les armes, les Kurdes furent « incapables de soumettre leurs anciens vassaux » et « lancèrent un appel à l’aide au gouvernement ottoman ». L’aide arriva sous la forme de troupes turques et de régiments Hamidaye, l’équivalent turc des Cosaques russes, et des Black and Tans qui allaient se déchaîner sur l’Irlande quelques années plus tard, massacrant « ceux qui s’étaient rendus et beaucoup d’autres, y compris des femmes et des enfants ».

Une fois la poussière retombée, un rapport publié par une commission d’enquête turque « attribue tout l’épisode à la provocation arménienne ».  Les représailles meurtrières qui avaient suivi leur activité révolutionnaire s’inscrivent bien dans les plans de Hunchak. George Hepworth, un observateur américain considéré comme un ami des Arméniens, a déclaré que « les révolutionnaires font ce qu’ils peuvent pour rendre possibles de nouveaux outrages ». C’est leur but avoué. Ils pensent que s’ils peuvent inciter les Turcs à tuer davantage d’Arméniens, à l’exception d’eux-mêmes, l’Europe sera forcée d’intervenir ».

Après la création de la « Fédération des révolutionnaires arméniens », communément appelée « Dachnaktsuthiun » en 1890, le terrorisme Dachnak a exacerbé une situation déjà tendue en alimentant la haine ethnique. La caractéristique la plus frappante des années 1890, selon Pipes, était « la prévalence et l’intensité de la haine : idéologique, ethnique, sociale ».  L’un des groupes que Pipes  identifi comme étant pris dans ce maelström de haine était celui des Arméniens :

Les monarchistes méprisaient les libéraux et les socialistes. Les radicaux détestaient la « bourgeoisie ». Les paysans détestaient ceux qui avaient quitté la communauté pour s’installer dans des fermes privées. Les Ukrainiens détestaient les Juifs, les musulmans détestaient les Arméniens, les nomades kazakhs détestaient et voulaient expulser les Russes qui s’étaient installés chez eux sous Stolypin. Les Lettons étaient prêts à se jeter sur leurs propriétaires allemands. Toutes ces passions n’étaient tenues en échec que par les forces de l’ordre – l’armée, la gendarmerie, la police – qui elles-mêmes étaient constamment attaquées par la gauche. Les institutions et les processus politiques capables de résoudre pacifiquement ces conflits n’ayant pas vu le jour, il y avait de fortes chances pour que, tôt ou tard, on ait à nouveau recours à la violence, à l’extermination physique de ceux qui se trouvaient sur le chemin de chacun des groupes en conflit. Il était courant à l’époque d’évoquer une Russie vivant sur un « volcan ».

Pipes décrit la haine de Lénine comme un exemple classique de la haine des années 1890. Pipes y voit « quelque chose de répugnant et de terrible ; car étant enracinée dans le concret, je devrais dire même dans l’animal, tout émotions et répulsions, cette haine était à la fois abstraite et froide comme tout l’être de Lénine ».  Lénine devait plus tard adopter le marxisme comme véhicule de cette haine, mais pendant la période 1887-91, « Lénine n’était pas et n’aurait pas pu être un marxiste au sens social-démocrate, car cette variante du marxisme était encore inconnue en Russie ».  Lénine avait d’abord appris à mobiliser sa haine, politiquement, à partir des « épigones juifs de Narodnaïa Volia », qui « avaient soutenu le mouvement dans ses heures les plus sombres et avaient préservé sa tradition pour les nouveaux partis d’opposition qui allaient apparaître  dans les années 1890 ».  Narodnaïa Volia eut un profond impact sur la pensée de Lénine et pendant la période cruciale en question, Lénine « était un adepte typique de la Volonté du Peuple ».

Les arrestations qui suivirent l’assassinat du tsar en 1881 et celles qui eurent lieu à la fin des années 1880, lorsque le frère aîné de Lénine fut capturé et exécuté, « ciblèrent un nombre disproportionné de juifs » et « reflétaient avec précision leur importance historique » dans le mouvement révolutionnaire de cette époque.  Cela confirmait  également les soupçons des responsables tsaristes, selon lesquels:

les Juifs étaient un élément particulièrement têtu et insaisissable, responsable d’une grande partie des troubles politiques des deux décennies entre 1870 et 1890. Ce que le fonctionnaire de police du troisième département, M. M. Merkulov, avait déjà exprimé avec une grande inquiétude en 1877 – à savoir que la jeunesse juive était une source potentielle importante de recrues pour le mouvement révolutionnaire – était devenu une dure réalité dix ans plus tard.

Les Juifs étaient attirés par le terrorisme pour des raisons spécifiquement juives. Leurs tentatives d’éduquer puis de radicaliser le paysan russe avaient échoué parce que les paysans ne leur faisaient pas confiance. Marx admirait l’engagement de Narodnaïa Volia dans le terrorisme parce qu’il montrait qu’en Russie, la révolution pouvait être faite par « une poignée de gens ». La révolution n’avait pas à découler des « conséquences sociales inévitables du capitalisme mature » comme elle le ferait en Angleterre et en Allemagne. Elle pouvait plutôt être provoquée par « la terreur et les coups d’État » dans les sociétés préindustrielles comme la Russie, par des groupes terroristes comme Narodnaïa Volia.

Une fois Lénine familiarisé avec Marx, il tenta d’unir les concepts philosophiques et économiques du marxisme avec la compréhension d’un « parti révolutionnaire professionnel, conspirateur et étroitement discipliné », qu’il dérivait de Narodnaïa Volia.  Après avoir été témoin du succès des sociaux-démocrates en Allemagne, Lénine avait également intégré certaines parties de leur programme, mais il ne s’écarta jamais de la Volonté du Peuple comme modèle pour son organisation politique. Des années après la révolution russe, Lénine expliquait à Karl Radek que la stratégie bolchevique impliquait une tentative « de réconcilier Marx avec Narodnaïa Volia ».  Pendant son séjour à Kazan et à Samara, Lénine avait appris de ses contacts directs avec les ex-Narodvoltsi que la Volonté du Peuple « était structurée hiérarchiquement et fonctionnait de manière quasi militaire ». Contrairement à Terre et Liberté, son organisation mère, celle-ci rejetait le principe d’égalité entre les membres, le remplaçant par une structure de commandement ».  Pipes le précise :

Lénine reprit ces principes et ces pratiques organisationnelles dans leur intégralité. La discipline, le professionnalisme et l’organisation hiérarchique étaient tous un héritage de la Volonté du Peuple qu’il chercha à injecter dans le Parti social-démocrate et, lorsque son effort eut échoué, il l’imposa à sa propre faction bolchevique. En 1904, il affirmait  que « le principe organisationnel de la social-démocratie révolutionnaire s’efforce de procéder du haut vers le bas » et exige que les parties ou les branches se subordonnent au langage de l’organe central du parti, qui pouvait bien provenir des statuts de la Volonté du Peuple.

Lénine, cependant, s’écarta des pratiques de la Volonté du Peuple sur deux points importants. La Narodnaïa Volia, bien qu’organisée de façon hiérarchique, ne permettait pas une direction personnelle : son comité exécutif fonctionnait de façon collégiale. C’était également la base théorique du Comité central bolchevique (qui n’avait pas de président officiel), mais dans la pratique, Lénine dominait complètement les débats et le Comité central prenait rarement des décisions importantes sans son approbation. Deuxièmement, la Volonté du Peuple n’avait pas l’intention de devenir le gouvernement d’une Russie libérée du tsarisme : sa mission devait se terminer par la convocation d’une Assemblée constituante. Pour Lénine, en revanche, le renversement de l’autocratie n’était qu’un prélude à la « dictature du prolétariat », gérée par son parti.

Lénine a popularisé ses vues dans son célèbre Que faire, publié en mars 1902, comme sa tentative pour enrober les idées de la Volonté du Peuple dans le vocabulaire social-démocrate. Dans son manifeste, Lénine appelait à la création d’un parti centralisé et discipliné, composé de révolutionnaires professionnels à plein temps, voués au renversement du régime tsariste.  Le programme que Lénine formula en 1902 « fit une immense impression sur les intellectuels socialistes russes parmi lesquels les anciennes traditions de la Volonté du Peuple étaient restées vivantes et qui s’impatientaient face aux tactiques dilatoires préconisées par Plekhanov, Akselrod et Martov » car il « énonçait en langage clair et traduisait en programme d’actions les idées que ses rivaux socialistes, manquant du courage de leurs convictions, recouvraient d’un tapis de qualifications rhétoriques ».

source : « Who killed the Armenians? »

traduction Maria Poumier

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Site de réflexion et de ré-information.Aujourd’hui nous assistons, à travers le monde, à une émancipation des masses vis à vis de l’information produite par les médias dits “mainstream”, et surtout vis à vis de la communication officielle, l’une et l’autre se confondant le plus souvent. Bien sûr, c’est Internet qui a permis cette émancipation. Mais pas seulement. S’il n’y avait pas eu un certain 11 Septembre, s’il n’y avait pas eu toutes ces guerres qui ont découlé de cet évènement, les choses auraient pu être bien différentes. Quelques jours après le 11 Septembre 2001, Marc-Edouard Nabe avait écrit un livre intitulé : “Une lueur d’espoir”. J’avais aimé ce titre. Il s’agissait bien d’une lueur, comme l’aube d’un jour nouveau. La lumière, progressivement, inexorablement se répandait sur la terre. Peu à peu, l’humanité sort des ténèbres. Nous n’en sommes encore qu’au début, mais cette dynamique semble irréversible. Le monde ne remerciera jamais assez Monsieur Thierry Meyssan pour avoir été à l’origine de la prise de conscience mondiale de la manipulation de l’information sur cet évènement que fut le 11 Septembre. Bien sûr, si ce n’était lui, quelqu’un d’autre l’aurait fait tôt ou tard. Mais l’Histoire est ainsi faite : la rencontre d’un homme et d’un évènement.Cette aube qui point, c’est la naissance de la vérité, en lutte contre le mensonge. Lumière contre ténèbres. J’ai espoir que la vérité triomphera car il n’existe d’ombre que par absence de lumière. L’échange d’informations à travers les blogs et forums permettra d’y parvenir. C’est la raison d’être de ce blog. Je souhaitais apporter ma modeste contribution à cette grande aventure, à travers mes réflexions, mon vécu et les divers échanges personnels que j’ai eu ici ou là. Il se veut sans prétentions, et n’a comme orientation que la recherche de la vérité, si elle existe.Chercher la vérité c’est, bien sûr, lutter contre le mensonge où qu’il se niche, mais c’est surtout une recherche éperdue de Justice.

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