Mort le 16 août à l’âge de 99 ans du dessinateur, graveur, peintre et sculpteur Pierre Yves Trémois… Artiste d’un immense talent, nous avions consacré cette article à l’exposition qu’il avait réalisé sur l’ensemble de son oeuvre.
Le 11 Avril 2013 s’ouvrait à Paris, au réfectoire des Cordeliers, une exposition intitulée : « Traits de Passion » – où sur toile et en noir et blanc, Pierre-Yves Trémois nous dévoilait avec sa puissance d’expression, l’univers passionnel qui accompagne l’homme depuis les origines, avec en ouverture la passion du Christ, acte fondateur et sacré, décrite avec toute sa cruauté, mais aussi porteuse d’espérance. Corps suppliciés, criants, hurlants ou érotisés dans l’acte d’amour, accompagnés de commentaires calligraphiés, Pierre-Yves Tremois dont l’esthétique a marqué le siècle, nous rappelait à 92 ans qu’il demeure le plus grand dessinateur et graveur de son temps.
Le parcours de l’artiste est celui d’un homme discret pour ne pas dire secret, même si les honneurs et la reconnaissance ont été très tôt au rendez-vous. Pierre-Yves Trémois est né le 8 Janvier 1921 à Paris ; en 1938, il entre à l’école des beaux arts, et grave ses premières plaques en 1942. En 1943, il obtient le grand prix de Rome de peinture et participe à sa première exposition à la bibliothèque nationale. En 1945, il se fait connaître comme illustrateur en gravant des eaux- fortes pour l’ouvrage de Paul Vialar La Grande Meute, qui connaît un fort succès. C’est le début pour Trémois d’une enrichissante collaboration avec des auteurs, dont beaucoup deviendront des amis : Montherlant, Giono, Claudel, Jouhandeau etc. – Au total, plus de 40 ouvrages illustrés – En 1957, de la rencontre avec le biologiste Jean Rostand va naître une œuvre commune, Bestiaire d’Amour, qui traite des relations amoureuses chez les animaux, illustré de 22 planches ; une deuxième édition sera augmenté de 200 dessins. Rostand et Trémois partagent la même fascination pour le monde animal – pour le savant : « Dans l’animal, on se heurte au mystère de la vie à l’état pur. Tout l’essentiel de l’homme sans l’homme. » – et l’artiste de répondre : « J’ai autant de plaisir à dessiner des crapauds accouplés que des humains dans le même exercice. ».
Désormais batraciens et singes vont devenir des éléments récurents dans l’œuvre de Trémois, comme une interrogation permanente sur les origines de l’homme et la théorie de l’évolution. En 1963, Trémois lors d’un séjour en Bretagne rencontre Catherine, celle qui deviendra sa femme, sa muse et sa complice. Peu d’artistes osent pratiquer la gravure, car le burin qui prolonge la main n’a pas droit à l’erreur, le tracé doit refléter fidèlement l’esprit du créateur, la plaque de cuivre ne connaît pas la gomme. Le trait idéal, épuré, simple et complexe à la fois, Trémois l’a entrevu dans les estampes et la peinture japonaise, c’est une quête perpétuelle qui traverse les siècles, de Lascaux à nos jours. Trémois, en habitué de la culture asiatique, a choisi le trait noir, régulier et affirmé, sur fond blanc, le Yin féminin et le Yang masculin, dualité et complémentarité. Ce trait qui nous est familier aujourd’hui, s’est épanoui dans l’œuvre sensuelle et érotique, qui reste le fondement de l’inspiration de l’artiste : « Le désir de dessiner, de peindre, de graver, de sculpter des images de l’amour – c’est le seul sujet existant et excitant qui puise envahir l’existence d’un artiste. ». Trémois ignore superbement la « théorie du genre », dans ses créations la nudité définit les sexes, qui s’accouplent pour la plus saine des jouissances, corps sublimés par le génie de l’artiste ; sur ce « champ de bataille » la chair n’est jamais triste. Pierre-Yves Trémois est un créateur total, un alchimiste, aucune matière, aucun domaine ne lui est étranger, il travaille la toile mais aussi l’or, le bronze et la céramique : réalise des affiches, timbres, bijoux, tapisseries, médailles etc.
En 1978 il est reçu à l’académie des beaux-arts, son épée est un sabre de samouraï, avec une lame du XVème siècle, ornée de deux plaques d’or sur lesquelles il a gravé ces mots : « La ligne est mon partage ». Les photos de l’événement montrent un homme élégant dans son habit vert, à la silhouette élancée et au visage d’une beauté grecque. Dans son discours en hommage au dessinateur Paul Lemagny, Trémois fait l’éloge du nu et dénonce la destruction des formes dans « l’art contemporain » : « Le nu, qui pendant des siècles, a été le prétexte de l’art, s’est peu à peu désacralisé ; il a même été tourné en dérision, pantin distordu du néant. Ce corps glorieux, en son jardin d’Akadêmos, ne reçoit plus, que des pierres gauchement lancées. ». Critique sur la voie où s’engage l’art moderne, il égratigne en 2008 l’ « Art officiel » et les « installations », lors de sa nomination dans l’ordre de la légion d’honneur, à quelques pas des colonnes de Buren.
Passionné par les rapport entre l’art et la science, Trémois est redevable après Galilée et Newton à Albrecht Dürer, artiste et mathématicien allemand, pour ses recherches sur la perspective et la divine proportion ; cette dette, il l’honore en 1981 par une série d’estampes intitulée Hommage à Dürer. En 1997 il expose à la galerie Victoria à Paris des sculptures où, outre son génie de la matière, on retrouve résumés ses thèmes de prédilection : le singe savant, les crapauds accouplés, l’étreinte amoureuse, ainsi qu’un saisissant portrait de Salvador Dali.
Aujourd’hui Pierre-Yves Trémois, dévoué à l’art – et non au marché de l’art- se remet sans cesse en cause et poursuit sa quête d’excellence en solitaire, tel un moine zen, après 70 ans de créations. Comblé, honoré, son génie reconnu, il reste humble et déclare avec humour : « Si le Moi est haïssable, que dire du Très-moi ? ». Un dernier souci pourtant, trouver un lieu où déposer ses œuvres, car l’artiste qui a révolutionné l’art figuratif n’a toujours pas de proposition de musée permanent. Cela est d’autant plus révoltant que la ville de Nice est revenue sur un accord, qui prévoyait l’ouverture d’un musée Trèmois en 1992, dans un bâtiment construit par l’architecte japonais Kenzo Tange, avec une donation de 200 œuvres et une collection d’art japonais. Il n’est pas trop tard pour réparer cette injustice. Il y a deux types de génies : ceux que l’on admire et respecte, et ceux que l’on admire, respecte et aime. Pierre-Yves Trèmois appartient à ces derniers.
Michel Thibault
A lire : Yvan Brohard, « Trèmois, catalogue raisonné », Editions Monelle Hayot, 600 pages et 2500 illustrations pour découvrir l’oeuvre de l’artiste
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