L’auteur est professeur retraité du département de géographie de l’UQAM, spécialiste en développement local et régional, membres Des Universitaires (https://desuniversitaires.org/)
Le télétravail, grand gagnant du confinement
Le télétravail, issu de la révolution numérique et des progrès des technologies d’information et de communication, est largement utilisé durant la crise sanitaire du Covid-19 tant dans le secteur public que privé. Il permet de maintenir un niveau substantiel d’activité économique et ainsi d’éviter des conséquences plus graves. Considéré jusqu’à ce jour comme marginal, ce mode de travail aura été mis à l’épreuve sur une base élargie. Tout au cours des mois de confinement, employeurs et employés ont pu tester les avantages et les inconvénients de cette pratique et envisager les adaptations et ajustements qui s’avéreront nécessaires. Le télétravail doit gagner en souplesse pour constituer une véritable avancée. On est en train d’apprendre à travailler autrement.
D’après certains sondages, d’ici et d’ailleurs, un pourcentage élevé de télétravailleurs souhaite continuer le télétravail après la crise et plusieurs employeurs, publics et privés, déclarent lui accorder désormais une place plus grande dans leur organisation.
0n va de plus en plus travailler ailleurs que dans les immeubles à bureaux, mais cela ne veut pas dire la fin du bureau. L’entreprise sera le lieu où l’on vient pour des réunions, le partage, l’innovation, la stimulation, ce que ne peuvent faire adéquatement des outils de communication virtuelle tel Zoom.
Le travail à distance a un bénéfice environnemental qui n’est pas à négliger : il réduit les déplacements pendulaires quotidiens entre la résidence et le lieu de l’entreprise, contribuant ainsi à diminuer la circulation automobile, à réduire les émissions de GES et à atténuer la pression sur la gestion de la mobilité urbaine.
Éclatement des lieux de travail et nouvelle dynamique territoriale
Le télétravail qui a pour premier mérite de pouvoir effectuer des tâches professionnelles à distance devient un moteur de déconcentration de l’activité économique et de l’emploi. Il décloisonne les lieux de vie des personnes qui le pratiquent et génère une nouvelle géographie du travail. À trois ou quatre jours de télétravail à domicile par semaine, il est désormais possible pour des travailleurs de s’établir avec leurs familles dans une ville ou village en région, à 100 ou 150 km d’une grande ville. Allongez le temps consacré au télétravail et vous élargissez d’autant les bassins d’emploi. La concentration ne fait plus loi. Des territoires éloignés des centres pourront tirer avantage de cet éclatement des lieux de travail. Les municipalités devront toutefois satisfaire les besoins et les attentes des PME et des télétravailleurs et leurs familles en quête d’un lieu d’établissement.
L’exode urbain et les facteurs explicatifs
Au télétravail, s’ajoutent trois autres facteurs pour expliquer l’exode des grandes villes et la nouvelle attractivité des régions: la qualité de vie, le cadre de vie et l’autonomie alimentaire. Conjugués, ces quatre facteurs viennent amplifier le mouvement de reconquête des villes et villages en région dans la perspective, chez plusieurs, de vivre autrement.
La grande ville ne fait plus rêver autant qu’avant. Le phénomène d’exode urbain a fait perdre 178 067 personnes à Montréal dans ses échanges interrégionaux entre 2010-2011 et 2018-2019, dont 27 890 pour la seule année 2018-2019. À Québec, sans être négatifs, les soldes migratoires sont faibles soit une moyenne annuelle de 582 pour la même période.
Les couronnes périurbaines et les régions voisines de Montréal et de Québec (Montérégie, Lanaudière, Les Laurentides, les MRC de Charlevoix et de Bellechasse) sont largement bénéficiaires de ces mouvements de population, mais pas exclusivement. Les régions intermédiaires et éloignées tirent aussi profit de cet exode qui frappe les grands centres. Les écarts entre entrants et sortants ont ici une évolution variable mais généralement positive pour la plupart d’entre elles. Quatre des huit régions-ressources parviennent même à renverser la tendance négative du début des années 2000 et trois autres enregistrent de réels progrès.
Longtemps terre d’exode, plusieurs régions deviennent des terres d’accueil et laissent entrevoir des perspectives d’avenir prometteuses qui devraient recevoir une attention plus grande de la part des chercheurs et des décideurs publics.
La déconcentration, voire la dispersion de l’activité économique et de l’emploi vers les villes et villages en région ne doit pas être associée à l’étalement urbain. Il s’agit d’un rééquilibrage territorial en faveur de régions plus autonomes dans la perspective d’un rapprochement entre lieux de vie et lieux de travail. L’essor du télétravail s’inscrit dans cette vision du déploiement.
Activités économiques immatérielles, télétravail, déconcentration, qualité de vie, développement durable, autonomie alimentaire, villes petites et moyennes et ruralité, autant de notions qui peuvent être réunies dans de multiples combinaisons pour une mosaïque reconfigurée de l’occupation du territoire en relation de complémentarité et d’interdépendance avec les agglomérations métropolitaines. Les villes moyennes et les chefs-lieux des MRC sont appelés à devenir les pôles de la « nouvelle géographie » économique et sociale du Québec habité, fondée sur le modèle multipolaire de développement. Plusieurs emplois et secteurs économiques se libèrent de l’obligation de la concentration. Du point de vue des impacts territoriaux ça augure une révolution.
Il y a désormais une alternative à la grande ville. Une Politique nationale d’aménagement du territoire inclura la consolidation du réseau des villes et villages en région et un transport collectif régional efficace, en appui à une stratégie de déploiement de l’activité économique et de l’emploi.
Illustration : Brignaud
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