Figures de style 3

ALLAN ERWAN BERGER  —  Troisième épisode des cornichons du jeudi. Nous continuons avec les figures de style. Comme elles sont douteuses, compliquées, tétrapiloctomesques, rares et biscornues, on leur a donné des noms grecs pour faire plus sérieux. Quelques-unes sont utiles.

Hyperbole:

Une hyperbole consiste à projeter l’expression d’un objet au-delà du raisonnable, pour épicer la parole, en faire saillir une intention. Les hyperboles sont assez faciles à réussir dans le domaine de l’ironie, mais dangereuses à manipuler partout ailleurs : on devient vite ridicule à ce jeu-là.

Dans ce bocal trônait un cornichon. Pas deux ni trois ni cinq, mais un seul, énorme, turgescent, patatoïde, le roi des cornichons. Une escadrille de petits oignons blancs lui faisait comme une suite, ronds courtisans blêmes sous le ventre de Sa thonesque Majesté.

Hypotaxe:

Le style hypotactique fait usage de subordonnées en abondance. Pour un peu, on s’y perdrait ; on parle alors d’hyperhypotaxe – ce doit être de l’humour.

Alors, ayant enfin trouvé une belle fourchette, qu’il avait dû chercher par toute la cuisine, ouvrant et fermant au moins huit-cent tiroirs sans jamais trouver autre chose que des ronds de serviette, des pinces, des truelles et même des poignées de portes (bon sang, mais qu’est-ce que des poignées de porte peuvent faire dans un tiroir de cuisine), il s’en alla à grand pas vers le sombre cellier où reposait le buffet à l’intérieur duquel, selon toute vraisemblance, devait attendre, sublime et transgénique, le cornichon en son bocal.

Hypotypose:

Quand vous donnez à voir une scène, plutôt qu’à la lire ; quand vos auditeurs, ou lecteurs, subjugués, s’immergent dans votre opéra au point que les hurlements d’un téléphone peineraient à les en sortir, c’est que vous avez pratiqué sur eux l’hypotypose. Voici, à titre d’exemple et pour changer, un bocal à cornichons dans lequel une tragédie se prépare :

« L’Arme Suprêêême !!! » Le cri glaça les sucs de tout le monde. Là haut, le couvercle venait juste de s’escamoter.

Il y avait d’abord eu, déchirant la triste nuit de notre prison, cette grande lumière, la fantastique lueur des contrées d’outre-bocal. Signe terrible, annonciateur toujours d’un nouvel enlèvement, d’une disparition prochaine. Puis le couvercle, dans un bruit sinistre qui grondait et résonnait lugubrement, avait lentement tourné sur lui-même, avant de disparaître d’un seul coup, laissant place à l’Œil, et à la Fourchette.

Tout de suite, la panique, la débandade. Les oignons commencèrent à hurler et à s’enfuir dans tous les sens – eux qui pourtant ne risquent rien, puisque c’est nous, et seulement nous, nous de toute mémoire, les proies de ce dieu insatiable qui, là-haut, de son œil sans pitié nous lorgnait, choisissait sa victime… Alors la Fourchette descendit.

Il n’y avait pas beaucoup de place. Cependant, la peur donne des feuilles, dit-on. Je me pris à tourner, à ruer moi aussi, terrifié jusqu’à l’abjection par la lente arrivée du monstre. Et je n’étais pas le seul : partout, mes frères, dans de petits dégorgements pitoyables, se pressaient, bousculant les plus faibles.

Les plus malingres, s’insinuant entre les gros pour filer vers les profondeurs se cacher dans les herbes, y disputaient un pauvre abri de misère à trois grains de coriandre et à un petit grelot mutilé qui, éjecté, pris dans une ascendance, se mettait alors à tournoyer en spirale au milieu des masses énormes des grands concombres avant de disparaître, hors de vue.

Du reste, on ne distinguait plus la surface, et le vinaigre, troublé par les éruptions de bulles des cornichons en fermentation spontanée, ne laissait plus apercevoir, au milieu des vagues ombres des ramures d’aneth en suspension, que les ventres de mes congénères en troupeau paniqué, au milieu desquels apparut, me visant moi, la Fourchette et ses quatre épées.

Au dernier moment je fis un pet qui me propulsa hors d’atteinte, au milieu des miens, tandis que, dans un pauvre gargouillis mouillé, un autre que moi, harponné, raidi soudain par l’intrusion du métal dans ses chairs, s’élevait et s’évanouissait dans les limbes. Un autre que moi. Un ami, un bon ami. Mais pas moi. Il pleurait.

Puis le couvercle se referma, la lueur disparut dans un lourd bruit d’orage, comme un monde qui se replie, et nous fûmes de nouveau plongés dans le noir, le noir terrible de la tombe, de la prison, et de l’attente…

Kakemphaton:

Ce n’est pas un nom de pharaon, mais un calembour involontaire. Voici par exemple deux mots, qui, lus l’un après l’autre, en forment un troisième.

Aux corps nichons, la nuit quand tout dort, fors nous puces et punaises.

Inversion:

Très commune dans l’ancienne poésie, l’inversion consiste à intervertir l’ordre de deux mots. Par exemple, si l’on met l’adjectif avant l’objet auquel il se rapporte. On doit en user avec discernement, au risque de s’enfoncer dans le style amphigourique et calamiteux des vieux discours.

Ronde patate verte, dans le bocal flottait un poilu cornichon, verruqueux, gigantesque et seigneurial. Indécent de fraîcheur joufflue. Barbare.

Litote:

Si l’euphémisme cherche à amoindrir un effet, la litote, tout en se parant d’humilité, travaille à mettre un peu d’emphase.

Ce n’était pas le plus petit des bocaux, ni le plus maigre des cornichons.

Métaphore:

Cette figure établit une comparaison entre deux objets appartenant à des champs lexicaux différents. On pense à Cyrano, évidemment.

Ah, mes amis, vous auriez vu ce cornichon ! Un cachalot, une marmite ! Un vraie méduse grassouillette encapsulée là-dedans comme un génie obèse ; une pépite de paradis. J’en étais épouvanté. Vite, une fourchette, par Jupiter ! Avant qu’un autre le trouve, et le dévore peut-être !

Métonymie:

On utilise, pour exprimer l’idée d’un objet, le mot désignant un objet voisin, contenu dans le même champ lexical, et avec lequel l’objet qu’on vise entretient par conséquent des relations logiques, évidentes, archiconnues et faciles à entrevoir (voisinage, filiation, appartenance, ou, ici, contenance) :

Les oignons, les cornichons, tout avait disparu. « Ah l’enflure ! Il s’est goinfré tout le bocal ! » Mimi n’était pas contente.

Oxymore:

L’oxymore associe deux termes aux sens divergents, que l’on s’attendrait à ne pas voir côte à côte tant ils semblent opposés. L’effet recherché peut être du non-sens, ou une grande subtilité, ou tout simplement une grosse envie faire son malin.

Les cornichons, précieuses babioles de nos cuisines, peuvent à l’occasion sauter par-dessus les sandwiches auxquels on les destine, et, échappant ainsi à la mort par empoisonnement dans de la mayonnaise, se réfugiant derrière un lave-linge ou un réfrigérateur, y gagnent une existence de survie, miteuse et desséchée mais toujours bonne à prendre, au milieu des rouleaux de poussière, des miettes de pain, des blattes et des araignées.

Les “précieuses babioles”, c’est de l’oxymore.

Paraphrase:

Une paraphrase reprend les éléments d’un texte, en les exprimant de manière différente. C’est une façon d’amplifier un message, ou de le reformuler à titre d’exercice. Ce peut être aussi une maladresse, ou du plagiat.

― Jérôme : Bon Dieu ! Ce cornichon est un spectacle à lui tout seul ! Quel monument ! Peut-on le visiter ?

― Le marchand : Que… quoi ?

― Interprète : Il demande s’il peut visiter ce cornichon spectaculaire. C’est la faim, à mon avis. Ou bien la gourmandise…

― Jérôme, outré : Même pas vrai ! Tout ce que j’ai dit, c’est ceci : 1- ce cornichon est une splendeur ; 2- j’aimerais l’étudier de près ; 3- puis-je ?

To be continued

FAIM

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